"Hawaii au goût de sel" : quand la lecture prend vie
Entre chant d’amour, conte écologique et hymne à l’île d’Hawaï et à ses mythes, le dernier livre de Julie Nakache, Hawaii au goût de sel (Eidola éditions), est le fruit d’un travail collectif mêlant les univers de trois artistes de talent. Aux mots poétiques de l’autrice se mêlent les magnifiques dessins de l’illustratrice Zoé Crevette, la musique et la voix envoûtante de l’auteur-compositeur Troy Balthazar, résultat de la résidence de création périlittéraire de l'autrice et du musicien au Chalet Mauriac. Un livre musical dont les chants et la lecture enregistrée sont accessibles via des QR codes. Une lecture comme une invitation à partir avec eux pour un voyage enchanteur, bercé par des chants aux accents polynésiens.
Si on regarde l’ensemble de votre travail, il y a des lignes de récurrence qui le traversent : les femmes, d’abord, réelles ou fantastiques, comme la femme-végétale, la femme-louve ou la femme-requin dans votre dernier livre. Pourquoi cette présence récurrente de personnages féminins ?
Julie Nakache : L’idée de donner une place à la femme dans la littérature m’obsédait. Je trouve qu’elle est trop souvent considérée comme une muse ; il est rare de trouver des personnages de femme totalement accomplie. Cela rejoint aussi la thématique de la métamorphose que l’on retrouve dans mes romans et dans mes livres illustrés.
Votre univers artistique est aussi peuplé de créatures mythologiques ou merveilleuses comme dans les contes ou les fables, notamment dans vos livres illustrés. Est-ce un moyen, pour vous, de prolonger un peu le monde de l’enfance ?
J.N. : Oui, très certainement. J’écris beaucoup à partir du souvenir. Je lisais de nombreux contes quand j’étais petite et je pense que cela a imprégné mon imaginaire et irrigue mon inconscient. Dans le conte comme dans le mythe, il y a des archétypes qui sont des universaux et qui traversent le temps, c’est très riche.
Dans Hawaii au goût de sel, la musique tient une place particulière. Et ce n’est pas la première fois que vous travaillez avec un artiste pour mettre en voix et en musique vos textes. Qu’est-ce que la musique apporte au texte selon vous et quelle est l’importance de cette transdisciplinarité dans votre travail ?
J.N. : Le travail d’écriture est souvent très solitaire et le fait de le confronter avec un autre monde, en l’occurrence l’univers musical de Troy Balthazar, cela l’enrichit considérablement. Pour l’écriture de cette nouvelle, je me suis inspirée d’une chanson de Troy que j’aime beaucoup, qui s’appelle Tropical. C’était donc une évidence et une chance de mettre en musique et en voix cette histoire avec lui. Cela donne une autre coloration au texte. La musique permet au personnage du pêcheur de s’incarner ; il prend corps et chair presque sous les yeux du lecteur. Quand j’ai lu le texte en public pour la première fois, sans Troy, mais sur sa musique, j’avais vraiment l’impression que mon personnage m’échappait complètement et devenait ce pêcheur-chanteur qui disparaît dans les abysses… Je crois que sans la musique, je n’aurais pas réussi à donner cette même couleur au personnage.
Quelles sont les coïncidences entre l’univers musical de Troy Balthazar et le vôtre, littéraire et poétique ?
J.N. : Certainement le goût pour les abysses, pour les profondeurs, pour la métamorphose, aussi ; l’univers musical de Troy est peuplé d’un bestiaire. Et j’ajouterais une douce mélancolie.
Comment avez-vous travaillé ensemble pour la création de ce livre et de la lecture musicale qui l’accompagne, en particulier lors de votre résidence au Chalet Mauriac ?
