Pascale Moisset : la poésie du réel
Autrice jeunesse depuis 2018, Pascale Moisset en est déjà à son cinquième livre publié. Pour le sixième en préparation, Le Dragon de Landiras, elle bénéficie d’une résidence d’écriture au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien, au cœur du paysage de sa prochaine fiction. Une opportunité en or pour cette autrice qui aime mener l’enquête pour offrir à ses jeunes lecteurs des textes à la fois poétiques et fidèles à la réalité.
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Écrire pour la jeunesse, une évidence
C’est pour répondre à la proposition d’une éditrice que Pascale Moisset s’est mis à écrire pour la jeunesse. Après une première expérience en littérature générale en 20041, elle s’essaie donc à ce genre et écrit cette même année une première version de ce qui deviendra presque quinze ans plus tard Bulle Ballu, son premier livre jeunesse publié aux éditions Les Petites Moustaches2.
Il a fallu cet intervalle pour que ses propres enfants grandissent et surtout, pour que mûrisse en elle le désir d’écrire, "presque l’urgence", qui désormais ne la quitte plus. La parution de ce roman illustré est aussi l’occasion pour elle d’aller dans les classes se confronter à ses jeunes lecteurs. À l’envie d’écrire s’ajoute alors la révélation d’une certitude : "J’ai adoré rencontrer les enfants, explique-t-elle. C’est devenu une évidence. C’est ma place, je me sens bien à cet endroit. Je suis plus à l’aise qu’avec les adultes, même pour échanger sur ce que j’écris. À chaque fois, il se passe des choses intenses."
Cette relation avec son jeune public est au cœur de sa vie d’autrice. S’il n’est pas toujours facile pour les adultes de pénétrer ou simplement de comprendre l’univers des enfants, parce qu’ils l’ont quitté depuis longtemps et malheureusement souvent totalement oublié, Pascale Moisset, elle, y retourne avec joie. Elle comprend les enfants et surtout, elle sait leur parler. "Elle ne nous raconte pas d’histoires", se disent-ils. La vérité, simple et sincère, que l’écrivaine met en scène, les séduit et ouvre le dialogue : "Je trouve que les enfants ont beaucoup de richesse en eux, que l’on perd en grandissant, avec l’éducation. Dans mes livres, j’ai envie de leur dire qu’ils ont raison, qu’ils doivent se faire confiance et affirmer leur liberté. Ils ont souvent un avis très juste, et cela me plaît beaucoup de le partager avec eux. C’est une question de sensibilité commune, une rencontre, qui repose sur une relation de confiance."
Enquêter pour être au plus proche du réel
Pourtant, ce sont bien des histoires que Pascale Moisset raconte aux enfants, mais celles-ci reposent sur un fond de vérité et de réalisme qui ne relève pas du hasard. L’autrice cherche, se documente, discute avec des spécialistes, des habitants, et construit peu à peu son univers en transposant ces témoignages. "Il y a une part importante de documentation dans mon travail, explique-t-elle, à la fois pour le texte et pour l’image." Ainsi, pour son projet d’album jeunesse qui évoquera le "Dragon de Landiras", le feu de forêt le plus dévastateur de l’été 2022, Pascale Moisset a profité de son séjour en résidence à Saint-Symphorien – une immersion dans le paysage de sa fiction… – pour aller à la rencontre de professionnels en lien avec ces événements : "Pour le moment, j’interviewe plutôt des experts en faune et en flore, j’ai vu l’ONF [Office national des forêts], des guides naturalistes du Département, Aimée Ardouin, aussi, qui m’a beaucoup raconté comment elle avait vécu ces événements en tant que responsable du Chalet Mauriac et élue de la commune. La partie enquête de terrain, auprès des “victimes“, se fera plus en septembre, quand je reviendrai ici. J’ai aussi suivi la presse sur le sujet, les débats, etc. J’ai accumulé beaucoup de matière et de connaissances sur le sujet." Elle ajoute, tout en visionnant une vidéo sur un écureuil, très habile, évoluant au cœur du Jardin public, à Bordeaux : "J’ai eu envie de croiser le feu avec un personnage léger. Et je me suis souvenue de cet écureuil que j’avais filmé en me disant “Toi, mon coco, tu seras dans l’un de mes livres !” Cette vidéo date de juillet 2021. Les feux ont eu lieu en 2022… Quand j’ai commencé à écrire cette histoire, ce qui m’intéressait, c’était le trauma, et la repousse, qui est arrivée assez peu de temps après, finalement. Je voulais parler de cette magie de la nature qui reprend, du chaos, de l’insouciance de la vie d’avant. J’avais en tête cet écureuil que je trouvais très virtuose. C’est un animal facétieux, qui allait bien avec le temps d’avant".
