Héroïnes de l’Ouest
Marthe Sébille a été accueillie ce printemps au Chalet Mauriac pour travailler l'écriture de son projet de long métrage de fiction Vagabondes. Rencontre avec la réalisatrice et Éva Sehet, cheffe opératrice qui a partagé trois jours de résidence avec Marthe.
La rencontre a lieu un jour de printemps dans le parc du Chalet Mauriac. C’est la fin d’une chaude après-midi dans les Landes. Une table, trois chaises qui tournent au gré de l’ombre que veut bien fournir le majestueux pin de la terrasse.
Marthe Sébille est en résidence pour 10 jours. Elle est accompagnée d’Éva Sehet, cheffe opératrice. Elles ont trois jours pour réfléchir à la direction artistique de Vagabondes, le premier long métrage de la réalisatrice, produit par Dolce Vita films. Le scénario du film est presque terminé et prêt à partir en recherche de financement.
"Vagabondes, c’est l’histoire d’une blessure et d’une renaissance", raconte Marthe. "L’histoire de Claude, une femme de 45 ans, qui vit recluse dans sa douleur. Ancienne alcoolique, elle a tout perdu, elle a raté sa maternité, jusqu’à perdre sa petite fille. En sauvant Ada, une jeune femme enceinte fuyant un conjoint violent, Claude trouvera la force de réparer le passé et de réapprendre à vivre au présent."
À la lecture du scénario, on sent que le paysage est un personnage à part entière. "Les paysages sur Vagabondes sont l’enceinte du personnage de Claude. Ils sont sa mémoire, son futur, ses cicatrices. Ils apaisent, ils écorchent. Dans ces paysages, elle peut avancer. C’est le principe du road movie, le paysage transporte, l’esprit divague, vagabonde. À l'écriture avec ma coscénariste Magali Negroni, nous voulions de la beauté, des grands espaces, pour ne pas enfermer davantage les héroïnes. Les paysages traversés par Claude et Ada doivent contraster avec leur passé tragique." La réalisatrice précise : "Vagabondes est un film d'action, où les dialogues se font rares, au profit des corps, élancés dans de vastes paysages ou coincés dans des lieux étroits."
La réalisatrice imagine un western, avec des personnages forts, dont les femmes sont les héroïnes. "Le western est le genre de film dans lequel le paysage soutient toute l’histoire. Il est question d’espaces vierges et de civilisation. Il y a beaucoup de rivalités dans les westerns. Et un combat permanent pour survivre, pour être libre. La violence et les injustices dont les femmes sont encore victimes, c’est pour moi la sauvagerie d’un monde aux codes archaïques, d’où le choix du western."
"Je ne crois pas aux monstres. Je ne crois pas qu’un être humain puisse fondamentalement être mauvais jusqu’au bout. Je crois qu’il y a une seconde chance."
agabondes est l’histoire d’une rédemption, Marthe s’en explique : "Je ne crois pas aux monstres. Je ne crois pas qu’un être humain puisse fondamentalement être mauvais jusqu’au bout. Je crois qu’il y a une seconde chance. La maternité ratée, endeuillée, de Claude m'intéresse beaucoup. Au-delà de la maternité, ce qui m'intéresse, c’est cet état de mélancolie ou de marginalité, d’être à côté de la plaque que Claude ressent, qu'elle soit mère ou pas. Être mère ne l’a pas aidé à aller mieux, ne l'a pas sauvé."
Éva Sehet arrive de Marseille, où elle a fini un tournage, pour travailler à Saint-Symphorien avec la réalisatrice. Les deux professionnelles se sont rencontrées l’année dernière, lors du tournage du quatrième court métrage de Marthe Sébille, Que la bête monte. Une première expérience de travail qu’elles ont souhaité renouveler. La cheffe opératrice explique : "Avec Marthe, les ambitions visuelles sont très fortes, ce n’est pas le cas pour tous les réalisateurs. Une grande partie du travail va se faire pendant les repérages. On va étudier les avantages et les inconvénients des lieux trouvés par rapport à ce que l’on a en tête."
