Isabelle Andreani : la mécanique des rouages
Avez-vous déjà porté un casque et des gants haptiques pour regarder un film d’animation en réalité virtuelle ? L’immersion immédiate "dans" le film est une expérience physique et unique. C’est ce que souhaite réaliser, avec un court métrage intitulé Mamie Lou, Isabelle Andreani, lauréate de la résidence d’écriture transmédia 2019 du Chalet Mauriac, du 8 juillet au 2 août.
Née en 1976, à Paris où elle vit, Isabelle est une scientifique-artiste, un modèle d’humain atypique. Après un diplôme d’ingénieure et de chercheuse en physique fondamentale à Grenoble, elle part en Californie développer un système de diagnostic à distance. À son retour, elle obtient un master en management et en nouvelles technologies à HEC, et entre en marketing dans l’électronique… Avant de lancer une école d’art sur une plateforme numérique qui marque ses débuts dans l’écriture pour les nouveaux médias.
La technologie est manifestement ton fil d’Ariane mais quel est le carburant ?
Isabelle Andreani : Mon parcours surprend toujours. Pourtant, même si j’ai eu plusieurs vies, la constante, qui est la base de ma curiosité, est le lien entre les savoirs et la technologie. Dès la fin des années 80, je me suis intéressée à Internet ; cet outil de connaissances me fascinait. Depuis, ce sont surtout le développement et les interfaces qui me passionnent. Même si la focale s’ouvre désormais sur les nouveaux médias, à savoir le web, les médias sociaux et plus récemment la réalité virtuelle, je suis toujours dans le développement ; je passe désormais par la conception et l’écriture de projets narratifs.
Le carburant finalement c’est la création. J’ai toujours fait du dessin et du modelage, c’est comme une deuxième peau. De fait, quand j’ai quitté le marketing en 2008, j’ai monté une école d’art en ligne, pour créer une courroie de transmission et d’échanges entre les artistes et le public. Des cours de peinture, dessin, modelage, étaient filmés et postés sur une plateforme. La créer c’était ma partie et j’ai eu la chance qu’un de mes associés, expert en production (tournage et post production) m’initie au montage, outil qui me manquait et que j’ai trouvé passionnant.
Dans le même temps, je m’intéressais à l’émergence des médias sociaux et aux questions d’interfaces et d’interactions qui organisaient les publications et les conversations. Au début Facebook ne proposait que le like. Maintenant plusieurs émoticônes permettent d’exprimer différentes émotions mais, si cela organise le dialogue, ça le contraint aussi. Avec la VR (virtual reality) et les intelligences artificielles, l’idée est d’inventer quelque chose de plus humain et de plus riche. Les personnages peuvent parler et l’échange se fait avec du vrai langage et non plus avec des codes. L’espace virtuel en 3 dimensions, grâce à la stéréoscopie - technique qui permet de projeter la 3D au niveau du regard - liée aux technologies avec casque, nous permet de sortir enfin des formats d’écran assez contraints aussi et donne une sensation d’espace. On retrouve son corps, on peut se déplacer et presque toucher les choses. Le son aussi est spatialisé et des interfaces qui fonctionnent avec des gants haptiques ou avec des capteurs détectant les parties du corps, permettent d’utiliser ses mains voire de créer des sensations de toucher. Des chercheurs travaillent aussi sur la création de sensations olfactives. L’idée de ces expériences virtuelles, c’est qu’elles soient plus en phase avec notre vie réelle, avec ce qu’on est et ce qu’on ressent.
La technologie est manifestement ton fil d’Ariane mais quel est le carburant ?
Isabelle Andreani : Mon parcours surprend toujours. Pourtant, même si j’ai eu plusieurs vies, la constante, qui est la base de ma curiosité, est le lien entre les savoirs et la technologie. Dès la fin des années 80, je me suis intéressée à Internet ; cet outil de connaissances me fascinait. Depuis, ce sont surtout le développement et les interfaces qui me passionnent. Même si la focale s’ouvre désormais sur les nouveaux médias, à savoir le web, les médias sociaux et plus récemment la réalité virtuelle, je suis toujours dans le développement ; je passe désormais par la conception et l’écriture de projets narratifs.
