Annabelle Basurko : le désir et l’ironie
La réalisatrice Annabelle Basurko terminait en novembre dernier sa résidence au Chalet Mauriac de Saint-Symphorien (33). Un temps privilégié pour travailler à l’écriture de son premier long métrage, où la question du désir féminin est traitée par le prisme de l'ironie.
En tant que réalisatrice, les résidences sont-elles un sujet familier ?
Annabelle Basurko : En effet, depuis quatre ans, je filme des artistes en création dans les résidences de Nouvelle-Aquitaine pour le magazine culturel IN-FLUX… Cette fois, c’est moi qui expérimente une résidence en tant qu’autrice !
Qu'en est-il du projet, de la genèse de celui-ci ?
A.B. : Jusqu’à présent, j’ai plutôt réalisé des documentaires par intérêt pour les sciences humaines, le rapport aux autres, etc. En parallèle, j’écris toujours… J’ai donc commencé un projet de court métrage évoquant l’histoire d’une jeune fille de 13 ans, prénommée Lucie. J'avais envie de parler de la première fois, pas forcément de la perte de la virginité mais de la rencontre avec l’autre, ce moment où s’opère un bouleversement des corps, d’où ce titre de L’Autre brûlant. Au départ, je pensais plutôt à un traitement naturaliste du sujet.
Le projet avait donc évolué avant la résidence…
A.B. : Oui, cela fait un an et demi que je travaille dessus. J’ai d’abord reçu une bourse de la Région pour commencer l’écriture, puis j’ai participé à une formation organisée par la Fémis et le Fifib (Festival international du film indépendant de Bordeaux) pour passer du court au long métrage. Cette formation m’a amenée à percevoir mon projet différemment, avec une forme plus proche de moi : l’ironie. Celle-ci est déjà dans mes documentaires car elle représente une ouverture vers l’imaginaire et en même temps, je la trouve très proche du réel !
Cette même ironie se retrouve-t-elle dans le sujet du long métrage ?
A.B. : Complètement. Le désir est quelque chose qui nous échappe, qui nous happe malgré nous et cette ignorance de nous-même me fait sourire. L’ironie c’est le décalage, le côté grinçant… Je la retrouve chez des cinéastes comme le réalisateur indépendant Todd Solondz dont j’apprécie le travail. Il y a aussi une dimension ironique quand on évoque le désir féminin, souvent mutilé par des rencontres ou des événements parfois dramatiques. C’est un sujet d’actualité, mais je voulais justement m’en détacher par l’ironie.
Comment ce projet est-il entré en interaction avec la résidence au Chalet Mauriac ?
A.B. : J’ai effectué deux sessions de 15 jours à 6 mois d’intervalle. Je suis arrivée au Chalet Mauriac pour continuer le traitement de mon film. Le traitement est un récit d’une trentaine de pages qui décrit l’action, les personnages, leur psychologie mais sans le découpage ni les dialogues. Cette étape peut être assez longue car tout est réuni. Les situations s’enchaînent avec une logique interne, comme sur un échiquier ! Je séjournais avec des bédéistes, des réalisatrices, des gens de toute la France… Chacun travaille sur son projet et il y a des moments où l’on échange, c’est très enrichissant. En arrivant, j’avais un récit bien avancé mais il fallait que je libère certaines choses.
"Le point de départ d’un projet artistique est souvent une obsession, sans trop savoir si elle est juste d’ailleurs, mais c’est elle qui nous tient et on la précise à mesure."
Sans tout dévoiler, que peux-tu dire sur le synopsis du long métrage ?
