Christine Palluy, l'écrit contre les stéréotypes de genre
Lauréate de la résidence Polar, peurs et frissons, Christine Palluy aurait dû poser ses bagages cet été au Chalet Mauriac, en partenariat avec le salon Du sang sur la page, pour un temps de réflexion. Un virus a tout chamboulé. Comme cet entretien que nous avons maintenu et qui s’est fait à travers nos écrans interposés…
Est-ce que tu as déjà fait une résidence auparavant ?
Christine Palluy : Non, jamais ! Jusqu’à présent, il m’était difficile de m’absenter de chez moi pour des raisons familiales. Je dois dire que j’attendais ce temps de résidence au Chalet Mauriac avec curiosité et impatience mais aussi avec l’inquiétude de m’isoler plusieurs semaines de mon quotidien.
Qu’est-ce qui t’a attiré dans l’idée de te poser dans un endroit loin de chez toi ?
C.P. : D’autres auteurs qui avaient vécu cette expérience m’ont parlé du moment hors du temps qu’est une résidence d’écriture. Je me suis dit que moi aussi, je pourrais tenter une retraite de plusieurs semaines pour me recentrer sur une thématique qui m’interpelle depuis quelques temps : les stéréotypes de genre que je peux véhiculer involontairement dans mes écrits.
Avec la crise sanitaire, les conditions de ton séjour à Saint-Symphorien ont-elles été modifiées ?
C.P. : ALCA m’a proposé de maintenir tout de même ma résidence en juin, au moment d'ailleurs où le Chalet connaissait d'importants travaux de réfection, mais les mesures sanitaires et l’absence d’autres artistes changeaient la donne pour moi. Nous avons choisi une résidence accompagnée "hors les murs" et je vais avoir la chance de pouvoir vivre véritablement cette expérience en tant qu’invitée en juin 2021.
Durant cette période particulière, ton rapport à l’écriture s’est-il modifié ? A-t-il été affecté ?
C.P. : Mes principaux moteurs dans l’écriture sont l’enthousiasme, l’espoir et l’insouciance joyeuse, les yeux grands ouverts. Que j’écrive des contes, des albums, des petits polars ou des textes traitant de sujets de société, j’aime faire passer l’idée que l’on peut trouver en soi les moyens de combattre, de faire évoluer une situation difficile (ou que, parfois, l’accepter permet de grandir, de rebondir). Même lorsque j’aborde des sujets qui amènent mes jeunes lecteurs à réfléchir, j’ai besoin de puiser cette légèreté en moi pour la souffler à travers mes mots. Je le fais d’instinct et si mon moral ne suit pas, je n’écris pas.
"La pollution en suspens déposée, la lumière pouvait repasser. Début mai, j’ai repris l’écriture."
Pendant le confinement, l’air était trop pesant autour de nous tous. J’ai mis plusieurs semaines à pouvoir me remettre à mon bureau. Ce trouble ambiant étouffait mon optimisme et donc ma force d’écriture. Et puis, j’ai intégré tout cela. La pollution en suspens déposée, la lumière pouvait repasser. Début mai, j’ai repris l’écriture.
À quel moment, en tant qu'auteure, as-tu commencé à t’interroger sur les stéréotypes que tu pouvais véhiculer à travers tes histoires ?
C.P. : Depuis mon plus jeune âge, je suis sensible à l’injustice sociale entre les femmes et les hommes, aux rôles que la société attribue à chacun. J’ai des souvenirs de rage intérieure lorsque je constatais que ma mère avait moins de droits sociaux que mon père, y compris pour s’occuper de nous.