Le carburant finalement c’est la création. J’ai toujours fait du dessin et du modelage, c’est comme une deuxième peau. De fait, quand j’ai quitté le marketing en 2008, j’ai monté une école d’art en ligne, pour créer une courroie de transmission et d’échanges entre les artistes et le public. Des cours de peinture, dessin, modelage, étaient filmés et postés sur une plateforme. La créer c’était ma partie et j’ai eu la chance qu’un de mes associés, expert en production (tournage et post production) m’initie au montage, outil qui me manquait et que j’ai trouvé passionnant.
Dans le même temps, je m’intéressais à l’émergence des médias sociaux et aux questions d’interfaces et d’interactions qui organisaient les publications et les conversations. Au début Facebook ne proposait que le like. Maintenant plusieurs émoticônes permettent d’exprimer différentes émotions mais, si cela organise le dialogue, ça le contraint aussi. Avec la VR (virtual reality) et les intelligences artificielles, l’idée est d’inventer quelque chose de plus humain et de plus riche. Les personnages peuvent parler et l’échange se fait avec du vrai langage et non plus avec des codes. L’espace virtuel en 3 dimensions, grâce à la stéréoscopie - technique qui permet de projeter la 3D au niveau du regard - liée aux technologies avec casque, nous permet de sortir enfin des formats d’écran assez contraints aussi et donne une sensation d’espace. On retrouve son corps, on peut se déplacer et presque toucher les choses. Le son aussi est spatialisé et des interfaces qui fonctionnent avec des gants haptiques ou avec des capteurs détectant les parties du corps, permettent d’utiliser ses mains voire de créer des sensations de toucher. Des chercheurs travaillent aussi sur la création de sensations olfactives. L’idée de ces expériences virtuelles, c’est qu’elles soient plus en phase avec notre vie réelle, avec ce qu’on est et ce qu’on ressent.
Tu humanises ces technologies, c’est un discours assez inhabituel…
I.A. : C’est parce que ma démarche est un peu sociologique : j’essaie de comprendre comment les nouvelles formes d’interaction génèrent de nouvelles façons de s’exprimer. Un des projets transmédia sur lequels j’ai travaillé, Like a YouTuber1, montrait comment cette plateforme de diffusion de vidéos avait ouvert un nouveau mode d’interaction entre le créateur et une communauté de fans, ce qui était alors très innovant. Ce documentaire, malheureusement, n’a pu aller qu’en développement comme d’ailleurs en 2015, un autre projet transmédia, Avaler la notice2, qui reposait aussi sur une dynamique socio-philosophique… Une série d’anticipation sur le thème du transhumanisme interrogeait la montée des technologies dans nos vies. Pour en débattre en ligne et en temps réel, nous avions créé sur le web une entreprise fictive qui devait organiser de faux recrutements en parallèle d’une série d’anticipation. En fait, ce sont les réactions du public qui nous intéressaient le plus.
Tu en penses quoi ?
I.A. : C’est assez paradoxal, je suis très excitée par la technologie et le champ des possibles que ça ouvre et, en même temps, je sais que le risque est de perdre en libre arbitre et en liberté. Toutefois, la réalité virtuelle offre un vrai saut technologique. Un des meilleurs films VR à mon sens qui a été fait sur la question des sensations, c’est Notes on blindness3, un projet constitué d’une expérience en réalité virtuelle, basée sur le journal intime audio de John Hull, un professeur de théologie et écrivain devenu aveugle en 1983, qu’il a tenu pendant trois ans. Avec la VR, on suit sa perte de vue progressive et c’est assez troublant.
"Le problème est que la question de l’acceptation des soins – et jusqu’où – est absente des discussions familiales y compris avec le patient."
Comment es-tu arrivée à Mamie Lou, ton projet en résidence ?
