En chemin, avec Laurence Vilaine
Après un premier temps de résidence à La Maison des écritures, à La Rochelle, début 2022, Laurence Vilaine est venue poursuivre l’écriture de son quatrième roman aux Plumes de Léon, à Saint-Léon-sur-Vézère, dans le cadre du dispositif Aide à la création en résidence porté par ALCA. Ces deux périodes de création, dans la continuité, auront permis de répondre à la nécessité qu’elle ressent de s’inscrire dans le temps long de l’écriture, sans interruption.
Huit ans après notre première rencontre au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien, je retrouve Laurence Vilaine en résidence aux Plumes de Léon, en Dordogne, ce lieu qui contient à lui seul toutes les images qu’éveille le mot "bucolique" : les charmants gîtes aux pierres chaudes et toits à coyaux, la symphonie du chant des oiseaux, le chien Léon, la chatte sans nom, les cerisiers en fleurs… Tout, ici, semble propice à l’inspiration, et si Laurence Vilaine dit ne pas choisir les résidences en fonction du lieu, elle concède néanmoins que celui-ci peut parfois prendre une importance capitale selon le moment de vie que l’on traverse. Ainsi, pour son deuxième livre, La Grande Villa, entièrement écrit à La Marelle, à Marseille, "c’est le lieu qui a fait l’histoire". Elle raconte : "Ce texte a été écrit en deux semaines, dans cette grande villa. C’était une période compliquée, juste après la mort de mon père, mon précédent livre était resté dans un tiroir, j’avais l’impression de tout perdre à ce moment-là. Cette maison a été un peu comme un cocon ou comme une vieille dame qui m’offrait ses bras pour me réparer. Je l’ai vraiment vécu comme ça. Ce fut une épreuve que j’ai traversée par l’écriture et la natation – il était nécessaire que cela passe par le corps –, et grâce à cette maison qui m’enveloppait."
Pour l’écriture de La Géante, son troisième livre, Laurence Vilaine est partie en résidence au Monastère de Saorge s’immerger dans le paysage montagneux des Alpes-Maritimes pour mieux incarner son personnage. Car c’est ainsi que l’autrice conçoit le lien qu’elle crée avec les protagonistes de ses histoires, toutes écrites jusqu’à présent à la première personne : "Dans La Géante, la narratrice est une femme de la montagne. Pour vraiment l’habiter, j’enfile sa blouse et je mets ses grosses chaussures de marche. C’est cette relation avec les personnages qu’il est essentiel de créer : je vais à leur rencontre, tout simplement, un peu comme dans la vie ; il s’agit ensuite 'd’être le personnage', de transpirer dans sa blouse, de pleurer ses larmes, de sentir les cailloux dans ses chaussures. Cela ressemble peut-être au travail du comédien."
"Les mots ont ce pouvoir de lever le voile sur des vérités et libèrent, n’est-ce pas ?"
Après trois romans, la tentation est forte de voir des analogies entre les différents personnages créés par l’autrice. Souvent en marge, détenteur d’une connaissance singulière, celle de l’histoire d’un peuple, dans Le Silence ne sera qu’un souvenir, ou celle des bienfaits des plantes, dans La Géante, ils ont un savoir qui n’est pas "universitaire" ou "intellectuel", comme l’explique Laurence, mais qui, pour autant, a la même importance qu’un autre : "Le berger et le savant sont au même endroit, l’écart entre eux est une simple affaire de nuances", écrit-elle dans La Grande Villa.
