De l'or pour les chiens


En salle ce mercredi 30 juin, De l’or pour les chiens est un premier film, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, qui traite avec acuité et sensibilité le cheminement intérieur d’une jeune fille d’aujourd’hui, dont l’amour est le seul langage. Prologue est allé à la rencontre d'Anna Cazenave Cambet et Romain Blondeau, respectivement réalisatrice et producteur associé (CG cinéma).
De l’or pour les chiens est votre premier long métrage. A-t-il été difficile à produire ?
Anna Cazenave Cambet : Nous avons eu du mal à monter le film. Il y a eu plein de rebondissements, notamment dans le financement pour lequel nous n'avons pas obtenu autant de fonds qu'espéré après plusieurs présentations au CNC. J’ai commencé à écrire le film fin 2016 dans le cadre de ma dernière année à La Fémis [section réalisation, ndlr]. J’avais rencontré Romain à Cannes, il avait aimé mon court métrage Gabber Lover et je lui avais dit à ce moment-là que je lui montrerais le scénario de mon premier long, ainsi qu’à Charles Gillibert [producteur délégué du film]. Et dès 2017, j’avais une première version à leur faire lire.
Romain Blondeau : Ça a pris deux ans. Le film est en trois actes et n’a pas une narration très classique, il a donc fallu être convaincant. Le budget était serré. On a tourné en 24 jours dans des conditions un peu "roots" mais Anna n’a pas eu besoin de faire de coupes et a tourné le film qu’elle avait écrit.
En quoi le soutien de la Région Nouvelle-aquitaine a-t-il été déterminant ?
R.B. : C’est quand même un comité sélectif donc avoir le soutien de la Région valorise le projet, c’est un signal fort adressé au marché et on arrive plus sûr de soi pour boucler le financement. La Région, c’est vraiment la base, le premier maillon de la chaîne en quelque sorte. C’était hyper important pour nous car il ne s’agissait pas d’une simple subvention, on a vraiment tourné dans la région, on y était "ancrés". Et on a été très bien accueillis par le Bureau d’accueil des tournages pour les repérages, les techniciens locaux, etc.
La première partie du film est tournée dans les Landes. Pourquoi ce lieu ?
A.C.C. : Je suis du coin. J’ai vraiment écrit le scénario avec ces décors en tête. Avant d’avoir le soutien de la Région, on ne savait pas si ce serait vraiment possible de tourner dans les Landes mais c’est vraiment un aspect du projet sur lequel je ne voulais pas lâcher. J’en connais chaque recoin. Une grande partie du tournage était déjà pré-repérée avant même les repérages (rires).
De l’or pour les chiens raconte le parcours d’émancipation d’une jeune fille un peu perdue, totalement livrée à elle-même, abandonnée par sa mère, méprisée par les hommes. Mais le film n’est jamais sinistre. Il est même très solaire…
A.C.C. : Lors d’une projection, une spectatrice m’a dit qu’elle trouvait le film résolument tourné vers la vie et ça m’a fait plaisir car même si Esther peut sembler passive au début, elle est surtout très forte ! Et c’est comme ça que Tallulah Cassavetti [l’actrice principale] l’a perçue aussi. Elle n’est pas si paumée que ça, elle traverse à pied une autoroute quand même ! Et ça la définit bien. Elle y va, elle n’a pas peur. Mais elle est hors-normes, elle n’a pas les codes qu’on attend d’une jeune fille de son âge. Elle se heurte à des situations qu’elle n’avait pas envisagées parce qu’elle est pure. Elle n’est pas rompue aux codes de survie, c’est une fille de la campagne. Le spectateur en revanche tremble pour elle.
Esther est une très jeune fille qui a le corps d’une femme et est perçue par la plupart des hommes comme telle. On a l’impression d’une sorte de malentendu…
A.C.C. : Oui. Esther donne son corps comme elle donnerait autre chose. C’est cela qui crée le malentendu. Elle donne son corps à Jean sans limite. C’était aussi l’intérêt de parler de la sortie de l’adolescence, cet âge entre-deux où l’on est encore dans une grande immaturité affective. Et en tant que femme, on peut être devancée par ce qu’on renvoie au monde. Les hommes attendent plus d’Esther que ce à quoi elle est prête.
"C’était important pour moi en tant que femme réalisatrice de me demander comment j’allais filmer ça, ce que j’allais montrer. Le viol, ça n’est pas toujours par surprise dans une ruelle sombre."
