La société de la tentation vue par Benjamin Crotty
Lors de sa résidence à l’automne 2022 au Chalet Mauriac, Benjamin Crotty a peaufiné l’écriture de son nouveau projet de film, une comédie dramatique dont le scénario s’articule autour d’un stripteaseur participant à l’émission de téléréalité Pleasure Island. Ce jeune homme, nommé Grégory, se retrouve attaqué par la chaîne de télévision pour non respect de son contrat, avec à la clé une amende importante à payer. Désespéré, il déniche un avocat néophyte et, ensemble, ils contre-attaquent la chaîne pour exploitation illégale de Greg, représentant d'un nouveau lumpenprolétariat bodybuildé et bronzé du XXIe siècle.
Le sujet de votre futur film interroge les relations de travail des grandes entreprises de l’audiovisuel et soulève la question de la marchandisation des corps et des désirs. Il explore les dérives de la téléréalité, le mépris et l’exploitation des acteurs. Pourquoi avoir choisi ce thème ?
Benjamin Crotty : Beaucoup de mes centres d’intérêt, de mes idées viennent de la télévision, plus que de la culture avec un grand C, comme le théâtre, l’opéra… Dans ma jeunesse, je regardais beaucoup la télévision, c’est par elle que j’ai appris à connaître, à comprendre le monde. Aujourd’hui encore, elle m’inspire et j’ai déjà réalisé plusieurs films autour du petit écran.
Dans les années 2000, la télévision a perdu de sa puissance. L’arrivée de l’Internet haut débit a marqué la fin de son pouvoir. Dans Pleasure Island, je m’intéresse à ce moment de bascule lorsque la télévision était encore très puissante et qu’apparaissaient les émissions de téléréalité. Dès lors, on commençait à y voir les premières célébrités qui ressemblent à celles de nos jours, des célébrités éphémères, comme celles que l’on voit sur TikTok, YouTube, Instagram, et qui n’ont pas de statut professionnel particulier.
Par le prisme d’un sujet grave, qui revêt une dimension à la fois économique, sociale et sociétale, le scénario semble être une critique d’une société de plus en plus libérale où tout est permis, même la marchandisation de la vie privée. N’est-ce pas aussi celle de nos contemporains qui s’engouffrent dans ce système ?
B.C. : La raison d’être du film n’est pas d’apporter une critique car, à l’ère du capitalisme à laquelle nous sommes tous confrontés, il est difficile de tenir pour responsable un groupe de personnes : tout le monde est embarqué dans cette situation vis-à-vis de laquelle nous sommes tous lucides. Je me concentre surtout sur cette histoire et ses personnages, particulièrement sur les justifications de chacun d’eux dans leurs actions. Par exemple, la directrice de la chaîne de télévision a un travail, elle a des collaborateurs et des actionnaires qu’elle doit rémunérer, elle a ses obligations et aussi ses raisons, ses justifications pour agir. De même, le protagoniste du film, Grégory, qui participe à l’émission de téléréalité, le fait de son plein gré avec ses propres convictions, en l’occurrence parce qu’il pense en tirer des bénéfices.
Le scénario est une sorte de tableau balzacien de notre société contemporaine où tout est abordé : les rapports à l’argent, au sexe, les rapports de classe sociale, le désir de notoriété, l’exploitation… Comment porter ces sujets à l’écran ?
Les sujets sont essentiellement abordés à travers le regard de Grégory, ses émotions, ses rencontres, ses galères. Comme il est au cœur du procès, je lui fais porter une dynamique et une sensibilité qui sous-tendent le film tout en laissant exister toutes ces questions.
"Dans ma jeunesse, je regardais beaucoup la télévision, c’est par elle que j’ai appris à connaître, à comprendre le monde. Aujourd’hui encore, elle m’inspire et j’ai déjà réalisé plusieurs films autour du petit écran."
Et bien que le scénario traite de ces thématiques sérieuses, il est aussi mouvementé, haut en couleur et drôle. Il y a une forte dimension comique, aussi.
Naïla Guiguet est votre coscénariste. Quels sont les avantages d’écrire en duo ? Comment travaillez-vous ensemble ?
B.C. : J’ai fait des études d’arts plastiques à l’université de Yale (États-Unis), puis poursuivi au Fresnoy – Studio national, une école de cinéma et de vidéo. J’ai donc eu une formation plutôt artistique. Naïla Guiguet a quant à elle une grande connaissance technique en matière d’écriture, elle a suivi La Fémis et déjà coécrit un nombre important de scénarios. J’ai énormément appris avec elle, humainement et professionnellement.
Comme Pleasure Island englobe plusieurs temporalités, divers personnages et "mondes" assez différents, entre la télévision et la justice, le travail d’écriture a pris un certain temps et Naïla a apporté de l’énergie et du plaisir au processus.
Vous avez obtenu une résidence au Chalet Mauriac ces dernières semaines. Qu’est-ce qu’elle vous a permis ?
B.C. : Ces résidences sont géniales et précieuses, car elles nous permettent de nous concentrer sur nos projets. J’avais commencé à écrire le scénario de Pleasure Island à la Villa Médicis. Le séjour au Chalet Mauriac a été très fécond. C’était très agréable aussi de partager des moments de légèreté, d’échanger avec d’autres scénaristes, de se retrouver après de longues journées de travail intense.