Filmer l’invisible
Louve Dubuc-Babinet est une jeune réalisatrice au parcours déjà remarqué. Son premier court métrage, Pendant que les champs brûlent, a été sélectionné au festival Tous Courts d’Aix-en-Provence en 2018. Accueillie en résidence d’écriture cinématographique au Chalet Mauriac au début de l’été, elle y retourne cet automne pour poursuivre l’écriture de son premier long métrage.
Dès son premier film, qui met en scène une jeune prostituée en milieu rural, Louve Dubuc-Babinet pose les jalons de ce qui lui tient à cœur et qu’elle souhaite montrer dans son travail. Avant tout, un attrait pour des personnages féminins, jeunes, en situation de marginalité ou du moins un peu hors norme, qui font face, seuls, avec détermination et combativité, à des situations difficiles mais jamais désespérées. Ils nous touchent, ces personnages, par leur sincérité, leur vérité, sans doute parce qu’ils émettent des résonances intimes : "Ce sont des personnages qui me sont proches, car ils font partie de moi ou ils s’inspirent des gens que je connais, qui m’entourent. Ils correspondent à ce que je vis et aux milieux dans lesquels j’évolue. Je n’ai jamais eu l’impression d’être dans les normes de la société. Ce qui m’intéresse, ce sont plutôt les minorités et des points de vue inhabituels."
Dans son documentaire Poison, en cours de montage, Louve fait le portrait d’une performeuse de 27 ans, actrice et productrice de porno queer bdsm. Elle raconte sa rencontre avec cette femme et ce qui l’a intéressée dans son parcours : "J’ai connu Poison à Bruxelles. Elle vivait dans un squat avec une copine à moi. Elle m’a invitée à venir voir le décor de film qu’elle venait de terminer, dans sa chambre, sous les combles. En montant les escaliers, j’ai eu une intuition, je me demandais de quel genre de film il s’agissait… Et je me suis retrouvée face à un décor de film porno, tout en velours ! Elle avait tout fait elle-même avec des matériaux de récup trouvés à la poubelle… ça m’a fait rire et plaisir que ce ne soit pas une montagne et que cela se passe naturellement entre nous. Poison vient d’Argentine. Elle a émigré il y a trois ans environ en Europe où elle a fait une école de théâtre. Il faut avoir le courage de se rendre compte qu’on est parfois dans une case qui ne nous correspond pas et d’en sortir pour se créer la sienne. Poison a un discours politique sur le travail, le corps… Pour elle, les performances sont une revendication, un acte militant autant qu’une démarche intérieure. J’espère qu’elle sera entendue au-delà du milieu queer. En tout cas, elle était emballée par mon projet. C’est ce qui m’intéresse. Je ne veux pas faire des films qui s’abstiennent de toute revendication. J’ai des positions militantes et je n’ai pas envie de les mettre de côté dans mon travail. Ensuite, le processus dans lequel s’est inscrit ce film – je l’ai tourné en DV, toute seule, un peu « à l’arrache » – correspondait bien au sujet et aux lieux filmés qui étaient tous alternatifs. Les moyens utilisés étaient en cohérence avec ma démarche."
Dans son documentaire Poison, en cours de montage, Louve fait le portrait d’une performeuse de 27 ans, actrice et productrice de porno queer bdsm. Elle raconte sa rencontre avec cette femme et ce qui l’a intéressée dans son parcours : "J’ai connu Poison à Bruxelles. Elle vivait dans un squat avec une copine à moi. Elle m’a invitée à venir voir le décor de film qu’elle venait de terminer, dans sa chambre, sous les combles. En montant les escaliers, j’ai eu une intuition, je me demandais de quel genre de film il s’agissait… Et je me suis retrouvée face à un décor de film porno, tout en velours ! Elle avait tout fait elle-même avec des matériaux de récup trouvés à la poubelle… ça m’a fait rire et plaisir que ce ne soit pas une montagne et que cela se passe naturellement entre nous. Poison vient d’Argentine. Elle a émigré il y a trois ans environ en Europe où elle a fait une école de théâtre. Il faut avoir le courage de se rendre compte qu’on est parfois dans une case qui ne nous correspond pas et d’en sortir pour se créer la sienne. Poison a un discours politique sur le travail, le corps… Pour elle, les performances sont une revendication, un acte militant autant qu’une démarche intérieure. J’espère qu’elle sera entendue au-delà du milieu queer. En tout cas, elle était emballée par mon projet. C’est ce qui m’intéresse. Je ne veux pas faire des films qui s’abstiennent de toute revendication. J’ai des positions militantes et je n’ai pas envie de les mettre de côté dans mon travail. Ensuite, le processus dans lequel s’est inscrit ce film – je l’ai tourné en DV, toute seule, un peu « à l’arrache » – correspondait bien au sujet et aux lieux filmés qui étaient tous alternatifs. Les moyens utilisés étaient en cohérence avec ma démarche."