Les premiers entretiens réalisés en ce mois de juillet sur les lieux mêmes du drame lui permettent ainsi de mieux comprendre l’environnement dans lequel son personnage va évoluer et d’amasser nombre de détails qui deviendront matière littéraire : "Ce qui m’intéresse en particulier, ce sont les mots poétiques. Ce matin, je suis allée dans un endroit qui s’appelle la Fosse des demoiselles ; j’ai découvert des insectes que l’on nomme les “aspirantes d’été” et le Serin cini, un très bel oiseau… Hier, les pompiers m’ont parlé des “anges danseurs” – ce sont des flammes –, j’ai aussi appris que l’on trouve des ballets de sorcières dans les pins ; c’est là que les écureuils font parfois leur nid. Tout cela me nourrit pour écrire le texte."
Des sujets de prédilection
Viendront ensuite un travail de transposition des histoires recueillies dans l’univers créé par l’autrice et de nombreux échanges avec l’illustrateur et ami, Yves Viallard, avec lequel Pascale Moisset a déjà travaillé pour son précédent livre : Surf Surf Surf3. Une complicité artistique s’est alors installée entre eux : "Nous ne discutons pas du tout des cadrages, précise l’autrice. Je le laisse faire, car c’est important que chacun ait son terrain. On discute de l’histoire en amont, je lui dis ce que j’ai en tête, puis je l’écris. C’est très fluide. Si vraiment quelque chose nous gêne, on le dit, mais dans l’ensemble, on laisse à l’autre la liberté de sa propre création. Je trouve cette manière de travailler très riche."
Cette entente créative repose sans doute aussi sur un amour commun de la nature, pour le peintre surfeur comme pour l’autrice. Celle-ci en fait le cadre récurrent de ses textes, au même titre que la thématique sur l’égalité femmes/hommes, qui lui est chère : "La nature devient de plus en plus présente. J’y suis bien, elle me nourrit, elle est belle, calme… La poésie de la nature m’inspire. Cette attirance est venue avec la maturité. Quant à l’égalité femmes/hommes, cette thématique est vraiment en moi et il se trouve que j’ai en plus une expertise sur ce sujet. Elle sera dans tous mes livres, même si ce n’est pas frontal. Par exemple, le texte de Surf Surf Surf n’est pas genré. Il n’y a aucun accord dans le texte, qui permette d’identifier si c’est une fille ou un garçon. On s’en fiche. Le sujet, c’est l’obsession de la vague."
C’est encore une obsession, plus personnelle celle-ci, qui a conduit Pascale Moisset à s’intéresser aux feux de forêt : "J’avais envie, besoin, de creuser ce sujet, parce qu’il m’habitait intensément. Cela m’a profondément marquée." Aussi, elle accueille avec reconnaissance l’opportunité de cette résidence, au cœur des paysages de son histoire, où tout, habitants, faune, flore… la ramène à son sujet. "Le fait d’être ici active la concentration et le partage avec les autres, reconnaît-elle. C’est une ouverture, un véritable enrichissement."