L'Abolition : le combat de Robert Badinter
L’Abolition, sous-titré Le combat de Robert Badinter, de Marie Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden, paru aux éditions Glénat en 2019, est réédité pour les 40 ans du vote de la loi Badinter. L’occasion de se remémorer ou de découvrir le chemin difficile d’une lutte pour l’abolition de la peine capitale en France.
Ce livre, dès la première de couverture, nous plonge dans un univers qui ne laisse aucun doute : le noir domine. Sous le titre, imprimé en rouge en lettres fines, et le sous-titre, blanc, un dessin : dans l’encadrure d’une porte, sorte de lumière dans la nuit, on distingue la silhouette d’un avocat, aisément reconnaissable à sa robe et son regard ne fait aucun doute pour ceux qui l’ont déjà vu, il s’agit de Robert Badinter. Son ombre portée n’est pas la sienne mais celle d’une guillotine stylisée en noir sur fond blanc.
Nous entrons par une citation : "Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort", issue du discours de Victor Hugo, le 15 septembre 1848, manière de souligner que le débat ne date pas du vingtième siècle. S’y ajoute un avertissement au bas de cette même page : les auteurs tiennent à préciser que cet ouvrage n’a pas vocation à être une étude historique même s’il se base sur des faits réels, et qu’ils se sont documentés pour être au plus près des événements décrits. En effet, les dates précises, les lieux, jalonnent le récit et permettent au lecteur de, petit à petit, comprendre comment cette loi historique a pu enfin être votée en 1981, avant d’être inscrite dans la constitution, le 24 février 2007.
Le récit est découpé en de multiples scènes alternant narration chronologique et retours en arrière. La première planche nous fait découvrir cinq cases, le 27 novembre 1972. La première occupe toute la largeur de la page et montre une série d’immeubles noirs en légère contre-plongée, les fenêtres blanches et le ciel gris bleu nous indiquent qu’il fait nuit. Juste au-dessous, une case de même largeur plus étroite, zoome sur une plaque : "Badinter, Bredin, et partenaires - avocats". Le protagoniste est identifié. Dans les trois dernières cases, dont la première est ouverte, l’enjeu est posé : un téléphone sonne, un gros plan sur un œil, le haut d’un téléphone, une partie de main et le texte sortant du combiné qui nous indique que l’exécution est fixée à la nuit même, enfin, un plan large de Robert Badinter, en pleine réflexion, tenant son crayon à son bureau. Cette dernière case nous invite à tourner la page et nous plongerons dans une autre scène, le moment de l’exécution. Tout se déroule habilement. Les événements s’enchaînent et répondent aux questions implicites du lecteur au fur et à mesure. Pourquoi Bontems a-t-il été exécuté ? Qu’à cela ne tienne, une scène nous emmène en septembre 71 pour nous relater ce qui l’a conduit à l’échafaud ainsi que son comparse, Claude Buffet. Tout cela est subtil et nous avançons dans le récit pas à pas en suivant intuitivement ce qui nous est raconté, ce que l’on apprend de Robert Badinter et de ce qui l’anime.
"Les planches sont toutes surprenantes : parfois quasiment muettes, les images suffisent, comme lorsqu’il s’agit du récit autour de Patrick Henry."
Marie Bardiaux-Vaïente sait de quoi elle parle. Cette scénariste est historienne et a soutenu sa thèse en histoire moderne et contemporaine à l'Université Bordeaux-Montaigne sur L'Histoire de l'abolition de la peine de mort dans les six pays fondateurs de l'Union européenne, en 2015. Elle dit avoir éprouvé le besoin de comprendre. "Comprendre comment l’espace européen est de droit le seul espace dans le monde où la peine de mort est interdite"1 . Elle est aussi l’autrice de La Guillotine, avec Rica (Eidola éditions), paru aussi en 2019. Le dessin de Malo Kerfriden nous permet de reconnaître aisément tous les personnages réels composant cette histoire mais ses choix de cadrage, et l’utilisation de la couleur vont au-delà d’une simple illustration graphique : la scène de la prise d’otages avec des cases en plongée au début, puis où des gros plans sont très présents, est bouleversante. Les planches sont toutes surprenantes : parfois quasiment muettes, les images suffisent, comme lorsqu’il s’agit du récit autour de Patrick Henry. D’autres fois, ce sont les couleurs qui nous indiquent un changement de temporalité : du bleu-gris, on passe à une sorte de sépia lorsque nous basculons dans l’enfance ou la jeunesse de Robert Badinter. De plus, la grande variété des cases maintient l’attention du lecteur. Certaines restent gravées dans la mémoire une fois le livre refermé ainsi la case-planche du portrait de Badinter, inquiet mais déterminé ou celle juste avant l‘épilogue. Il en est de même pour le texte : "Personne, jamais, n’est coupable, de rien, même pas du crime qui vient d’être commis..."2
"Les deux dernières pages qui renseignent le lecteur sur quelques dates dans l’histoire de l’abolition de la peine de mort et la bibliographie sélective qui y est proposée sont une invitation à quitter le livre pour mieux y revenir après avoir approfondi la thématique."
Les mots, les images ébranlent le lecteur et on ne peut pas lire ce livre légèrement, il est profond : ce qu’il contient émeut, fait douter, interroge, explique, raconte et surtout rend curieux et intelligent. Les deux dernières pages qui renseignent le lecteur sur quelques dates dans l’histoire de l’abolition de la peine de mort (de 1764, date de la parution de Des Délits et des Peines de Cesare Beccaria, fortement débattu en France au moment des Lumières, à 2007) et la bibliographie sélective qui y est proposée sont une invitation à quitter le livre pour mieux y revenir après avoir approfondi la thématique. Les mots de Victor Hugo et de Robert Badinter qui parsèment l’œuvre nous invitent à les lire ou à les relire. Mais il ne faudrait pas croire que seuls les érudits ou les initiés peuvent lire cet ouvrage. Pas d’âge non plus pour entrer dans l’œuvre : pour certains, cela fera revivre une époque, le fameux journal de Roger Gicquel – "La France a peur" –, pour d’autres, il s’agira de découvrir une époque, pas si lointaine que cela, où un tribunal pouvait décider de la vie ou de la mort d’un être humain. Le récit passionnant fait que chacun d’entre nous se trouve happé, emporté par le combat sans répit mené pour l’abolition de la peine de mort par Robert Badinter.
L'Abolition : le combat de Robert Badinter
Marie Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden
Glénat
Septembre 2021 (NE)
128 pages
19,50 euros
EAN : 9782344048979
1Lire l'entretien complet La voix de Marie Gloris Bardiaux Vaïente
2Citation de Henri Torrès, maître de Badinter, extrait de L’Exécution de R. Badinter, éd. Grasset, 1973