"J’ai des positions militantes et je n’ai pas envie de les mettre de côté dans mon travail."
Du point de vue de la réalisatrice, la forme documentaire doit ainsi mettre en avant un discours, tandis que la fiction est un lieu de représentation et de visibilité. Elle doit montrer des personnages que la norme rend invisibles, et les représenter tels qu’ils sont et qu’ils vivent, simplement, en dehors de tout jugement. Pour son premier long métrage, Avant le jour, projet qui l’a conduite à faire cette résidence, Louve s’intéresse au parcours de deux jeunes femmes (encore...) qui se retrouvent dans un foyer pour femmes enceintes en situation précaire. Si le cadre était posé d’emblée, le projet a néanmoins beaucoup évolué durant ces deux semaines où elle s’est installée au Chalet : "Quand je suis arrivée ici, je m’étais beaucoup éloignée du thème sur lequel je voulais faire ce film. J’ai travaillé ici sur un sujet qui me parle plus actuellement. Il s’agit de la rencontre entre deux personnages et de l’évolution de leur relation. Au début, elles partagent une chambre, puis elles deviennent amies, presque sœurs. Finalement, cela va aboutir à un sentiment réciproque plus ambigu, amoureux. Le film suit l’évolution de cette relation, en ligne de fond et, parallèlement, le parcours personnel des deux femmes. C’est cette histoire-là que j’ai envie de raconter finalement."
Pour cela, la cinéaste a recueilli quelques témoignages, s’est documentée pour en dessiner le cadre et le contexte. Mais au final, cette approche par une situation bien définie et posée au départ l’a un peu déstabilisée : "J’ai mis du temps avant de comprendre que le récit n’était pas cette vie dans le foyer. Contrairement à Pendant que les champs brûlent, où le film s’est construit un peu au fur et à mesure de l’écriture, pour celui-ci je suis partie d’un contexte très précis, avec un lieu, des personnages, une situation – elles sont enceintes et en difficulté – et de savoir qui elles étaient, ce qui se passait a été beaucoup plus compliqué à déterminer dans ce sens-là. Partir d’une situation plutôt que des personnages m’a un peu perturbée... Dans mon premier film, la figure de la mère est arrivée tard. Elle m’est apparue tout à coup. J’écrivais, j’écrivais, et à un moment donné je me suis dit, mais en fait, il est là le sujet ! C’est ce qui se passe dans cette maison : tout le monde souffre de cette absence. J’ai mis très longtemps à m’en rendre compte. C’est étonnant comme on peut écrire une histoire et ne pas du tout en être les détenteurs ! Je ressens cela à chaque fois. Je pense que le processus d’écriture commence à fonctionner à partir du moment où les personnages font leur vie à côté de moi. Parfois, je me sens dépossédée même, mais ce doit être parce qu’il y a quelque chose de vivant, qui existe réellement."
