"Compte-rendu de non-résidence"
Il y a un an, l’auteur jeunesse Vivien Bessières était l’heureux lauréat de la résidence croisée Québec/Nouvelle-Aquitaine, un partenariat entre ALCA et la Maison de la littérature à Québec qui permet de recevoir à Bordeaux un auteur québécois et d’envoyer un auteur néo-aquitain au printemps travailler près du Saint-Laurent.
Mais voilà : nouvelle épidémie, 1er confinement le 17 mars 2020 et patatras – comme on l’écrit en littérature jeunesse –, sa résidence est annulée. La bourse d’écriture associée lui a été aussitôt versée mais voici tout de même ce que nous a confié Vivien sur ce… "faux" départ.
J’ai commencé à avoir vraiment peur de l’avion vers mes trente ans, à partir du moment où j’ai eu ma première fille.
Je l’ai pris à deux reprises quand j’étais plus jeune.
La première fois, c’était vers mes dix-sept ans pour aller en Finlande avec deux ami(e)s. À l’époque, on était fans d’Aki Kaurismaki et on comptait partir sur ses traces, boire une bière dans le bar qu’il tenait à Helsinki – et où il n’était pas seulement autorisé mais obligatoire de fumer… C’était il y a vingt ans et je n’allais arrêter de fumer que bien plus tard, à mes trente ans également.
La seconde fois, c’était vers mes vingt-cinq ans pour suivre ma compagne trois mois à Copenhague. J’adorais aussi Lars von Trier et tous ces réalisateurs scandinaves déprimants, donc ça tombait bien.
En tout cas, je ne sais pas comment j’ai pu être assez inconscient à l’époque pour m’envoler ainsi, au mépris du danger. J’étais vraiment une tête brûlée (à la recherche d’un refroidissement nordique). Heureusement, depuis que je suis devenu père, toute cette prise de risque inconsidérée est bel et bien terminée. Voilà bientôt dix ans que je n’ai pratiquement pas bougé de chez moi et je fais tout pour que ma famille ne bouge pas trop non plus.
Quand il faut vraiment que je me déplace au-dehors, alors pas question de le faire en avion – ni même en voiture, bien sûr. Je déteste en général tous les moyens de locomotion d’après les années cinquante, qui enlaidissent le monde avec leurs aéroports, autoroutes et tout ce qui s’ensuit (centres commerciaux, banlieues dortoirs, élevages industriels, entreprises délocalisées, pollution à grande échelle, etc.). C’est évident, le progrès aurait dû s’arrêter avec le vélo, le train et le bateau – et quand on me répète qu’ils sont plus risqués que l’avion, je sais très bien que c’est faux, que c’est juste de la propagande des lobbys de l’aéronautique.
Ainsi donc, quand s’est offerte à moi la possibilité d’une résidence à Québec, j’avais certes vraiment très envie, puisque j’adore tout ce qui est confinement quelque part tout seul pour ne rien faire qu’écrire et lire – et surtout quand c’est dans un pays froid, où l’on n’a pas à se sentir coupable de déprimer.
"J’aurais bien tenté le paquebot ou le cargo, voire le voilier comme Greta Thunberg mais il y avait un problème de timing : au moment de mon arrivée là-bas, il m’aurait fallu repartir."
Cependant, en vérifiant sur Google Maps, mes soupçons se sont confirmés que je ne pouvais pas m’y rendre à pied ou à vélo depuis Limoges – ni même, dans l’attente d’un tunnel sous l’Atlantique, en train. J’aurais bien tenté le paquebot ou le cargo, voire le voilier comme Greta Thunberg mais il y avait un problème de timing : au moment de mon arrivée là-bas, il m’aurait fallu repartir.
Alors, non sans panache et sous les applaudissements de ma famille, je me suis résolu à la perspective de reprendre l’avion.
Ma compagne et mes deux filles ne se sont plus tenues de joie en apprenant que j’avais obtenu la résidence : deux mois tranquilles sans moi ! De mon côté, j’ai rectifié mon testament pour déshériter ces traîtresses au profit de l’association Plane Stupid, un groupuscule britannique qui regroupe tout ce que je préfère en matière d’éthique : de la non-violence (je n’ai jamais eu les moyens du contraire) et dirigée contre les avions (ces montures du diable).
À mesure que j’approchais du jour J, j’ai enchaîné les crises d’angoisse, de panique et autres catatonies ou apoplexies. Ma compagne m’a suggéré d’aller consulter un psy et d’en profiter pour régler toutes mes autres névroses mais je ne voyais pas de quoi elle voulait parler ; je n’avais aucun problème d’ordre psychologique à régler. Ce n’était pas à moi mais au monde de changer de comportement, notamment en fermant les aéroports.
C’est à ce moment-là que la Covid-19 est arrivée…
Cette crise n’était évidemment rien d’autre qu’un signe des Dieux pour me sauver du crash inéluctable. Il n’y avait qu’à voir : à son plus fort, elle a duré presque exactement le nombre de jours qu’aurait dû durer ma résidence. De plus, elle m’a permis de bénéficier de tout ce que j’attendais de la résidence à Québec sans l’inconvénient du voyage en avion : un confinement tel que je les aime. Je dirais même que le monde entier s’est mis au diapason de mes névroses : plus d’avions, plus de sorties inopinées dehors, etc.
"Forcément, j’attendais beaucoup du séjour en lui-même, notamment pour me familiariser avec la parlure du pays et étoffer ainsi le background québécois de mon héroïne, mais ALCA et la Maison de la Littérature de Québec m’ont aussi offert la possibilité de candidater à nouveau l’année prochaine, en 2021 à cette résidence et, exceptionnellement, sans délai de carence."
Cependant, bien sûr, il y avait le problème du virus lui-même… Je me suis rendu compte que j’avais encore plus peur des virus que des avions, et mon proche entourage s’est rendu compte que je pouvais être encore plus névrosé à cause d’un virus que je ne l’étais déjà à cause des avions. En gros, j’étais pour un monde confiné mais sans le virus et la mort qui va avec (je suis encore plus contre la mort que contre les avions et les virus), et sans l’aggravation des inégalités économiques et sociales (je suis contre aussi).
Pour autant, ce qui est sûr, c’est que grâce à toute l’aide d’ALCA Nouvelle-Aquitaine, qui a offert de me verser quand même la bourse de résidence malgré l’annulation de mon séjour, j’ai tout de même pu avancer grandement dans mon travail1 et terminer une première version déjà bien aboutie de mon projet de roman. Cette bourse m’a énormément motivé pour mener à bien ce projet malgré la situation.
Forcément, j’attendais beaucoup du séjour en lui-même, notamment pour me familiariser avec la parlure du pays et étoffer ainsi le background québécois de mon héroïne, mais ALCA et la Maison de la Littérature de Québec m’ont aussi offert la possibilité de candidater à nouveau l’année prochaine, en 2021 à cette résidence et, exceptionnellement, sans délai de carence. J’aurai donc peut-être une nouvelle chance de pouvoir prendre l’avion et de me confronter à mes démons, que ce soit dans le siège d’un vol transatlantique ou sur les pages blanches de mon traitement de texte.
1Vivien Bessières a postulé pour écrire un roman jeunesse, intitulé alors Machine arrière dont la narratrice est québécoise.