Antonin Veyrac habite la lune avec frénésie
La résidence d’Antonin Veyrac n’a pas eu lieu. Cette résidence au Chalet Mauriac aurait été la première de ce jeune auteur. Sa résidence, il l’imaginait comme une sorte de phalanstère où le bien commun aurait été l’art, une résidence-espace-temps dans laquelle il aurait été possible de créer du lien social et sémiotique, où sa pratique aurait été mise en lien avec celle des autres auteurs.
Antonin a passé sa résidence chez lui, pendant le confinement, il a écrit durant la nuit.
La nuit est une blessure qui ne se cautérise jamais, elle revient, tous les soirs, sans avoir cicatrisée. - Antonin Veyrac
En temps normal il écrit aussi le matin, juste avant que le soleil ne pointe, accompagné d’Ungaretti ou de Tarkos, il se laisse happer par leurs univers et tente d’improviser. Parmi les méthodes d’écriture de l’auteur, celle qu’il appelle "l’aléatroirisme", qui consiste à prendre au hasard un vers d’un autre auteur, développer ensuite un poème, et à la fin, effacer le vers exogène.
Pour Antonin Veyrac, on écrit de la poésie en se souciant des choses, en se souciant de soi-même. L’écriture est venue en soutien à la souffrance psychique, elle est là pour donner du sens là où, la souffrance installe le non-sens dans une vie, pour donner vie à ce "tournoiement de sens et de non-sens" qui accompagne l’auteur depuis ses 18 ans. Comme dirait Pessoa ; "Les choses sont l’unique sens occulte des choses"1. Et Alejandra Pizarnik ajouterait qu’on écrit pour donner un sens à notre souffrance2.
Je n'appartiens tout simplement pas à ce monde. J'habite la Lune avec frénésie. Je n'ai pas peur de mourir, j'ai peur de cette terre étrangère, agressive. Je n'arrive pas à penser aux choses concrètes, elles ne m'intéressent pas. Je ne sais pas parler comme tout le monde. Mes mots sont bizarres et viennent de loin, d'un endroit où personne ne se rencontre.
– Alejandra Pizarnik3
Antonin Veyrac aime parler de sa fiabilité poétique. Il écrit depuis dix ans, depuis sa majorité. Pour lui, le désir est la poésie ; écrire c’est faire l’amour au monde, tenter une imbrication des sens. S’il préfère l’amour au dialogue c’est parce que l’amour est toujours moins compliqué qu’une conversation. L’art de continuer c’est continuer à s’agripper au développement de la matière, en nous et hors de nous.
Je vais maintenant avoir le désir du désir. L’apprentissage des heures. Une heure. En voilà une. Faite de sel tardif ; ma maison, le cloître ouvert. Je vais maintenant apprendre à lire et te lire et te parler, dire les choses des brumes. - Antonin Veyrac
Écrire "=".
Pour l’auteur, la poésie est une équation.
Pour écrire, on pose le signe égal.
"On crée un champ vide, on le remplit d’équations dans l’espace et dans le temps. Aussi, comme le dit Bernard Noël, il y a précipitation verbale et le poème survient."
Après le poème c’est autre chose qui se précipite. Ce que le poète appelle "l’art de continuer".
Que serait-il advenu du langage s’il n’y avait pas de poètes ?
J’ai certainement rencontré mon double solitaire dans la forêt de la langue. - Antonin Veyrac
Écrire, c’est peut-être seulement continuer la volonté que le désir a pour nous. Le désir qui est au centre de tout, qui met autour de nous et à l’intérieur de nous, le monde en mouvement. Laissons alors la poésie - comme nous le souffle l’auteur – "miauler sous la banquise", laissons les mots d’Antonin Veyrac "trembler juste", écoutons simplement dire les choses des brumes.
1Le Gardeur de troupeaux et autres poèmes, trad. Armand Guibert, p.91, nrf Poésie/Gallimard
2Journaux 1959-1971 de Alejandra Pizarnik, éditions Corti
3Correspondance avec Léon Ostrov 1955-1966 par Alejandra Pizarnik – Édition des Busclats
(Photo : Anne Collongues)