Pour cela, la cinéaste a recueilli quelques témoignages, s’est documentée pour en dessiner le cadre et le contexte. Mais au final, cette approche par une situation bien définie et posée au départ l’a un peu déstabilisée : "J’ai mis du temps avant de comprendre que le récit n’était pas cette vie dans le foyer. Contrairement à Pendant que les champs brûlent, où le film s’est construit un peu au fur et à mesure de l’écriture, pour celui-ci je suis partie d’un contexte très précis, avec un lieu, des personnages, une situation – elles sont enceintes et en difficulté – et de savoir qui elles étaient, ce qui se passait a été beaucoup plus compliqué à déterminer dans ce sens-là. Partir d’une situation plutôt que des personnages m’a un peu perturbée... Dans mon premier film, la figure de la mère est arrivée tard. Elle m’est apparue tout à coup. J’écrivais, j’écrivais, et à un moment donné je me suis dit, mais en fait, il est là le sujet ! C’est ce qui se passe dans cette maison : tout le monde souffre de cette absence. J’ai mis très longtemps à m’en rendre compte. C’est étonnant comme on peut écrire une histoire et ne pas du tout en être les détenteurs ! Je ressens cela à chaque fois. Je pense que le processus d’écriture commence à fonctionner à partir du moment où les personnages font leur vie à côté de moi. Parfois, je me sens dépossédée même, mais ce doit être parce qu’il y a quelque chose de vivant, qui existe réellement."
"Autre constante dans le travail de Louve, elle joue sur l’implicite, les silences – ses personnages sont peu diserts, ils demandent à être apprivoisés."
Si la méthode change, en revanche les thématiques se rejoignent. Ainsi, la figure de la mère et le thème de l’abandon, très présents dans Pendant que les champs brûlent, se retrouvent dans le long métrage : "Le thème de l’abandon maternel me sert à montrer qu’il s’agit avant tout de personnages en manque de repères et de modèles, sans attaches. Dans mon prochain film, on retrouve la mère avec laquelle Lili, mon personnage principal, a une relation absolument chaotique alors qu’elle a un lien très fort avec sa grand-mère qui est une ancienne militante, activiste. Dans ce trio, la mère de Lili est en rupture avec sa propre mère et avec sa fille. Mais pour moi, ce personnage est humain, c’est une femme qui a souffert d’avoir une mère trop libre. Je n’ai pas du tout envie de critiquer une posture maternelle. Je pense que chacun fait comme il peut. Et l’un des enjeux du film est de montrer comment Lili et sa mère vont ouvrir une porte, non pas pour se comprendre et s’aimer, mais au moins se pardonner l’une l’autre. Car pendant une grossesse, il y a toujours un moment donné où se pose la question de savoir d’où l’on vient et ce que l’on veut transmettre."
Autre constante dans le travail de Louve, elle joue sur l’implicite, les silences – ses personnages sont peu diserts, ils demandent à être apprivoisés. Elle aime prendre son temps avant de faire comprendre au spectateur les tenants et aboutissants de son histoire. Pour cette raison, elle considère le passage du court au long métrage comme une véritable libération. Même si elle ne mesure pas encore tout à fait les contraintes liées à la production d’un long – chaque chose en son temps – pour le moment, elle savoure la liberté de prendre le temps de développer le fil de son histoire. Et cela d’autant plus qu’elle le fait dans un contexte à la fois studieux et chaleureux : "La résidence me donne un cadre, un espace pour travailler. Et le fait d’être avec d’autres résidences est salvateur ! Toute seule, cela aurait été très dur. Je pense que j’aurais été beaucoup plus distraite et angoissée. Il y a une belle énergie entre nous."
Autre constante dans le travail de Louve, elle joue sur l’implicite, les silences – ses personnages sont peu diserts, ils demandent à être apprivoisés. Elle aime prendre son temps avant de faire comprendre au spectateur les tenants et aboutissants de son histoire. Pour cette raison, elle considère le passage du court au long métrage comme une véritable libération. Même si elle ne mesure pas encore tout à fait les contraintes liées à la production d’un long – chaque chose en son temps – pour le moment, elle savoure la liberté de prendre le temps de développer le fil de son histoire. Et cela d’autant plus qu’elle le fait dans un contexte à la fois studieux et chaleureux : "La résidence me donne un cadre, un espace pour travailler. Et le fait d’être avec d’autres résidences est salvateur ! Toute seule, cela aurait été très dur. Je pense que j’aurais été beaucoup plus distraite et angoissée. Il y a une belle énergie entre nous."