Gazoil à la recherche d'un sens à l'essence
Fondatrice de l’association et de la radio Station Essence, Gazoil1 est la lauréate 2020 de la résidence transmédia proposée par ALCA au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien (33). Dans ses créations, elle explore le numérique et les nouvelles possibilités des médias hybrides. Avec son projet 130 rêves/h, elle rappelle la nécessité du rêve et interroge notre rapport aux énergies fossiles et aux machines.
Composition pour 6 mains et 130 rêves
À l’étiquette d’artiste, Gazoil préfère le statut de cheffe d’orchestre. Et de l’orchestration, il en a fallu pour aller au bout de cette résidence transmédia. D’abord reportée pour cause de confinement puis fragmentée afin de coordonner les différentes résidences repoussées au sortir de ce dernier. Finalement, il s’en est fallu de peu que tout tombe à l’eau, avec une suspicion de covid au beau milieu de la résidence. "On est un peu sur nos valises, tout le temps en train de bouger", commente la créatrice sonore. Orchestration aussi avec les quatre autres mains qui participent à la création : Jacek Chamot pour la vidéo et Gaël Jaton pour l’électromécanique. Ce "déménagement permanent" auquel les trois amis se sont confrontés en ce mois de juillet résonne avec le mouvement que l’autrice de 130 rêves/h appelle de ses vœux dans son installation – mouvement intellectuel, mouvement écologique.
Pompe en panne
L’objet de l’installation – une pompe à essence en panne – fascine d’emblée. Ainsi, sorti de son environnement "naturel", on prend conscience de son aspect massif, terriblement banal, symbolique de maux et de guerres, nécessairement politique. "Dès lors qu’on parle d’essence, on est politique !", rappelle Jacek Chamot. Création sonore, vidéo et plastique, l’installation exploite trois faces de la pompe. Sur l’une, on voit un film sur un écran. Ce sont les marquages d’une route qui défilent. Ces images tournées puis montées avec Jacek Chamot donnent vie à une composition abstraite, faite de mouvements continus, hypnotisant : "Ça devient très plastique, et ça laisse beaucoup de place à l’imagination." Sur la deuxième façade, on trouve les roues dentées qui montrent le nombre de litres d’essence et le prix à payer, le prix à payer pour continuer à rouler. C’est la partie électromécanique de Gaël Jaton, qui électrifie les rouages pour créer un compte à rebours. Enfin, sur le côté, il y a le pistolet à essence qui doit devenir un dispositif d’écoute. Il faut le porter à sa tempe pour entendre la composition sonore : "Le geste suicidaire parle de lui-même. Les énergies non renouvelables, la pollution, la manière dont le pétrole gouverne le monde… Je voudrais questionner les gens sur leur essence et décaler le sens du mot : est-ce que les énergies fossiles sont véritablement l’essence dans nos vies ?" Il s’agit moins de réveiller d’éventuels éco-anxieux en sommeil que de rendre visible, sensible, physique, le choix et l’action possibles : on peut maintenir la gâchette appuyée ou choisir de reposer le pistolet. Dans le temps et l’espace qui se situent entre les deux gestes se trouve le rêve.
Rêver pour donner du sens
Gazoil définit le rêve comme un "processus de traitement d’informations par le cerveau, qui a besoin de remettre de l’ordre dans la réalité vécue". Qu’est-ce qui est important ? Comment donner du sens ? Guzel – ou "Gazoil" pour les intimes –, elle, est passée de la sociologie à la communication, puis à la création sonore et à la composition électroacoustique pour tenter de comprendre et de créer le sens. Aujourd’hui, avec cette pompe à essence comme symbole de notre insoutenable mode de vie, par la mise en scène de ce geste qu’on doit remettre en question et en rendant visible la nécessité de réinjecter du rêve, elle évoque le besoin d’un ralentissement : repenser les notions de voyages, interroger la manière de se connecter les uns aux autres – notamment dans l’espace – et, aussi, notre rapport aux machines. Parce qu’en écoutant du rêve par le pistolet, on accorde à cette machine la capacité à rêver. "Ce signal de la machine, comparable à celui d'un électro-encéphalogramme, est aussi le début d’une époque nouvelle, celle des machines qui ne sont plus des automates ni des robots, mais qui sont dotées d’une intelligence artificielle et de la capacité de rêver", raconte Gazoil, elle-même fascinée par l’IA. Et dans son rêve, avec son compte à rebours, la machine semble nous crier de ralentir.
L’endroit parfait
Ralentir. Prendre le temps de créer, d’impulser un mouvement réfléchi et conscient. Voilà exactement ce que leur a offert le cadre du Chalet Mauriac. Essentiellement consacrée à la création vidéo, la résidence était nécessaire à cette étape : "Il faut être très patient, apaisé, pour regarder ces marquages au sol qui défilent et les sélectionner, les accorder en fonction des motifs, des effets, mais aussi de la météo au moment où on a filmé."
Cela fait un an que Gazoil discute avec Gaël Jaton et Jacek Chamot de la philosophie et de la mise en œuvre de l’installation, à tel point qu’elle a craint de n’avoir plus rien à faire pendant la résidence. Et puis, au cours de longues balades dans le parc du Chalet Mauriac, à pied ou à vélo, elle s’est elle-même rappelé la nécessité de ralentir pour rouler, paisiblement, à 130 rêves/h.
1 - Pseudonyme