"Didlidam Didlidom", pour quelques fruits d’or
Et si les adultes étaient capables de faire de grosses bêtises, de celles qui conduisent aux plus grandes catastrophes ? Et si parler d’écologie et de mieux vivre ensemble aux tout-petits était envisageable sans être anxiogène ni moralisateur par la grâce d’un album gai et sautillant, coloré comme un beau jour de printemps ? Impossible diriez-vous ? Il fallait Sabine de Greef et son lumineux Didlidam Didlidom pour relever le défi et y ajouter un bon zeste d’humour et de poésie ! L'album a été écrit au Chalet Mauriac en 2022, durant l’été des grands incendies.
Didlidam Didlidom : un titre et deux noms qui donnent le la et sonnent et résonnent comme un début de comptine, (clin d’œil à Il était un petit homme… Pirouette Cacahuète ?) une sonorité qui capte l’attention autant qu’elle amuse. Et que dire des couleurs, franches, intenses, solaires et lumineuses, du trait rond et rassurant des personnages de papier découpé et collé qui semblent virevolter sur la page ? Les contrastes sont forts, accrochent le regard, tandis que le titre s’annonce comme une promesse de gaieté à venir.
"Il était un petit homme didlidom…et une petite dame didlidam". Deux voisins qui vivent en paix, l’un avec un chien, un canard, un mouton, l’autre avec sa vache, sa poule et son chat Barnabé. Le ciel est d’un bleu intense, on y voit le soleil, la lune et des milliers d’étoiles. Le paradis en somme. D’autant qu’un arbre très généreux leur donne à l’un et à l’autre, planté qu’il est entre leurs deux maisons, de beaux fruits d’or en abondance. Perchés en haut de leur échelle, Petit Homme et Petite Dame remplissent leur panier. Ils n’en n’ont jamais assez, montent sur leur toit pour en cueillir davantage. Où vont-ils s’arrêter ?
Mais voilà qu’un jour, "Nomdidoum, nondidom, dit Petit Homme, elle en prend plus que moi, non mais ça, ça ne va pas". Jaloux, Petit Homme ? Et le voilà qui pose son mouton sur son toit pour monter plus haut que Petite Dame. Comme si elle allait en rester là…
Dans un jeu de va et vient, le lecteur assiste aux manœuvres de plus en plus périlleuses des deux protagonistes qui entament une absurde compétition pour monter toujours plus haut et récolter toujours plus de fruits que son voisin. Sur chacun des toits se dressent alors deux tours branlantes composées d’échafaudages de fortune qui ne sont pas sans rappeler l’irrésistible Et…badaboum (éditions Pastel) de l’autrice bruxelloise . Pour la plus grande joie des enfants qui anticipent (à raison) la chute à venir, l’un et l’autre empile les animaux en sa possession, animaux qui ne sont pas sans protester à grand renforts de cris, tandis que les paniers débordent de fruits, bien plus que de raison. Les visages se crispent, la tension s’exacerbe et la folie guette…
Toujours plus ! Jusqu’à tendre les bras pour attraper le soleil et la lune. Jusqu’à la catastrophe attendue…
Non seulement tout s’écroule mais le ciel gronde et se déchire. Même le bleu intense qui domine l’album prend un ton plus sombre, celui de l’orage. Tout le monde tombe cul par-dessus tête, l’arbre est cassé, les maisons détruites. "Aïe aïe aïe, quel fracas" !
Si bêtises et donc catastrophe il y a, il y a aussi reconstruction. Après l’effondrement, que se passe-t-il ? Finalement, bien peu de livres se lancent dans des tentatives de réponses à cette vaste interrogation ! Mais pas impossible de laisser les enfants devant une image de destruction aussi prévisible soit-elle…
La grande force de Sabine de Greef est de montrer les conditions nécessaires à la reconstruction : une prise de conscience et une volonté.
"On a voulu tout prendre et on a tout cassé (…) on est tombé bien bas, il va falloir ranger tout ça". Sauf que parfois, les bonnes volontés, ça ne suffit pas ! Sabine de Greef convoque à nouveau l’humour pour montrer à son lecteur toutes les erreurs que l’on peut faire si on ne prend pas le temps de bien réfléchir tous ensemble. Reconstruire pour faire moins bien ? Quelle erreur ! "Nondidoum, qu’avons-nous fait, ça ne va pas ! Il faut tout recommencer."
A force de réflexion et d’un zeste de sagesse, Petite Dame et Petit Homme sont arrivés à reconstruire ce qu’ils avaient détruit par leur stupide surenchère mais en mieux !
Comment parler de cupidité et de convoitise aux enfants ? Et à mots couverts, de surconsommation, de responsabilité, des conséquences de nos actes et d’effondrement ? De cette fièvre qui nous pousse à vouloir toujours plus, quitte à détruire ce qui nous est le plus cher ? D’un monde qui pourrait bien s’effondrer si toutes ses richesses sont surexploitées ? Et donner à partager entre adultes et enfants une histoire qui amène à réfléchir sans qu’elle soit moralisatrice ou culpabilisante ?
En posant ses bagages et surtout ses papiers, crayons, couleurs et ciseaux pour une longue résidence au Chalet Mauriac au printemps 2022, Sabine de Greef, lauréate du salon de Saint Symphorien Du sang sur la page, tournait autour de l’idée d’une forêt en proie à la course au profit et à l’urbanisation, jusqu’à la résistance initiée par les oiseaux. Si les questions environnementales lui sont chères, le défi était pour elle d’arriver à les évoquer dans un album pour les tout-petits qui non seulement n’attristerait pas les enfants en les faisant se projeter dans un monde trop sombre mais raconterait aussi une histoire qui, prise au premier degré, serait juste une histoire amusante de catastrophe qui finit bien, propre à réjouir les enfants… A la fin de la résidence, Didlidam Didlidom, (paru en février 2024 aux éditions Pastel) était presque né, sous la tutelle des arbres majestueux du parc ou qui sait, peut-être, sous l’influence des stigmates des grands incendies des forêts voisines, tragiques témoins de la fragilité du vivant.
Fidèle à son univers déployé sur plus d’une vingtaine d’albums, l’autrice embarque les petits lecteurs dans une randonnée aux sonorités très musicales et entrainantes. La lecture est sautillante, enlevée, ponctuée d’onomatopées qui raviront les plus petits tout en proposant une histoire à la forte tension narrative, rendue notamment par les différents temps du récit, alternant entre présent et passé simple. L’enfant est pris par la main, en confiance dans cet univers où la palette de couleurs est vive et tonique, pleine de gaité, où tout rappelle l’ambiance d’une innocente comptine peuplée d’animaux familiers. Une comptine où pour une fois, se sont les adultes qui font de très grosses bêtises…
Sabine de Greef va jusqu’au bout de ses idées et de sa généreuse démonstration : une petite maison en commun, des animaux et une forêt d’arbres fruitiers à l’ombre de laquelle Petite Dame et Petit Homme se reposent dans un hamac partagé. Auraient-ils aussi trouvé aussi trouvé l’amour ? L’histoire peut inviter à le croire ! Une chose est sûre, ils sont parvenus à reconstruire un havre de paix, sans rivalité, en mettant leurs savoirs et leurs ressources en commun et même leurs animaux semblent couler des jours heureux dans la belle herbe verte et généreuse d’un beau jour de printemps, sous le soleil, la lune, et des milliers d’étoiles. Voyez, tout est bien qui finit bien ! Un album à partager, à partir de 3 ans.
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Didlidam Didlidom, de Sabine de Greef, aux éditions de l’École des Loisirs en collection Pastel.