Le visionnage de films et les échanges qui en découlent vont être au cœur de leur travail pendant la résidence. "Nous avons revu La Prisonnière du désert de John Ford, pour sa mise en scène et en espace", indique Marthe. "Comment va se traduire en image le point de vue, l'éthique du film et comment va-t-on filer une idée qui sera traduite en image. Les personnages traversent la nature, qui les soutient ou les écrase. On s’interroge donc sur comment placer les personnages dans le paysage. Est-ce qu'on part sur du contrechamp ou est-ce qu’on met le personnage dans le paysage pour montrer son point de vue ? Avec Éva, on réfléchit ensemble sur la fabrication de l'image." Éva ajoute : "Nous, les collaborateurs techniques et artistiques, avons besoin de sentir que la réalisatrice a un désir très fort pour un endroit. On sait que parfois il faut s’adapter, qu’il faut faire des concessions sur certains décors, sur certaines lumières, mais on a besoin de savoir sur quoi il ne faut pas transiger et sur ce qui fait l’essence du film."
"On est à un moment où tout est à inventer et les contraintes viendront plus tard."
Ce travail sur la mise en scène est primordial pour un long-métrage où plusieurs idées fortes se répondent ou s’opposent. “Cet espace de travail proposé par la résidence est libéré de toutes les contraintes financières et techniques. À ce stade du projet, c’est précieux de pouvoir réfléchir à l’écriture de l’image avec Éva Sehet et avec le chef décorateur Loïc Cascarino (venu quelques jours plus tôt au Chalet Mauriac). Peu de résidences offrent cette possibilité. On est à un moment où tout est à inventer et les contraintes viendront plus tard.”
Par contrainte, entendez surtout budget. Une fois le financement bouclé, le scénario d'aujourd'hui rentrera-t-il dans ce budget et comment l’ajuster avec la réalité du tournage, des acteurs... Marthe indique : "J'aimerais trouver des décors qui vont s'adapter au scénario. Soit on trouve ce que l'on cherche, soit on construit le décor. Les choix esthétiques d’un idéal se profilent et ils nous amèneront à prendre des décisions économiques et artistiques. Il faudra dégager des priorités."
Les lieux de tournage pressentis se partagent entre la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie. La vallée d’Aspe dans les Pyrénées, point de départ du film, les Landes, le Limousin et un grand final dans les Cévennes. "Je suis très attachée à la Nouvelle-Aquitaine. C’est une région où il y a tellement de territoires forts et dynamiques, l’océan Atlantique, les montagnes." Marthe détaille : "J’ai découvert Contis-Plage lors d’une résidence d’écriture proposée par le département des Landes et le Cinéma de Contis, un cinéma d’art et essais qui organise aussi un festival de court métrage. C’est un tout petit village avec une énergie de cinéma très forte. C’est une région qui suit et soutient les auteurs." Éva souligne : "Beaucoup de techniciens se sont installés en Nouvelle-Aquitaine et on constate un grand dynamisme de tournage."
Marthe Sébille évoque l’influence de Thelma et Louise sur son projet, mais aussi de Pedro Almodovar. "Ses films ont beaucoup compté pour fabriquer mon regard de réalisatrice. Mon désir d'héroïne vient d’ailleurs de ses premiers films, découverts au collège. Talons Aiguilles, Tout sur ma mère ont été fondateurs pour moi. Les personnages féminins chez Almodovar sont des femmes très belles, plantureuses, ultra-féminines, puissantes, courageuses mais pas toutes. Il y a aussi de beaux personnages de mères, de nonnes. J’aime aussi le cinéma d'Andrea Arnold avec American Honey ou Fish Tanks. J’aime l’énergie qu’elle insuffle dans ses films et cette énergie qui se tourne vers l'Amérique."
La réalisatrice cite aussi Sam Peckinpah et Clint Eastwood pour ses histoires de rédemption. Elle explique d’ailleurs le choix du western en partie pour satisfaire son envie de cinéma américain. Autant western que film d’auteur, gageons que Vagabondes saura dépoussiérer un genre classiquement peu en phase avec les questions de notre société post #metoo.