Anne-Laure Boyer, médiatrice et passeuse de zones intermédiaires
Travaillant sur la mémoire des lieux et des personnes qui les traversent, Anne-Laure Boyer est sensible aux questions de déplacement forcé et tente de mettre en visibilité les mémoires disparues. Lauréate de la résidence numérique 2018 du Chalet Mauriac, elle y a approfondi son projet d’atlas virtuel, Atlas Occulto, qui explore l’imaginaire des mondes engloutis et par là-même, notre relation au temps, à l’oubli et la perte.
Le voyage a commencé sans que nous nous en rendions compte. Anne-Laure nous explique le travail mémoriel qu’elle a mené avec les villageois exclus de chez eux, ouvre des cartes topographiques qu’elle a recomposées, commente son projet de documentaire, nous éclaire. L’itinérance déborde des frontières vers la Roumanie, la Russie, vers d’autres villes et villages sacrifiés et fantomatiques, revient vers l’Espagne et la guerre civile, se recoupe avec les ambitions politiques et financières pour lesquelles on sacrifie la nature et les hommes, sans complexe. Deux heures de circulation dans une histoire méconnue qu’elle nous fait traverser au rythme de nos sensations, pulsations et interrogations.
Les lumières se rallument, la salle est rangée, les valises refermées. Fin de la première partie du voyage. Encore un peu étourdie, j’en entame un autre, seule avec elle, en tête à tête. En travaillant à notre entretien, je savais qu’il ne serait pas possible de la définir par une catégorie, une discipline, un style artistique précis. Sa formation initiale ? Plurielle : les Arts plastiques à Paris, l’Art déco à Strasbourg et les Beaux-Arts en Italie. Pas de médium de prédilection : elle travaille aussi bien avec la photo, le film, l’installation, l’écriture. Pas de posture revendiquée non plus : vidéaste, archiviste, artiste, porte-parole. Elle laisse son travail s’épanouir au rythme du cheminement et de l’approfondissement de ses recherches.
"Loin des pressions, son séjour au Chalet lui a permis de bénéficier d’un temps de recherche fondateur qui lui ouvre une nouvelle perspective de création en utilisant l’écriture, technique qu’elle avait jusqu’alors peu exploitée."
Au départ, elle était venue pour relier tout le matériel qu’elle avait récolté. Travailler avec le numérique pour y naviguer, mieux comprendre, mieux rendre compte. Et puis, à force d’assembler, désassembler, l’idée d’un livre, d’une restitution au format papier finit par s’imposer. Un atlas revisité. Loin des pressions, son séjour au Chalet lui a permis de bénéficier d’un temps de recherche fondateur qui lui ouvre une nouvelle perspective de création en utilisant l’écriture, technique qu’elle avait jusqu’alors peu exploitée.
"Conserver pour garder une trace, redonner vie, faire réapparaître ce qui semblait éteint, terminé."
Anne-Laure Boyer propose avec simplicité et intensité un autre regard sur les lieux, les êtres, la vie. Elle travaille à ouvrir, au milieu de nos espaces contraints, des zones intermédiaires, plus denses et plus fluides dont elle se fait médiatrice et passeuse... si tant est que l’on accepte comme elle de s’y immerger, librement et totalement.