Entre 2005 et 2012, j’ai écrit pour les éditions Lito des recueils de contes que cet éditeur destinait plutôt à des filles (histoires de princesses, de fées, de sorcières, d’aventurières, etc.). Ces femmes-là, je les ai souhaitées courageuses, actives, éprises d’aventures et déterminées face à l’adversité. En toute conscience, je donnais à mes héroïnes les qualités que la société prête généralement aux garçons. Cependant, des années plus tard, j’ai relevé lors de relectures que mes princesses émancipées utilisaient aussi beauté et coquetterie pour arriver à naviguer, que leur mère, la reine, n’avait que peu d’impact sur les décisions que leur père, roi tout puissant, prenait… je me suis dit "aïe ! même si je transmets à mes lecteurs l’image de jeunes filles libres, responsables et fortes, je n’ai pas malgré moi atteint l’objectif antisexiste que je voulais me fixer !" Nous sommes tous et toutes, prisonniers de stéréotypes à déconstruire et je rêve de parvenir à m’en dégager sans tomber dans un excès inverse.
Quel genre de question te poses-tu aujourd’hui quand tu commences un récit ? Comment trouver l’équilibre pour ne pas basculer justement dans une situation de stéréotype inversé ?
C.P. : Pour les éditions Hatier, j’écris des petits polars destinés aux enfants de 7/10 ans. Les enquêtes des TIP-TOP (illustrées par Raymond Sébastien dont j’aime vraiment beaucoup le travail), sont menées par trois enfants dans le grand hôtel où ils vivent. Ainsi, j’ai réfléchi à la place qu’occupent les deux filles et leur frère dans l’histoire. Tous trois âgés de 6 à 10 ans, ils sont tour à tour courageux, vainqueur, vaincu, malin, rêveur, colérique ou étourdi. Les rôles et les responsabilités que je leur donne dans l’enquête n’a rien à voir avec leur genre. Leur mère est un agent double, officiellement chargée de sécurité et officieusement espionne pour le gouvernement. Leur père, chef cuisinier, est souvent là pour s’occuper d’eux. Suivant les aventures, le dénouement révèle un ou une coupable. J’ai essayé de créer un univers où les capacités des personnages ne sont pas dues à leur sexe mais à leur personnalité.
Comment trouver l’équilibre ? Comment être juste et engagé tout en restant au service de son récit ?
C.P. : C’est justement un des aspects auxquels je voulais réfléchir pendant ma résidence.
Comment envisageais-tu d’approfondir tes connaissances dans ce domaine ?
C.P. : Principalement en lisant des essais, en recherchant des informations sur la mixité à l’école et en tentant par la suite de créer une histoire destinée aux enfants sur ce sujet.
"Je compte bien écrire un petit roman sur le sujet des stéréotypes de genre lorsque je possèderai mieux ce sujet (et pourquoi pas en juin 2021 !)."
As-tu avancé sur cette histoire que tu souhaites raconter ou as-tu choisi de repousser ce temps de création à juin 2021 ?
C.P. : Je compte bien écrire un petit roman sur le sujet des stéréotypes de genre lorsque je possèderai mieux ce sujet (et pourquoi pas en juin 2021 !). Dans mon rêve, je l’aimerais plutôt tonique afin que sa lecture soit un plaisir. Le sourire me permettra d’aborder avec légèreté ce sujet profond, de faire comprendre à mes lecteurs l’injustice des stéréotypes car un phénomène identifié est plus facile à combattre.
As-tu eu à faire à des éditeurs qui t’ont imposé des choses, dans un sens comme dans un autre, que tu as eu du mal à accepter ? Au niveau d’un personnage. Du genre : non, une fille ne peut pas faire ça…
C.P. : Non, je n’ai pas rencontré ce genre de difficultés, peut-être parce que je n’ai jusqu’à présent travaillé qu’avec des éditrices, des femmes qui partagent mon point de vue…
Est-ce que tu penses qu’on véhicule des stéréotypes différents selon si on est une femme ou un homme ?
C.P. : Pour moi, ils sont forcément identiques pour créer une société bien huilée. Les filles apprennent qu’elles sont sensibles, littéraires, suiveuses et les garçons qu’ils sont costauds, matheux, décideurs. Un garçon s’attend à ce qu’une fille soit délicate et réservée, parfois frivole, et une fille est encouragée à lui laisser l’espace, la réflexion et la puissance "parce que sa place est là". Les stéréotypes culturels se sont emboités ainsi les uns dans les autres pour que la suprématie de l’un des sexes s’installe au cours des siècles. Pourtant, le caractère inné d’un enfant ne correspond pas à son sexe.
