Franziska Wilhelm, la fiction pour slamer le quotidien
Tous les matins, elle a ouvert les volets de sa petite maison proche du palais Gallien, et tous les soirs les a refermés, parce qu’elle trouve que ça fait "très français". Originaire de Leipzig, Franziska Wilhelm s’est fait Bordelaise pour ses deux mois de résidence à La Prévôté. Et, comme à chacune de ses étapes, elle s'est posée la même question : "Alors, quelle est ma place ?"
Son impression de la ville contraste avec ce qu’elle s’attendait à trouver dans le sud-ouest de la France, en ce printemps 2017 : "En Allemagne, on lit beaucoup que les Français ont peur de l’avenir, que les climats politique et économique sont sources d’angoisse." Et la slameuse d’ajouter : "Mais les Bordelais sont complètement détendus !"
Atmosphère, atmosphère…
C’est bien cette atmosphère bordelaise que cherchait à ressentir la lauréate 2017 de la résidence de la Prévôté. Elle travaille en effet actuellement à son nouveau roman : Clochard de Luxe. L’idée de ce roman lui vient de son oncle qui a vécu dix ans dans la rue, à Aix-en-Provence. Au lieu de l’enfermement de la RDA, cet oncle rebelle a choisi la liberté de la rue. Plutôt que des pancartes tristes et verbeuses, l’oncle choisissait l’humour : "Clochard de luxe : recherche argent pour du champagne (mais la bière fera aussi l’affaire)". Franziska Wilhelm parle volontiers de son oncle, mais reste plus discrète sur le livre qu’elle en tirera : il est en travail, et tout peut encore changer. Mais à travers l’histoire du Clochard de Luxe, on retrouve déjà les mêmes problématiques qui ont traversé ses autres publications.
Fiction réaliste et réel déjanté
Trouver sa place, l’étrangeté, la capacité à suivre sa volonté, se réaliser… Toutes ces questions existentielles ont traversé ses nouvelles, Die Fischschwester (parues en 2012), puis son livre Meine Mutter schwebt im Weltall und Grossmutter zieht Furchen (2014). On y trouve des personnages, adolescents, adultes, vieux, originaux, ennuyeux, déprimés ou heureux, qui évoluent parfois dans un décor dément. Strottenheim, par exemple, est un village tout droit sorti de l'imaginaire de Franziska Wilhem. Il est très réputé pour son cadre idéal pour venir se suicider : vue magnifique sur le lac et buissons parfaits pour se cacher juste avant de sauter le pas. Chacun cherche sa voie, sa voix dans ce road-trip familial et explosif. Franziska Wilhelm aime se perdre dans la fiction, avec humour et une légèreté feinte pour traiter de sujets plus lourds. La jeune admiratrice du talent de Murakami refuse néanmoins de s’ériger en moralisatrice : elle peint ses personnages sans les juger, comme des photographies en mouvement.
De quoi se nourrit un auteur ?
Pour se nourrir (au sens propre et figuré), Franziska Wilhelm travaille trois jours par semaine dans une entreprise de carsharing ("autopartage"). C’est son équilibre : "Je ne suis pas une solitaire, j’ai besoin de ces journées de travail dans un bureau, d’échanger avec les collègues, de partager avec eux le petit café du matin." Les deux autres journées de la semaine sont consacrées à l’écriture. En fonction de ce sur quoi elle travaille, elle choisit son bureau bien ordonné, chez elle ; la bibliothèque si elle veut s’extraire des filets du web, ou les espaces de coworking. La vraie source de son inspiration, c’est la vie, les vrais gens qui lui racontent des histoires : "Je n’ai pas une source que je cite systématiquement. La constante : c’est les gens qui me racontent des choses." Certaines de ces histoires sont si folles que, si elle les écrivait, les lecteurs n’y croiraient pas. "Parfois, lors d’une discussion, je dois me dire : OK, là, je vis ça pour moi, et pas en tant qu’auteure, j’essaie de me dire que je ne m’en resservirai pas pour un texte." Pas pour un texte de roman. Pas pour un texte de nouvelle. Pas pour un texte de slam non plus, discipline qui lui demande une régularité plus importante dans sa production.
Slamerin, slameuse
Le portrait de cette auteure ne serait pas complet si l’on ne parlait pas de son profil de "slameuse" – elle rit à ce mot qui résonne étrangement à son oreille en français ; en allemand, on dit "Slamerin". Un phénomène en Allemagne, une scène plus confidentielle et "underground" en France. Textes plutôt humoristiques, prêtant particulièrement attention au story-telling, Franziska Wilhelm joue aaussi de ce "rock’n’roll de la littérature". Le choix de l’humour plutôt que de la revendication ne l’empêche pas de dénoncer le succès du slam en Allemagne, qui l’éloigne de sa substance originelle et en fait de plus en plus un show commercial. Critique, elle l’est aussi sur la considération des auteurs en France : en Allemagne, un auteur qui vient pour une rencontre en librairie est payé, en France, c’est rarement le cas. Même chose pour les slameurs.
Souvenirs, souvenirs
Ses meilleurs souvenirs de résidence seront sans doute liés à cette discipline : à Pau, elle a rencontré vingt-cinq personnes d’une université populaire à qui elle a parlé de son art, et qui lui ont chanté des chansons. Elle a lu ses textes et ceux de Camille Caze avec la slameuse française à la maison Heinrich Heine. Avec la joie et la perplexité de lire les textes d’une autre, et d’entendre les siens dans une autre langue. À Bordeaux, elle a lu l’un de ses textes, en allemand, à un public exclusivement francophone : "Personne n’a rien compris, mais ils m’ont dit qu’ils avaient apprécié le flow. […] Je pense que je réaliserai plus tard tout ce que m’a apporté cette résidence, c’est comme si j’avais fait un pas en avant, puis je vais revenir chez moi et reconsidérer les choses. En tout cas, j’ai eu l’occasion de me redemander où je voulais aller avec le slam, et avec l’écriture en général. Ça permet de faire le tri." Et faire le tri, c’est important pour avancer.
Alors, quelle est ma place ?
Assurément, il est toujours bon de se poser la question. Franziska Wilhelm est très attachée à sa langue, à ses origines en Hesse, à sa ville d’adoption – Leipzig – à ses amis là-bas et à son cercle de slameurs. Elle se réjouit donc de son retour chez elle après ces deux mois d’escale bordelaise.
On perçoit d’elle une auteure qui s’interroge, qui se met en difficulté en se frottant à différents styles d’écriture, différentes manières de modeler les mots. Sa place est disparate : elle n’est pas auteure de littérature avec un grand L uniquement, elle n’est pas seulement slameuse non plus, pas simplement attachée de presse d’une entreprise de carsharing. L’approche de la quarantaine l’interpelle. De nouvelles questions à partager, à travailler, à décomplexer par l’humour et la fantaisie.