Goán tau : chez moi
Li-Chin Lin est née à Taïwan. Elle a quitté son île il y a plus de vingt ans pour suivre des études artistiques en France, à l’École supérieure de l’image d’Angoulême puis à l’école d’animation de la Poudrière, à Valence. Elle publie un premier roman graphique en 2011, puis un second en 2017. Dans chacun, elle raconte une certaine histoire de Taïwan. Avec ce troisième titre, Goán tau : chez moi, publié également aux éditions çà et là et dont l'écriture a débuté lors d'une résidence au Chalet Mauriac, Li-Chin Lin interroge de façon complexe ce qui définit la notion de "chez-soi". Entre la France et Taïwan, ses deux amours.
"Quand retournes-tu chez toi ?" Cette question paraît, de prime abord, tout à fait anodine. Pourtant, lorsque cette question lui est posée en toute naïveté par l’une de ses amies, la jeune femme est sidérée. La France où elle a construit sa vie est sa maison tout autant que Taïwan où elle est née et a grandi. Ce qui lui paraissait comme une évidence est alors mis en doute. Suppose-t-on que le "chez-soi" est défini uniquement par le lieu de naissance ? Toute question en amenant d’autres, Li-Chin Lin se lance dans une réflexion bien plus large.
Ainsi, "Quand retournes-tu chez toi ?" est le point de départ du récit et le titre du chapitre premier qui s’ouvre sur des collines recouvertes de végétation au milieu desquelles coule une rivière, dont les deux bras se rejoignent, et survolant en direction de l’horizon ce paysage que l’on suppose taïwanais, Li-Chin Lin. De cette première page émanent d’ores et déjà une grande poésie et la promesse d’un voyage. D’un chapitre à l’autre, Li-Chin nous accompagne tantôt à Taïwan tantôt en France, elle expose et décrypte chacune des cultures dont elle est désormais le fruit et la place qu’elle y tient à chaque étape de sa vie, en tant qu’enfant, adolescente, puis en tant que femme taïwanaise devenue française.
"Li-Chin Lin observe et constate, elle a appris de ses deux cultures. Elle marque ses désaccords, s’oppose, se défend. Elle argumente, fait entendre sa voix, choisit sa place."
De son enfance jusqu’à son départ pour la France, Li-Chin Lin raconte sa vie taïwanaise et une société régie par ses propres codes, bien loin de ceux de la société française. En France, Li-Chin affronte les obstacles, celui de la langue en premier lieu, puis les préjugés, l’indifférence, les moqueries, le mépris. Dans chacun de ces lieux devenus ses "maisons", il y a des choses que Li-Chin Lin aime et d’autres qu’elle déteste, des choses qu’elle accepte et d’autres qu’elle refuse. Elle met en parallèle ses deux pays et y découvre dans chacun la place et le rôle que le fonctionnement sociétal lui impose, à Taïwan parce qu’elle est une fille, en France parce qu’elle est asiatique. À Taïwan ou en France, les violences qu’elle subit se situent à des endroits différents. À Taïwan ou en France, elle mène des combats pour être entendue et respectée. Li-Chin Lin observe et constate, elle a appris de ses deux cultures. Elle marque ses désaccords, s’oppose, se défend. Elle argumente, fait entendre sa voix, choisit sa place. Celle qu’elle veut avoir et qui intègre sa double culture, sans exclusion de l’une ou l’autre. Car Taïwan et la France sont ses deux amours. De ses nombreux aller-retours entre ces pays, elle rapporte des réflexions sur ses choix de vie et des cadeaux : à sa mère, elle offre le baiser tendre et chaleureux qui ne se pratique pas à Taïwan et qu’elle a adopté en France parce que, dit-elle, "on aime la chaleur humaine, que l’on soit français ou pas" ; de Taïwan, elle rapporte le thé qu’elle partage avec ses amis et le sifflement de l’oiseau que son père lui a appris un jour de ses dix ans, au bord de la mer.
Goán tau : chez moi est un livre sur la construction et l’ouverture. Il est de ses ouvrages où le simplisme est exclu, au même titre que le jugement. Le travail qu’il représente est titanesque dans la mesure où Li-Chin se refuse à tout raccourci. Elle ne cloisonne pas, n’enferme pas les personnages de son histoire dans un carcan. Elle aborde la complexité de l’humanité, de la rencontre des cultures et de leur vivre-ensemble. Elle n’établit ni consensus ni opposition. Elle ne donne pas de leçons. Elle expose des faits, parle de ses ressentis, elle questionne en construisant un canevas complexe, une arborescence dans laquelle jamais elle ne perd pour autant le lecteur. Li-Chin vante la curiosité de l’autre, ce que chacune de ses cultures lui apprend, elle transmet d’un côté comme de l’autre. De son enfance et son adolescence à Taïwan, de ce qu’elle a construit en France, de ces cultures mélangées, Li-Chin Lin fait son socle et sa force. Et si parfois, les défis qui se présentent à elle pour faire entendre sa voix sont difficiles à surmonter, Li-Chin y fait face comme les arbres qui résistent à l’hiver. Pour renaître au printemps, riche de ses deux héritages dont elle a fait ses maisons.
Goán tau : chez moi, de Li-Chin Lin
Éditions çà et là
Septembre 2021
184 pages
20 euros
ISBN : 978-2-36990-296-6