Dans une parenthèse en quête de forme
L’illustratrice Julie Escoriza était en résidence au Chalet Mauriac du 7 septembre au 30 octobre derniers. À l’arrivée de l’automne, la lauréate Jeunesse nous raconte avec passion son parcours, ses multiples techniques et les deux projets de livres qui grandissent peu à peu dans ce lieu paisible et créatif.
À une heure de Bordeaux, au cœur des Landes de Gascogne, dans le bourg de Saint-Symphorien, se cache une arcachonnaise de 1891. Nichée dans un grand domaine de verdure et d’arbres anciens, ce lieu de villégiature aura marqué la jeunesse de François Mauriac et continue aujourd’hui d’inspirer ses résidents.
Il est 10h, on sonne. Chantal, l’intendante, ouvre la porte et déambule avec nous, avant de partir s’affairer à ses tâches quotidiennes. Aimée Ardouin, la coordinatrice des résidences, nous accueille au premier étage pour découvrir les cinq ateliers avec vue sur le parc, nous raconter l’histoire du lieu et présenter son plus ancien résident : Mimine le chat noir, qui a justement choisi de roupiller dans l’atelier de travail de notre illustratrice.
L’illustration sous le signe de la didactique et du relief
C’est dans la désuète cuisine du Chalet que Julie Escoriza nous déploie sur une grande table ses carnets de croquis, collages colorés, maquettes et dernières publications.
"Mon envie de faire des livres s'est développée petit à petit. Jusqu'à présent j'ai plutôt travaillé à partir de commandes, mais je cherche à aller de plus en plus vers des projets personnels".
Après un bac en art appliqué, la jeune Strasbourgeoise s’installe à Barcelone pour découvrir ses racines espagnoles et étudier l’illustration à l’Ecola Massana. De cette expérience naîtra son premier album jeunesse, ¿ Quién es el más fuerte del mundo écrit par Alberto Sobrino, qu’elle va co-illustrer avec Joan Casaramona chez l’éditeur espagnol A Buen Paso, en 2014.1 Elle retournera ensuite à Strasbourg pour reprendre des études à la Hear, en didactique visuelle : "C'est une formation où nous étions libres d'expérimenter l'image sous de nombreuses formes, de l'illustration au design graphique en passant par le jeu par exemple, toujours avec pour objectif d'être dans la transmission d'une information."2 Un grand moteur de recherche et d’inspiration pour cette illustratrice et designer graphique : "Cela m’a permis de m’ouvrir à d’autres voies, en sortant un peu de l’illustration pour aller vers un travail plus large autour de l'image, ce qui permet aussi de toucher d'autres publics".
D’ailleurs, son dernier titre, La Tribu, était un projet d’étude et vient juste de paraître chez Gallimard Giboulées. C’est un charmant petit livre pop-up et documentaire au format carré, pour partir à la découverte d’une bande de singes de papier : "Sans foisonnement d’informations. C'est un livre qui fonctionne un peu comme un voyage visuel, qui plonge le lecteur au cœur de la forêt tropicale". Ce sera seulement à la fin de l’album que les enfants en apprendront plus sur ces macaques des forêts tropicales de l’île indonésienne de Sulawesi, avec son aspect écologique.
Julie développe ainsi son univers coloré par le relief, avec le pop-up, mais aussi la fabrication de pantins en bois3 : "J'aime le côté technique de ce genre de projets, où le travail de l'image se mêle à des contraintes pratiques, au mouvement, au volume. Avec les pantins je me suis beaucoup amusée. Mais très vite on se confronte à une limite technique. Peindre, coller, assembler… ma petite production manuelle devient vite laborieuse. Pour la suite, j’essaye de réfléchir à des collaborations avec des éditeurs de jeux ou de jouets".
L’influence d’un ailleurs et des autres : de Barcelone au Chalet Mauriac
Entre Strasbourg et Barcelone pour les études et des résidences à Marseille et Kinshasa, Julie Escoriza aime ces expériences personnelles assez fortes : "Partir vivre à Barcelone a eu beaucoup d'importance dans ma vie. C’est une autre façon de vivre, une autre langue et c’est tellement stimulant d’être entourée de nouveautés. On est assez chanceux en tant qu’auteur d’avoir cette flexibilité, ces opportunités de voyage". Son travail va ainsi évoluer entre la France et l’Espagne. "Je pense que des univers se dégagent des lieux où nous sommes. C’est inévitable, en changeant d’espace on est influencé par d'autres choses, d'autres personnes. Mon univers graphique n'est pas le même à Barcelone et à Strasbourg !".