A.B. : L’Autre brûlant est un diptyque qui raconte la quête du désir de Lucie, d’abord adolescente puis à l’âge adulte. Pour moi, le parcours du désir se construit sur un socle socio-familial. L’histoire se déroule en 1994, l’année où j’avais treize ans. Le personnage de Lucie est donc lié à mon histoire. La jeune fille part chez ses grands-parents où elle va être exposée à des situations de domination masculine qui vont la perturber. Chez ses grands-parents, il y a aussi tout un décor lié à la colonisation française, un héritage dont on ne parle pas. Je vais donc pousser mon personnage en projetant ses fantasmes sous forme de visions décalées. À l’âge adulte, Lucie est devenue une étudiante en anthropologie. Elle étudie le cannibalisme qui résonne avec ses propres pulsions. Autour d’elle, je dépeins des portraits de femmes un peu frustrées, qui vivent sous l’autorité masculine. Le récit intègre aussi des scènes comme dans les tableaux de Bruegel, à la fois grotesques et humanistes.
Il y a donc finalement beaucoup d'évolutions dans l'écriture…
A.B. : En tant qu’autrice, je reste le moteur. Cependant, je sollicite des regards extérieurs qui m’aident à clarifier mon propos. Lors de la résidence au Chalet Mauriac, j’ai demandé à être accompagnée par une consultante, Aude Py, qui est une scénariste confirmée. Elle a lu mon traitement, je l’ai retravaillé au Chalet, puis elle a fait un deuxième retour, etc. Le point de départ d’un projet artistique est souvent une obsession, sans trop savoir si elle est juste d’ailleurs, mais c’est elle qui nous tient et on la précise à mesure. Parfois, il faut supprimer une scène à laquelle on est très attaché mais qui n’a plus sa place !
Qu’est-ce qui est un peu particulier dans le rythme de la résidence ?
A.B. : C’est un cadre privilégié pour travailler, surtout au Chalet Mauriac qui est une belle demeure ! On est plus concentré car on n’est pas perturbé par notre quotidien, qu’il soit personnel ou professionnel. On vit avec son sujet, on s’endort avec, on se réveille avec… Parfois je vais travailler la nuit, ce que je ne fais pas trop habituellement ! La résidence est payée, ce qui est aussi un avantage. Entre mes deux séjours au Chalet Mauriac, j’ai continué à travailler chez moi. Je reste quelqu’un de très visuel dans mon écriture, je dois me nourrir de situations, de couleurs, de lumières… Je suis aussi beaucoup dans les projections, je peux m’allonger sur mon lit, petit à petit je vois un fil conducteur, j’écris, des mots, des phrases ou des actions. Je trouve très intéressant de ne pas se censurer et de pousser les curseurs ! On ne maîtrise pas tout non plus, parfois on se trompe, on pense qu’on n’y arrivera pas. Ces périodes de creux font elles aussi partie du processus créatif.
Quelles sont les prochaines étapes ?
A.B. : Finir mon traitement et commencer la continuité dialoguée, le scénario proprement dit, qui peut lui aussi prendre un an, voire beaucoup plus ! En même temps, je cherche à rencontrer des producteurs auxquels j’ai envoyé mon traitement. On peut demander l’aide à l’écriture, sans avoir encore de producteur, et ensuite une aide au développement, une fois que l’on a un producteur. L’aide à la production est l’étape la plus difficile car il n’existe qu’un faible pourcentage de films qui sont produits en France chaque année. Il est ceci-dit fréquent de commencer par réaliser un court métrage avec un producteur afin de concrétiser une idée générale ou une atmosphère.
En définitive, l'expérience de résidence en tant qu'autrice t'a-t-elle semblée attrayante ?
A.B. : Bien sûr. Les résidences sont très importantes pour accompagner nos métiers qui restent précaires ! Elles sont un tremplin, notre travail est visible, on est accompagné, on élargit notre réseau professionnel, surtout dans le cinéma qui est un métier qui nécessite beaucoup de compétences. Les formations ou les festivals sont aussi très importants. Même si on doute parfois, l’écriture d’un projet, c’est garder un cap, être précise, savoir parfois résister aux commentaires… Je crois beaucoup au travail qui permet de se maintenir dans une énergie concrète, en résonance avec ce que l’on aime, ses aptitudes, bref, ce que l’on est au fond de nous.
(Photo : Nico Pulcrano)