La scène dans la baignoire est clairement une scène de viol. Pourtant il y aura sûrement des gens pour penser que ça n’en est pas un car Esther ne cherche pas à s’enfuir et qu’elle ne proteste pas violemment…
A.C.C. : C’était tout l’enjeu de cette scène. Une zone grise difficile à défendre dans les différents comités. Parce que ça heurte les spectateurs qui se demandent ce qu’ils sont en train de voir. C’était important pour moi en tant que femme réalisatrice de me demander comment j’allais filmer ça, ce que j’allais montrer. Le viol, ça n’est pas toujours par surprise dans une ruelle sombre. Là, il découle d’un jeu, de la pression d’un groupe sur une jeune fille un peu à l’écart, d’une humiliation collective. Quand elle se retrouve enfermée dans la salle de bain avec ce jeune homme, elle est tétanisée. C’est une scène qui ne montre pas grand-chose mais qui crée le débat.
R.B. : C’est vrai qu’à la lecture, je n’avais pas instinctivement identifié ce moment comme un viol. J’ai bien senti le malaise et l’inconfort mais les discussions avec Anna ont été intéressantes et très éclairantes par rapport à la manière de lire le scénario. Et ça a orienté la façon dont on a vendu le projet. Anna incarne une nouvelle génération de cinéastes hyper sensible à ces sujets-là, qui a un regard très aiguisé sur ces questions. Il faut les écouter.
Jean semble la considérer comme un objet purement sexuel, le garçon de la fête également, le nouveau compagnon de sa mère ne porte pas non plus sur elle un regard très sain. Seul le gérant du bar parisien dans lequel elle échoue la respecte…
A.C.C. : Jean n’est pas un connard mais un garçon "autorisé". Je pense qu’il manque moins de respect que de sensibilité. Esther ne lui a pas dit toute la place qu’il prend dans son cœur. Et lui ne va pas chercher à comprendre de quelle manière il l’impacte. En revanche, le mec qui la viole n’a pas de circonstance atténuante. Il lui tient un discours ignoble et profite de sa vulnérabilité. Concernant le gérant du bar, à l’écriture, j’ai vraiment essayé de doser : il ne fallait pas que tous les personnages masculins avec lesquels elle interagit soient des hommes tordus. Celui-là est stable, il est au "bon endroit", il lui rappelle sa jeunesse et ne rentre pas dans son jeu.
Dans votre film il y a un contraste très net entre la lumière du Sud et Paris qui est filmée essentiellement de nuit, comme une ville obscure et hostile. Paradoxalement on respire à nouveau à l’arrivé d’Esther au couvent, la lumière revient, au propre comme au figuré…
A.C.C. : Pourtant, même si on filme toujours en scope, on a travaillé le cadre dans le cadre, au plus proche d’elle dans cet espace clos. La respiration vient du fait que dans ce couvent, elle est à l’abri du monde, du bruit, du danger, contrairement à la ville qui est dense et bruyante.
Quelle est la nature de la relation entre Esther et sœur Lætitia ?
A.C.C. : Esther a beaucoup d’amour à donner, peu importe le sexe de l’objet de son affection. Elle est fascinée par sœur Lætitia, elle voudrait être son amie, sa sœur, son amoureuse. La sœur est troublée mais pas vraiment au même endroit. C’est la vie que fait rentrer Esther dans ce couvent qui la bouscule.
On peut faire un parallèle entre De l’or pour les chiens et Les Quatre cents coups qui est aussi un premier film. Certes, le film de François Truffaut ne soulève pas les mêmes questions mais c’est aussi le récit d’une enfance cabossée, d’un gamin qui s’émancipe et qui prend des risques, jusqu’au plan final où il court vers la mer… L’aviez-vous en tête à l’écriture ?
A.C.C. : Pas du tout. Je l’ai vu il y a très longtemps et il ne m’a pas marquée plus que ça. Mais mon monteur a en effet attiré mon attention sur le parallèle entre les derniers plans des deux films. Après on ne sait jamais comment les œuvres nous traversent et infusent en nous mais ce n’est pas conscient en tout cas. Il faudrait que je le revoie.
Comment avez-vous reçu la sélection du film à la Semaine de la Critique l’année dernière ?
R.B. : C’était une très grande nouvelle pour le film. C’est une sélection très qualitative et il y a peu de grands cinéastes français ou étrangers qui ont échappé au radar de la Semaine de la Critique. Ça va donner une très grande visibilité au film et lui permettre d’exister. Une vraie bénédiction.
Le Festival de Cannes débute bientôt, du 6 au 17 juillet. CG Cinéma a-t-il des films en sélection ?
R.B. : Oui, Annette de Leos Carax qui fait l’ouverture [et qui sort dans la foulée] et Bergman Island, le nouveau film de Mia Hansen Løve, tous deux en compétition !
