La seule règle c’est qu’il n’y a pas de règles
Né en Angleterre en 1956, Derek Munn s’est installé en France en 1988. Il écrit en français depuis 2004 et publie dans de nombreuses revues. Son premier ouvrage paraît aux éditions Léo Scheer, Mon Cri de Tarzan, en 2012. Il est suivi par Un Paysage ordinaire, un recueil de 18 nouvelles, publié par les éditions Christophe Lucquin, en 2014. Il a fait sa première résidence d’écriture au chalet Mauriac du 14 octobre au 17 novembre 2014.
Vous présentez votre projet d’écriture ainsi : "Une sensation de cuir d’abord. Un cuir souple, épais, résistant. On le sent, on voit son grain. Puis, il y a une paire de bottes. Des jambes. Qui marchent. Qui boitent".
Derek Munn : Mes projets apparaissent toujours comme ça : très imagés, plein de sensations. Très spontanément, l’image qui est d’abord venue est celle du cuir, de la texture. Ensuite c’est devenu une paire de bottes qui a eu des jambes et elles se sont mises à marcher et puis il y a eu un homme. J’ai ensuite compris que ce dernier, une fois qu’il aurait retiré ses bottes, ne marcherait plus jamais… Et là, maintenant, j’invente la vie autour de ça.
C’est un projet que j’avais commencé avant Mon Cri de Tarzan. J’ai senti qu’il était important mais je le trouvais compliqué à construire à ce moment-là. Le titre sera peut-être Le Cavalier ou L’Échiquier, j’hésite encore… L’histoire se situe au début du 19e siècle avant l’arrivée des trains, quand les chevaux étaient encore très nombreux. C’est un cavalier parce qu’il a un cheval et parce qu’à un moment il est partenaire de danse et c’est aussi une pièce du jeu d’échec. L’échiquier a aussi son importance : c’est un cadeau de son père quand il est jeune ; le Cavalier étant la pièce qu’il préfère. Il joue aux échecs avec le curé du village (en anglais, la pièce du Fou, c’est l’Évêque) mais c’est un prétexte pour parler pendant des heures. Ils laissent souvent leur partie en cours et la femme du cavalier leur déplace régulièrement des pièces.
L’ensemble, comme les 64 cases d’un échiquier, présente 64 chapitres, soit 64 moments de la vie de cet homme et pas forcément les plus importants d’ailleurs. Comme le début et la fin sont connus dès le départ, ce n’est pas chronologique. Ça avance plutôt comme la pièce du Cavalier dans une partie d’échecs. Je préfère que ce ne soit pas linéaire parce que ça me permet de créer une ambiance, d’avoir une trame narrative plutôt que de raconter réellement une histoire. Les sensations sont ce qui m’importent le plus et aussi comment, dans une vie, on peut choisir un chemin ou un autre.
Et à la fin c’est échec et mat ou mat ?
D. M. : Je ne suis pas un spécialiste du jeu d’échec ni du cheval non plus. Mon premier livre parlait d’un réalisateur qui partait tourner en Afrique : je ne sais pas filmer et je n’ai jamais mis les pieds en Afrique. Là, je ne fais pas un roman historique, ce n’est donc pas documenté. Quand j’écris, ce qui m’intéresse c’est comment, à partir d’une situation, on réfléchit sur la vie. Ma liberté d’écriture se situe dans la recherche d’images et d’idées qui m’inspirent une trame pour une histoire…
J’ai mis longtemps à me décider à écrire en français. On dit qu’il faut grandir avec une langue et j’ai pensé que je pourrais l’utiliser comme un outil, soit tout autrement que ma langue maternelle. Ça a changé mon écriture... plusieurs publications aussi. J’ose plus avec cette langue maintenant. Dans ce livre, je supprime la conjonction de coordination "et" pour explorer des phrases plus courtes ; j’essaie de créer des images visuelles plus ou moins poétiques - même si ce n’est pas de la poésie.
Mais je n’aime pas m’imposer des cadres pour écrire : "la seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règles". C’est ma première résidence et avoir un mois entier juste pour écrire, c’est incroyable et ici, les échanges avec les autres résidents c’est enrichissant. Je n’avais jamais pensé que ce soit possible. Mais publier deux livres - plus un troisième qui est terminé et pour lequel je n’ai pas encore d’éditeur - ça donne plus de confiance… Avoir des publications, des retours, ça encourage à continuer et à s’investir différemment aussi. Et c’est une étape ici, pour moi, de m’affirmer comme écrivain.
(Photo : Centre international de poésie Marseille)