D’où viennent-ils d’après toi, ces stéréotypes ?
C.P. : Ils sont dans l’éducation aimante des mères et des pères, dans les exemples silencieux que nous donnons bien malgré nous, dans la place qu’une famille laisse à chacun au sein du groupe. Ils sont en fait dans notre environnement tout entier : à l’école, dans les films, les dessins animés, les chansons, les jeux, les couleurs et, bien sûr, dans les livres. Je rêve d’une société où les filles comme les garçons pourraient connaitre leurs véritables aspirations et devenir ce qu’ils sont profondément, loin des chemins très balisés que notre société leur concède.
Est-ce que les enfants que tu rencontres autour de tes livres t’ont déjà parlé de stéréotypes ?
C.P. : Je n’ai pas encore eu de discussions à ce sujet avec des classes. Cependant, en séance de dédicaces, je propose toujours à l’enfant de choisir la couleur du stylo avec laquelle je vais signer son livre. Ce que j’observe est assez amusant : l’attirance naturelle pour une couleur dirige moins le choix que le symbole qu’elle représente. Parmi une dizaine de coloris, une fille va choisir aussitôt du rose (ou violet après 8-9 ans) ou au contraire s’y opposer avec force. Les rebelles au rose choisiront fièrement du bleu ou de vert, et leur détermination me montre qu’elles pensent se ranger du côté des gagnants. Les garçons veulent généralement du noir, du bleu ou du vert. Ceux qui lorgnent mon stylo doré sont loin d’être rares mais après réflexion, ils choisissent plutôt l’argenté, au code plus masculin. Aucun garçon, jamais, ne choisit du rose ou du mauve sous peine d’essuyer des moqueries (j’ai un stylo rose argenté qu’ils reposent aussitôt après avoir détecté la vraie teinte !). Les couleurs ne sont que des détails, mais elles disent beaucoup de choses…
"Je n’ai pas encore exploré l’écriture de romans pour les 13 ans et plus. […] Un jour, j’y viendrai peut-être à l’occasion d’une résidence d’auteur !"
Tu permets aussi à ces enfants de rencontrer, sous un autre regard, des personnes ayant traversé l’Histoire. Quelle place donnes-tu aux femmes et aux hommes dans tes choix ?
C.P. : Effectivement, pour les éditions Larousse Jeunesse, j’écris une collection destinée aux 5/10 ans dans laquelle je mets en scène de grands personnages historiques ou légendaires dans un moment décisif de leur vie que je choisis. En septembre 2020, douze titres de La Grande Histoire du soir, illustrés par la géniale et espiègle Prisca Le Tandé sont déjà publiés : Jeanne d’Arc, Léonard de Vinci, Marie Curie, Pasteur, Cléopâtre, Mozart… D’autres sont en cours d’écriture. Là aussi je cherche à offrir aux filles des héroïnes puissantes auxquelles elles peuvent s’identifier. Cependant, établir une parité dans les titres de la collection est un défi difficile à relever lorsque l’on considère la place que les hommes ont laissé aux femmes au cours des siècles. Pour le moment, nous y parvenons !
Albums pour tout petits, mythologie grecque, contexte historique, enquêtes policières, romans autours de faits de société, contes, premières lectures… ta biographie est très variée. Y a-t-il un genre que tu n’as pas encore abordé ?
C.P. : C’est vrai, je remarque que mes domaines d’écriture sont vraiment éclectiques. Tous m’intéressent, m’amusent ou m’interpellent au même titre, et je n’ai aucune envie de privilégier l’un d’eux ! Cependant, je n’ai pas encore exploré l’écriture de romans pour les 13 ans et plus. Pour le moment, je n’y suis pas prête : inconfort de me replonger dans les affres de l’adolescence sans doute… Un jour, j’y viendrai peut-être à l’occasion d’une résidence d’auteur !