L’illustratrice se nourrit à nouveau du croisement des disciplines avec cette résidence au Chalet Mauriac : "C’est vraiment stimulant d'être dans un lieu comme le Chalet, on est comme dans une parenthèse ici. On met en pause tout le reste pour se concentrer sur la création, et on croise d’autres artistes dans des pratiques à la fois similaires et différentes". Cette émulation au calme lui a permis de rencontrer un romancier, une traductrice estonienne, une auteure de romans pour ados, un réalisateur, un auteur de bande dessinée et un scénariste théâtre. "Finalement, je me rends compte qu’on se pose tous un peu les mêmes questions. Mais c'est très intéressant car chacun à son propre processus de création."
Petit inventaire de ses travaux en cours…
L’illustratrice est arrivée au Chalet Mauriac avec deux projets dans sa valise. "Ils se ressemblent car ils prennent tous les deux une forme d’inventaires, où chaque double-page raconte une micro-histoire. Dans ces projets, je travaille aussi les textes et c’est tout nouveau pour moi !".
Son premier livre, Le Tournesol trop curieux & autres aventures cueillies dans la nature, est un album où des éléments de la flore sont représentés pour vivre une situation inédite (comme le fâcheux torticolis d’un tournesol). Ce livre contient sur chaque page des jeux de mots et jeux graphiques, qui peuvent être lus par les petits comme les grands. "Je travaille ici à l’encre de Chine, tout est d'abord peint en noir. Après avoir scanné, j’applique les couleurs numériquement, pour pouvoir utiliser des tons très vifs, comme avec la technique de la sérigraphie. Finalement, mes originaux ne sont jamais des images complètes, plutôt des bouts de dessins avec lesquels je compose." Ainsi, les images de ce livre sont expérimentées avec des techniques différentes, avant d’en choisir une : "Ce sont des images qui paraissent très simples finalement. Mais pour en arriver là, je passe toujours par beaucoup d’étapes compliquées !".
Depuis trois ans, Julie garde dans ses tiroirs un deuxième projet, amorcé lors d’une résidence à Marseille, en partenariat avec La Marelle et Fotokino : "Au départ, c’était un livre au format numérique. Mais c'était vraiment ambitieux et, petit à petit, je suis revenue vers le livre papier." C’est ainsi pour ce livre provisoirement nommé La Vie élastique qu’est née son envie d’une résidence au Chalet Mauriac.
"Ce sont de petites anecdotes visuelles, une accumulation de jeux graphiques qui fonctionnent par scénettes : parfois sous forme de petite séquence, parfois avec une image seule." Julie Escoriza développe alors tout un petit monde de papier dans lequel on se plonge, en alternant entre bandes dessinées muettes, jeux de mots et cabochons, donnant ainsi différents rythmes et respirations. La maquette dévoile un court texte qui associe une histoire à un personnage, comme un inventaire de gens, à relier sans systématisme.
"À l'origine de ce projet, une amie m’avait mis au défi de faire un dessin par jour. J'avais ainsi accumulé plein de petites idées graphiques, sans me soucier de leur rendu". Elle s’amuse ainsi à inventer des expressions françaises. Les traduire littéralement leur donne une réalité, comme par exemple "Se prendre l’automne sur la tête" ou "Avoir l'arrosage étanche". Ainsi, elle joue avec un élément banal du quotidien pour émettre de l’absurde et "cela peut finalement raconter plein de choses".
À la recherche de la forme perdue
"Dans ce projet, je n’ai pas encore décidé de la direction que je voulais prendre au niveau formel. J’ai surtout travaillé sur le contenu. La résidence au Chalet Mauriac m'a vraiment permis de me concentrer là-dessus. En quittant le numérique pour rester sur le papier, il fallait que cela fonctionne comme un livre et non seulement une suite d’images. Je suis encore dans la recherche de ce fil conducteur, ce petit déclic qui accompagnera mes personnages et structurera le livre."
Julie Escoriza a donc son livre. Reste la forme, qu’elle trouvera sans doute derrière un arbre du Chalet ou sous le coussin du chat résident… Affaire à suivre, en librairie !
1Ce titre a fait l’objet d’une traduction française en 2016 : Qui est le plus fort du monde ?, éditions Marmaille & Compagnie.
2La Hear à Strasbourg, cette fameuse école des arts décoratifs qui a vu passer Blutch, Marion Fayolle, Anouk Ricard et Simon Roussin (voir lien).
3Pantins en bois à voir sur son site (voir lien).
Bordelaise depuis 15 ans, elle imagine aujourd’hui un nouveau festival autour du livre et de l’image dans sa ville. Le festival Gribouillis !
(Illustration : Anne-Perrine Couët)