La maison du bonheur
Dans son dernier roman publié chez Gallimard, Un été à Miradour, Florence Delay revisite son passé au sein de la maison familiale, entre l'Adour et la côte basque.
Une maison, une grande maison, qu’on dirait bourgeoise dont le nom appelle l’Adour tout proche, qui vient de recevoir les gaves réunis qu’elle regarde du haut de sa colline. Miradour est à un jet de pierre de Saint-Marie-de-Gosse, commune du bas Adour, à quelques kilomètres de Bayonne et de la côte basque. Une famille singulière, que dis-je ?, une incroyable "troupe", comme la dénomme l’autrice, y arrive début juillet pour les deux mois d’été.
Florence Delay y installe son théâtre familial où scènes de la vie quotidienne et ses acteurs seront au cœur de son roman. Marianne et Octave, son mari, son père Paul, célèbre neuropsychiatre en retraite qui travaille son ouvrage à venir, sa mère, Madelou alias Madeleine, la maîtresse de Miradour : "[…] Dès qu’elle est là-haut, Madelou resplendit. Elle ne cesse d’aller et venir, entre le marché à Peyrehorade et les courses à Saint-Martin-de-Hinx, entre Hossegor et la Mer sauvage […]", Rose, la sœur aînée de Florence, pardon de Marianne, "[…] qui se débat avec les chagrins d’un divorce". Nénette, la Gasconne, l’indispensable intendante et, enfin, Albert, le majordome et Philibert son compagnon, instituteur picard. On n'oubliera pas Capucine, la chatte vieillissante.
"Ils s’aiment, fument, s’aiment, se chicanent, mangent et boivent — la gastronomie basco-gasconne y tient sa juste place — veillent pour écrire, traduire ou tout simplement lire le ciel étoilé."
Nous sommes au début des années 70 du vieux siècle, les chansons de Serge Lama et de Claude François y résonnent. Les membres de la communauté habitent, chacun à son rôle, ce temps suspendu, comme si la terre s’était arrêtée pour souffler. Tous vivent au rythme des jours et des longues soirées que l’été gascon leur prodigue. Ils s’aiment, fument, s’aiment, se chicanent, mangent et boivent — la gastronomie basco-gasconne y tient sa juste place — veillent pour écrire, traduire ou tout simplement lire le ciel étoilé.
Paul est tout à son ouvrage, Marianne à son roman dont le propos est : "[…] que la fin’amor, la plus fine, la plus profonde des conceptions de l’amour, n’est pas une utopie de troubadours cantonnée aux cours et châteaux d’antan, qu’elle peut se réanimer n’importe où. "L’ambiance est studieuse", à tel point que nos héros semblent considérer Miradour comme un refuge, loin de la fureur du monde. Bien sûr, ils s’en évadent, rejoignent Biarritz, "emportant maillots et serviettes", direction la plage du Miramar, et cette autre villa étrange, naguère propriété de Raymond Roussel qui hante le livre…
La troupe passe devant la demeure de Francis Jammes à Hasparren. Ils assistent à une partie de rebot au fronton du bourg. Le jeu est, il faut le dire, d’une complexité toute euskarienne ; la description qu’en fait l’autrice est d’une belle exactitude. "L’angélus passé, le jeu reprend", écrit-elle, comme le temps, leur temps, qui soudain s’expose. Et de finir autour d’une table où ils partagent rillettes d’oie, poulet basquaise, gâteau basque aux cerises, vin d’Irouléguy.
Rien ici n’est futile. Bien au contraire, Florence Delay y dévoile les petits secrets de nos modestes vies. Un diamant perdu vite retrouvé, Claudio, l’étudiant italien, qui repart chez lui rejoindre sa belle, les préparatifs du départ fin août de ce "petit monde" vers Paris. Les couleurs changées du ciel de l’été finissant. On pleure la mort de Capucine. Madeleine en est accablée mais l’amour de sa fille la sauve du chagrin. Florence Delay y reconstruit ses souvenirs pour en faire le récit d’une félicité inoubliable où la fiction invente la mémoire de la maison de l’amour — "on est aimé quand on s’endort", est la dernière phrase du roman — qui, quoi qu’on pense, anoblit le bonheur d’un été landais qui regarde l’Adour apaisé aller vers son destin atlantique.
Un été à Miradour, de Florence Delay
Éditions Gallimard
Février 2021
112 pages
12 euros
ISBN : 9782072891120