"J’ai compris qu’il me faudrait aller voir ailleurs"
D’origine taïwanaise, Li-Chin Lin vit à Valence, dans la Drôme. Elle est deux mois au chalet Mauriac pour travailler à la mise en forme d’une bande dessinée consacrée aux aborigènes qui tentent de préserver leur culture et leur mode de vie sur la côte est de son île natale. Ce qui n’est déjà pas banal. Reste encore à découvrir que, si elle vient pour la première fois à Saint-Symphorien, la région ne lui est pas inconnue car Li-Chin Lin fréquente chaque année, par passion, un "petit village", c’est son expression, du cœur des Landes.
Je dessine depuis l’enfance mais, à Taïwan, j’ai d’abord fait des études d’histoire car les métiers artistiques, en Asie, ne sont pas considérés comme assez "rassurants". Mes parents m’ont poussée à suivre cette voie, que j’aimais d’ailleurs beaucoup, mais ensuite, à l’université, il m’a semblé moins intéressant d’enseigner l’histoire que de raconter des histoires en dessin !
Alors, après la fac, j’ai suivi un cours privé d’illustration, et ensuite j’ai commencé à travailler comme illustratrice jeunesse. C’est un domaine où, à Taïwan comme ailleurs, il y a un marché, mais avec un langage assez contraint et des éditeurs souvent peu ouverts à des innovations esthétiques.
Avant cela, je pensais devenir dessinatrice de mangas, que petite j’aimais bien, mais en fait je ne connaissais que le manga mainstream, commercial, dont la cadence de production professionnelle est très intense et où, là aussi, l’esthétique est très codifiée, peu libre.
Alors j’ai compris qu’il me faudrait aller voir ailleurs, à l’étranger.
J’ai repris la bande dessinée quand je suis venue, il y a plus de dix ans, pour suivre des études en France. Et même si la forme classique, franco-belge, fait partie du patrimoine et de son histoire, l’école d’art d’Angoulême était déjà tournée vers la bande dessinée d’auteur, celle que publient des éditeurs indépendants comme Cornelius, L’Association ou Les Requins marteaux par exemple.
Ce choix de la France avait plusieurs raisons : le français était une des langues que j’avais apprise ; à une époque où l’Internet était moins répandu, j’avais surtout des informations sur des écoles françaises ; les jeunes taïwanais partent surtout vers les États-Unis et le Japon, j’avais envie de faire des choix différents ; enfin, financièrement, le coût de la vie dans les pays anglo-saxons me paraissaient plus élevé.
Au départ, mon style, plutôt influencé par le manga, n’était pas très apprécié par les professeurs. Progressivement, la découverte du travail d’autres dessinateurs m’a fait réfléchir et prendre de la distance. Désormais, même si je garde toujours des codes inspirés par le manga, je travaille plus du côté du croquis, du reportage.
Si j’étais restée à Taïwan, je n’aurais certainement pas pu faire cela, ni prendre confiance dans ce mode d’expression.
Et puis en France, d’abord il y a eu les études, ensuite il y a eu les rencontres. Je me suis installée ici, et, pour continuer de faire de la bande dessinée, cela me semblait plus intéressant ici aussi !
J’envisageais d’écrire mon deuxième livre à partir des nombreux croquis d’artistes de flamenco que j’ai réalisés au festival de Mont-de-Marsan, où je vais presque tous les ans depuis 2007. Mais quand j’ai raconté l’histoire de ma copine devenue agricultrice à mon éditeur, il m’a encouragé à poursuivre ce projet, qui a donc pris la place.
Mon amie travaillait à Taïwan dans une importante société qui implante des sortes de clubs Med un peu partout. Elle l’a quittée pour aller vivre dans une des zones les plus sauvages de l’île, sur la côte est, où, avec d’autres agriculteurs et agricultrices, elle milite pour les droits des aborigènes, installés là longtemps avant les immigrés chinois, et pour le respect de l’environnement. Les lieux sont magnifiques, encore assez préservés, mais les promoteurs immobiliers s’y intéressent de très près…
Mon premier livre, Formose, traitait déjà d’une autre façon de raconter l’histoire de Taïwan. D’une certaine manière, celui-là aussi. Ces premiers peuples de l’île, dont il ne reste qu’un très petit nombre, ont des cultures très riches. Mais on s’y intéresse et on les met en valeur seulement quand l’exigent des évènements importants, alors qu’ils doivent en permanence se battre pour préserver leurs droits à vivre sur cette terre.
Avec l’aide de mon éditeur et parce que j’ai vite compris que travailler à distance sur un tel sujet était irréaliste, j’ai pu aller trois mois sur place faire des croquis et des photos, rencontrer les amis aborigènes de ma copine, participer à des fêtes traditionnelles, surtout vivre avec eux.
Et maintenant, avec tout le matériau que j’ai ramené, je dois faire un découpage, trouver un récit, une structure.
Mon travail pendant ce temps de résidence.