J.N. : Nous avons d’abord lu le texte plusieurs fois tous les deux. Ensuite Troy a fait des prises en studio sur la voix, il a commencé à composer. Je lui ai donné quelques indications sur ce que je souhaitais. Je voulais par exemple une chanson plutôt joyeuse pour la fin, pour montrer que la musique et la poésie l’emportaient sur la violence du monde et sur la honte de l’homme face à la nature. Au Chalet Mauriac, c’était très différent, puisqu’il s’agissait de préparer un spectacle. Troy est beaucoup plus habitué que moi à la scène, j’ai donc suivi ses conseils. Pour lui, le défi était d’essayer de retranscrire en live ce qu’il avait composé pour l’enregistrement ; mais finalement, ce sont deux choses très différentes. Nous avons prévu une version solo pour les représentations où Troy ne pourra pas être présent. Il s’agit d’une lecture en live sur une musique enregistrée, avec une vidéo en fond projetant les dessins de Zoé Crevette. Ce format se rapproche plus du livre que lorsque Troy est présent sur scène.
Avez-vous retravaillé le texte en vue de la lecture musicale ?
J.N. : Oui, mais à la marge. J’ajoute ou je supprime certains mots ou passages, tout dépend de la configuration du lieu, de la scène et de la manière dont je m’empare du texte. En ce sens, l’exercice de la lecture live me plaît beaucoup.
Dans quelle mesure ce récit poétique s’inspire-t-il des mythes hawaïens ?
J.N. : Troy vient de là-bas, cela faisait donc sens que ce soit lui qui fasse la musique, parce qu’il a baigné dans cette culture dans son enfance et il en reste des traces dans son travail. Il a d’ailleurs intégré à l’enregistrement des chants traditionnels de pêcheurs hawaïens. Mais je ne prétends pas du tout réécrire ces mythes fondateurs, c’est une source d’inspiration majeure plus qu’une réécriture.
Dans Hawaii au goût de sel, la force de la Nature se confronte à ces pêcheurs qui incarnent la violence exercée à son encontre. Mais finalement, c’est la poésie qui l’emporte. Sans vouloir faire un livre engagé ou militant, il y avait cette volonté de dire ou de sentir les mots de cette grande honte que ressent parfois l’homme face à la Nature.
Comment se sont passées votre rencontre et votre collaboration avec l’illustratrice Zoé Crevette ?
J.N. : Mon éditrice, Delphine Rieu [Eidola éditions, NDLR], en qui j’ai une confiance totale car cela fait longtemps que l’on travaille ensemble, m’a proposé différents illustrateurs et illustratrices. Les dessins de Zoé m’ont paru exceptionnels. Nous avons eu assez peu d’échanges, finalement, durant la préparation du livre. On s’est rencontré une fois ; je lui ai donné quelques indications sur la manière dont je voyais le livre tout en lui laissant une grande liberté. Je ne me voyais pas guider son travail, je lui ai fait confiance.
Comment votre éditrice vous a-t-elle accompagnée sur ce projet ?
J.N. : Elle l’a vraiment soutenu dès le début. Pour mon précédent livre, Legend of the Willow, le premier de cette collection, elle m’a suivie avec quelques réticences, car le format livre musical, avec QR codes, lui paraissait un peu risqué. Finalement, elle s’est prise au jeu, elle a fait un travail éditorial remarquable. Le livre est très beau. Forte de cette expérience positive, elle s’est tout de suite beaucoup investie dans le projet Hawai au goût de sel. Ce que j’apprécie beaucoup dans le travail avec Eidola, c’est la complétude des univers artistiques, musicaux et littéraires qui se mêlent. Nous tenons aussi beaucoup à cette idée du collectif qui prévaut dans la lecture musicale. Il y a quelque chose d’un peu magique dans ce partage d’un texte accompagné de musique, de dessins face à des gens qui le reçoivent.
Justement, à qui s’adresse ce livre ?
J.N. : À tout le monde, je pense. Les enfants comme des personnes plus âgées peuvent ressentir les mêmes émotions. Ce texte se prête à plusieurs niveaux de lecture. Il y a une dimension métaphysique, une réflexion sur l’art et le premier degré de lecture qui est le conte, avec son schéma narratif classique, les méchants qui arrivent et le héros qui se transforme.
Quelles sont les dates importantes à venir ?
J.N. : Une représentation au théâtre d’Angoulême en novembre, peut-être une lecture au théâtre du Cloître, à Bellac, en Haute-Vienne, ainsi que dans des médiathèques autour de Limoges. Et puis en septembre, pour la Fête au Chalet, à Saint-Symphorien (33).