Nuance, subtilité et finesse sont des termes qui siéent aussi bien à la manière dont Laurence Vilaine parle de ses livres qu’à son écriture même. Et les silences attentifs et réfléchis qui ponctuent notre conversation parcourent aussi l’ensemble de ses textes : "Je crois que je tourne autour de quelque chose qui me taraude et m’habite, c’est le silence. Je ne le décide pas au départ, c’est l’écriture elle-même qui m’y conduit… et aussi les lecteurs qui le disent ! Le silence, les non-dits, tout ce qui est enfoui, sur quoi on met des couvercles." Dans le roman en cours d’écriture, il y a de nouveau un silence qui se brise par une voix, ou plutôt un chant, libérateur. Car "les mots ont ce pouvoir de lever le voile sur des vérités et libèrent, n’est-ce pas ?". Pour trouver ce chant, Laurence a proposé à la chanteuse iranienne Maryam Chemirani de travailler avec elle. C’était en 2021, elle était alors accueillie en résidence pour deux mois par l’association Désirdelire, à Sigonce, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Laurence connaissait déjà Bijan, le frère, musicien, de Maryam, avec qui elle avait créé une lecture musicale de La Grande Villa. Émue par la voix de la chanteuse découverte lors d’un duo sur scène avec son frère, l’autrice pense spontanément à elle pour l’accompagner dans son écriture. Elle souhaite expérimenter le mélange de deux formes d’expression artistique : "Maryam et moi nous sommes vues plusieurs fois et nous avons beaucoup parlé. Nous avons ensuite tenté une expérience, lancé des pistes de travail. Je lui lisais des courts extraits de mon travail pour voir comment un texte pouvait faire surgir chez elle un chant, une mélodie, des murmures, des souffles… Et cela a marché dans les deux sens, car le fruit de ce travail, de nos échanges, a pu donner une direction au personnage et à l’écriture. Je m’appuie dessus encore aujourd’hui. Quand j’écris, j’ai cette musique dans la tête, j’ai sa voix. Ce qui m’intéressait, c’était qu’il y ait conversation entre les deux disciplines, entre le texte et la voix, entre l’écrit et l’oral, et rencontre entre les émotions que les deux véhiculent. Et cette collaboration m’a aussi permis de sortir de ma zone de confort solitaire, si l’on peut dire, pour partager un moment à une étape de mon écriture en m’ouvrant à quelqu’un d’autre."
"L’important pour moi est que surgisse l’inconnu, c’est ça qui m’importe, oui, et en être bouleversée."
Cette ouverture à l’autre, mais aussi à tout ce qui l’entoure, relève d’un état de réceptivité, d’attention, dans lequel Laurence Vilaine se met pour écrire, accueillant sans intention particulière les intuitions et les images qui s’offrent à elle. Elle parle de l’écriture comme d’un acte poétique, une façon de regarder le monde, d’y être attentif. Elle ne cherche rien de particulier, comme elle l’explique, elle n’a pas de plan quand elle commence un roman, elle ne choisit pas non plus un thème, d’ailleurs elle déteste ce mot qui "enferme et colle des étiquettes", elle tire les fils des images qui s’imposent à elle, comme celle de ce tilleul par laquelle commence l’histoire qu’elle est en train d’inventer. "Je m’appuie rarement sur du réel, ou alors je n’écris pas un roman, mais un documentaire, un reportage, un dossier journalistique. Écrire un roman, pour moi, ce n’est pas relater des faits ou m’inspirer d’une personne que j’ai croisée, d’une histoire que j’ai vécue et la transposer. Je ne sais vraiment pas faire ça et n’en ai pas envie. J’avance avec des personnages et des situations que je ne connais pas. Il y a un tilleul qui tombe du ciel, je le prends, mais je ne vais pas aller le planter dans une cour d’école où je jouais quand j’étais enfant. Peut-être que la cour d’enfance surgira d’elle-même, mais je ne vais surtout pas la chercher. J’explore, je laisse venir et émerger les émotions. L’important pour moi est que surgisse l’inconnu, c’est ça qui m’importe, oui, et en être bouleversée."
Pour que cet affleurement ait lieu, il faut s’inscrire dans le temps long de l’écriture, et Laurence reconnaît volontiers que les résidences qui ont jalonné son parcours d’autrice lui ont offert des pauses nécessaires à son travail : " Les résidences ont été, et sont toujours, importantes parce qu’elles offrent le temps de maturation qui m’est essentiel, le retrait, la concentration, que la vie de tous les jours nous autorise moins, même si elle est bien sûr nécessaire aussi pour l’écriture. C’est peut-être une alternance entre les deux, entre la vie et ces temps de recul qui permettent de digérer, de mettre à plat et de construire l’histoire, comme un puzzle."
Les premières pièces du puzzle sont posées : un tilleul, une planche, un nom gravé, une voix qui bégaie dans la nuit… Nous ne saurons rien de plus sur le roman à venir, car l’autrice elle-même ne connaît pas encore tous les chemins qu’elle va emprunter. Le seul qui compte peut-être à cet instant, c’est celui qui mène en quelques pas aux rives de la Vézère, que Laurence Vilaine parcourt presque quotidiennement, plongée dans cet état de réceptivité au monde alentour qui alimente continuellement son écriture.