La force de la ligne claire
Depuis 2003, Maïa Thiriet a réalisé trois courts-métrages Ici et là (2004), Hiro ! Fuji-hiro ! (2012) et L’Homme le plus beau du monde (2014) qui est en cours de post-production. Ce dernier, soutenu par le Conseil régional d’Aquitaine, le Conseil général des Landes, la contribution financière du CNC et l’Adami, a été tourné à Saint-Pierre-du-Mont dans les Landes. Cette 1e collaboration avec l'Aquitaine, se poursuit au chalet Mauriac où elle vient, pour la deuxième fois – puis du 10 au 28 juin 2015 – travailler sur l'écriture de son premier long métrage, Burning Bright1.
L'argument du projet est intrigant : "le parcours initiatique de deux jeunes Françaises aux confins de la Chine du nord". C'est une accroche à laquelle s’ajoute la culture asiatique déjà présente dans vos deux précédents courts-métrages.
Maïa Thiriet : J'ai le goût de cette culture et je le cultive encore dans ce projet qui sera un récit d’apprentissage et un conte initiatique. Deux jeunes françaises partent en Chine du nord, au Heilongjiang, qui est proche des frontières russes et nord-coréennes, pour œuvrer à la sauvegarde du tigre de Sibérie, le félin considéré comme le troisième plus gros prédateur terrestre, aujourd’hui en voie d'extinction. Dans cette contrée très pauvre, tenue par la mafia locale, on le surnomme Toyota, parce qu’en vendant sa fourrure, on peut s’acheter un 4 x 4 neuf. Les derniers recensements estiment qu'il n'en reste que 3 200 à l’état sauvage si bien que la Russie et la Chine ont créé des réserves naturelles pour tenter de les sauver. C'est un territoire de vastes plaines, de steppes marécageuses et de forêts immenses, recouvertes de neige en hiver où vont se croiser, entre autres, plusieurs destinées : celles de deux autres garçons déjà sur place, celle de nord-coréens qui traversent la frontière clandestinement, celle de tigres de Sibérie, qui eux ne se préoccupent pas des limites territoriales et traversent partout, d'un pays à l'autre.
Comment vous est venue l’idée de cette histoire située aux confins du monde ?
M.T. : Ce projet a émergé après la lecture d'un livre documentaire de John Vaillant sur ce tigre justement. C’est un écrivain et journaliste américain qui a été reporter pour le National Geographic. La version française parue aux éditions Noir sur Blanc, Le Tigre, Une histoire de survie dans la Taïga2, est un récit à mi-chemin entre enquête, reportage et fiction. Mais ça se passe en Russie et, parce que je connais mieux le pays, j’ai préféré orienter mon projet côté Chinois.
Vous avez prévu de partir pour faire des repérages sur place ?
M.T. : Oui et je suis en contact avec un sinologue, guide de haute montagne. Mais pour l'instant je suis très concentrée sur l'écriture, je reprends entièrement une deuxième version du traitement que j'ai écrit ici l'an dernier. C'est l'étape la plus longue mais aussi la plus essentielle.
La partie relevant de l'écriture du projet se fait en plusieurs étapes. Que représente l’étape du "traitement" ?
M.T. : En fait, après l’argument et le pitch qui présentent très brièvement les axes principaux du film, le synopsis est l'étape suivante qui résume l’intrigue principale et dévoile les personnages les plus importants. Partie la plus réduite, il n'y a aucun superflu relevant des personnages ou des situations. C'est à partir de là que se construit le traitement, étape intermédiaire avant ce qu'on appelle la continuité (ou version) dialoguée. Dans le traitement, tout est présenté de manière détaillée et doit résumer chaque scène, une par une et dans l'ordre. Il faut décrire toutes les actions, suivre le récit pas à pas, sans dialogue.
Et une fois que le traitement tient, le reste suit. Mon objectif est donc d'aboutir, à la fin de la résidence, à un traitement solide et charpenté. Après, sans être forcément dans le cadre d'une résidence, je pourrais développer le scénario, scène par scène avec les parties dialoguées. Le traitement c'est la charpente de toute l'architecture. Les enjeux dramatiques et la progression doivent être fortement posés parce que la difficulté supplémentaire est que j’écris une histoire – comme les précédentes d’ailleurs – située à la frontière entre le conte et la réalité. Pour moi, le réalisme n'est pas la seule manière de parler de la réalité. Si bien que tracer une ligne claire, précise et rigoureuse donc, est le seul moyen d’y parvenir. Et ici, au milieu des arbres et des oiseaux, c’est parfait pour la trouver et s’y tenir.
1Tyger ! Tyger ! burning bright – In the forests of the night, Songs of Experience, poème de William Blake, 1794
2John Vaillant, Le Tigre, une histoire de survie dans la taïga, traduit par Valérie Dariot, éditions Noir sur Blanc, 2011. Il a reçu le prix Nicolas Bouvier 2012, attribué à l’unanimité du jury. Chaque année lors du festival de Saint-Malo, le prix Nicolas Bouvier couronne un texte de grande exigence littéraire, français ou étranger, prolongeant l’esprit de l’œuvre de l’auteur.
(Photo : Centre international de poésie Marseille)