I.A. : J’animais un “rendez-vous” de créateurs en réalité virtuelle quand ma grand-mère est décédée. Le rêve de tous est de mourir de vieillesse, en s’endormant sans douleur. En réalité, les trois-quarts des gens meurent à l’hôpital ou dans un Ehpad4 parce que survient un incident médical - là c’était un AVC - pour lequel on accepte une prise en charge et on entre dans un processus de soin, avec les urgences, l’opération, le séjour en hôpital, l’attente des résultats... Cette médicalisation, en lien avec la technologie justement, m’a fait constater qu’aujourd’hui on ne meurt pas ; il y a toujours quelque chose à soigner. Le problème est que la question de l’acceptation des soins – et jusqu’où – est absente des discussions familiales y compris avec le patient. Aussi, pendant toute cette période, je me suis demandée ce que ma grand-mère ressentait. On ne connaissait pas les lois sur la fin de vie5 et celles sur l’acharnement thérapeutique qui stipulent notamment qu’on peut laisser la consigne de ne pas ranimer si… C’est à l’issue de tout ce parcours qu’a émergé ce travail d’écriture de fiction, comme un espace vide à remplir.
Tu en es à quelle étape ?
I.A. : Ce sera un court métrage d’animation interactif en VR. J’en suis à la version 2 du scenario. Au Chalet Mauriac, j’ai eu la chance d’être entourée d’autres auteurs en résidence qui ont lu mon scénario et leurs retours m’ont vraiment aidée. Entre temps, ma grand-mère est devenue un personnage de fiction : Mamie Lou. Le récit sera un aller-retour entre les épisodes médicaux que j’ai conservés et les échappatoires dans ses souvenirs. Je travaille sur des formes d’écoute non verbales en jouant sur le fait de se rapprocher d’elle, de se mettre dans sa sphère, ce qui est très spécifique à la VR. L’utilisateur, le héros accompagnant, soit l’ange gardien, échangera avec elle des regards ou des gestes, pour débloquer ses souvenirs et l’aider à partir en paix. Je voulais surtout que ce soit lumineux et libérateur, avec un ton léger et de petites touches d’humour.
Tu as commencé à envisager la diffusion ?
I.A. : À part dans les festivals, il y a peu de possibilités de diffusion et ça ne suffit pas pour financer des projets. Il y a deux ans, j’ai échangé avec des médecins urgentistes et de réanimation et j’ai réalisé que si la famille prenait plus sa place dans les décisions, ça les soulagerait d’une trop grande responsabilité qui leur ait laissée. Comme mon projet vise à informer sur la législation de fin de vie, à l’intérieur d’un contexte medical, j’ai cherché s’il y avait eu des campagnes de médiation et j’ai découvert La fin de vie, et si on en parlait ?6, réalisée par le ministère de la Santé. J’aimerais me rapprocher de ces institutions pour la diffusion, ainsi que des circuits de diffusion specialisés, destinés aux Ehpads ou aux services de soins palliatifs. Cette expérience finalement a cristallisé au moins une réponse : le besoin d’être présent à l’autre. Et en accompagnant un proche, il nous faut surtout admettre qu’on ne sait rien, surtout de la fin.
I.A. : J’animais un “rendez-vous” de créateurs en réalité virtuelle quand ma grand-mère est décédée. Le rêve de tous est de mourir de vieillesse, en s’endormant sans douleur. En réalité, les trois-quarts des gens meurent à l’hôpital ou dans un Ehpad4 parce que survient un incident médical - là c’était un AVC - pour lequel on accepte une prise en charge et on entre dans un processus de soin, avec les urgences, l’opération, le séjour en hôpital, l’attente des résultats... Cette médicalisation, en lien avec la technologie justement, m’a fait constater qu’aujourd’hui on ne meurt pas ; il y a toujours quelque chose à soigner. Le problème est que la question de l’acceptation des soins – et jusqu’où – est absente des discussions familiales y compris avec le patient. Aussi, pendant toute cette période, je me suis demandée ce que ma grand-mère ressentait. On ne connaissait pas les lois sur la fin de vie5 et celles sur l’acharnement thérapeutique qui stipulent notamment qu’on peut laisser la consigne de ne pas ranimer si… C’est à l’issue de tout ce parcours qu’a émergé ce travail d’écriture de fiction, comme un espace vide à remplir.
