"Chevreuil", la nouvelle épopée noire et désopilante de Sébastien Gendron
Réjouissant ! C’est le terme qui s’impose et, sans en faire trop, on peut même ajouter brillant et inventif à la liste des qualités inénarrables de Chevreuil, le dernier roman de Sébastien Gendron. Tout commence par un "D’après une histoire fausse", qu’on croit être un clin d’œil de connivence avec le lecteur. Mais, on ne le comprend qu’à la fin, c’était juste pour être précautionneux et rassurant… Le récit démarre en effet à peine, que tout s’emballe à cent à l’heure, que chacun tire à vue et que, fatalement, tout va rapidement à vau-l’eau…
Or donc, nous voilà propulsés, le temps d’une fin d’été caniculaire, à Saint-Piéjac, un village du Sud-Ouest où trônent ostensiblement les affiches électorales de "monsieur Zemmour" dont on apprend qu’il est soutenu par 63 % des deux mille habitants qui vivent là. Aussi, sur fond féroce de "Boutons-les-Anglais-hors-de-chez-nous", l’un d’eux, Connor Digby, un anglais au français savoureux et suite à sa rencontre inopinée avec la fantasque et insatiable Marcelline, va devenir à son corps défendant, l’épicentre d’une succession d’imbroglios tous plus désarmants les uns que les autres. Pour les habitants, il est clair que ce Connor est sine qua non, la cause de leurs déboires.
On se sent là comme entouré d’un joyeux compagnonnage de créateurs : celui notamment de John Irving et de son Épopée du buveur d’eau, dont les scènes sont si cocasses qu’on ne peut que rire aux éclats – comme ici – et, puis, pour le côté noir, on est comme porté aux côtés d’un Fargo des frères Coen ou des récents Polar Park de Gérald Hustache-Mathieu ou encore Des Gens bien de Matthieu Donck1, dans lesquels accidents en cascade sont provoqués avec une candeur confondante qui trouvent, en réponse, la colère la plus crasse et puérile, entraînant des représailles surdimensionnées. Plus de références cinématographiques que littéraires, me direz-vous, mais il faut souligner qu’on est là en présence d’un scénariste chevronné qui a fait des études en école audiovisuelle et travaille aussi pour le cinéma et qui, de fait, monte ses romans comme un long métrage, avec une séquence d’ouverture pour planter le décor et les personnages principaux, un timing soutenu entre chaque scène et rebondissements ; une séquence de fermeture avec un générique de fin, tout ça à un rythme proprement débridé.
On est aussi, dans la prestigieuse collection "La Noire" de Gallimard, lancée en 2019 comme un pendant à "La Blanche", qui accueille une littérature hors polars ou thrillers pour "offrir aux lecteurs […] ce que le roman noir a de plus réjouissant, singulier et envoûtant." C’est exactement ça, hormis le terme "envoutant" qui échappe à l’univers de Sébastien Gendron, tout comme à celui de ses confrères également néo aquitains, Antonin Varenne ou Marin Ledun, pour ne citer qu’eux, mais s’ajoute ici sa marque de fabrique à lui, bien spécifique : une lucidité joyeuse et… implacable.
Celle notamment avec laquelle il dépeint les gens de ce village qui, en toute-puissance et en toute impunité, ne s’incarnent que dans la chasse et leur rêve de gros gibiers, en l’occurrence ici un chevreuil massif de soixante-quinze kilos, baptisé Il Duce, convoité notamment par Férignot père et fils qui, alors que l’un boit et que l’autre sniffe de l’éther plus que de raison, roulent à tombeau ouvert au volant de leur 4 x 4 haut perché, à calandre et phares proéminents, dans lequel un calibre à lunette de visée prêt au tir, attend sur le siège… Est donc mal venu celui qui aura l’imprudence de faire fuir ce gibier de choix, que ce soit Connor Digby, des Ukrainiens réfugiés là, où les élus qui ne régulent que mal les petits arrangements de tous avec la légalité…
Donc, aucune hésitation : courrez vous l’offrir, vous ne le regretterez pas !
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Sébastien Gendron, Chevreuil, coll. "La Noire", Gallimard, 2024
342 pages
ISBN : 978-2-07-300061-3
20 €
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(Photo : Centre international de poésie Marseille)