Tu en es à quelle étape ?
I.A. : Ce sera un court métrage d’animation interactif en VR. J’en suis à la version 2 du scenario. Au Chalet Mauriac, j’ai eu la chance d’être entourée d’autres auteurs en résidence qui ont lu mon scénario et leurs retours m’ont vraiment aidée. Entre temps, ma grand-mère est devenue un personnage de fiction : Mamie Lou. Le récit sera un aller-retour entre les épisodes médicaux que j’ai conservés et les échappatoires dans ses souvenirs. Je travaille sur des formes d’écoute non verbales en jouant sur le fait de se rapprocher d’elle, de se mettre dans sa sphère, ce qui est très spécifique à la VR. L’utilisateur, le héros accompagnant, soit l’ange gardien, échangera avec elle des regards ou des gestes, pour débloquer ses souvenirs et l’aider à partir en paix. Je voulais surtout que ce soit lumineux et libérateur, avec un ton léger et de petites touches d’humour.
Tu as commencé à envisager la diffusion ?
I.A. : À part dans les festivals, il y a peu de possibilités de diffusion et ça ne suffit pas pour financer des projets. Il y a deux ans, j’ai échangé avec des médecins urgentistes et de réanimation et j’ai réalisé que si la famille prenait plus sa place dans les décisions, ça les soulagerait d’une trop grande responsabilité qui leur ait laissée. Comme mon projet vise à informer sur la législation de fin de vie, à l’intérieur d’un contexte medical, j’ai cherché s’il y avait eu des campagnes de médiation et j’ai découvert La fin de vie, et si on en parlait ?6, réalisée par le ministère de la Santé. J’aimerais me rapprocher de ces institutions pour la diffusion, ainsi que des circuits de diffusion specialisés, destinés aux Ehpads ou aux services de soins palliatifs. Cette expérience finalement a cristallisé au moins une réponse : le besoin d’être présent à l’autre. Et en accompagnant un proche, il nous faut surtout admettre qu’on ne sait rien, surtout de la fin.
1 Documentaire transmedia sur les Youtuber. Création Florence Roy et Isabelle Andreani, Yuzu production, développement 2016.
2Fiction transmédia sur le transhumanisme. Création : Étienne Milliès-Lacroix, Mathias Abramovicz, Isabelle Andreani et Julien Debyser. Développement : Fact Studio. Aide au développement du fonds Transmedia de la Ville de Paris 2015.
3 Réalisé par Pete Middleton et James Spinney en avril 2016, à Chicago, Note of blindness a reçu le British Independent Film Award (meilleur documentaire britannique). L’expérience VR, elle, Notes on blindness : Into Darkness a été réalisée par Arnaud Colinart et Amaury La Burthe, a été récompensée du Storyscape Award au festival de Tribeca 2016 et du Alternate Realities VR Award au Sheffield Doc Fest 2016. Elle a également été élue Meilleure œuvre expérimentale, lors du Kaleidoscope World Tour VR Festival 2016.
4 Établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes
5 Notion indiquant que l’objectif n’est pas de guérir mais plutôt de préserver jusqu’à la fin la qualité de vie des personnes et de leur entourage.
6 Cette campagne nationale de 2017, invitait les français à réfléchir à leur fin de vie et à en parler avec leurs proches et/ou professionnels de la santé, et à rédiger éventuellement des directives anticipées. https://solidarites-sante.gouv.fr/soins-et-maladies/prises-en-charge-specialisees/findevie/
Née en 1968, Nathalie André a grandi sur l’Île d’Oléron, en Charente-Maritime, et est diplômée en histoire de l’art et archéologie à Bordeaux Montaigne. Elle a été secrétaire de rédaction pour la revue et maison d’édition Le Festin puis responsable de publications pour les éditions Le bleu du ciel. Chargée ensuite de programmes Vie littéraire à ALCA Nouvelle-Aquitaine, elle travaille actuellement en tant qu’éditrice indépendante.
(Photo : Centre international de poésie Marseille)
(Photo : Centre international de poésie Marseille)