La voix de Jean-Christophe Tixier
Jean-Christophe Tixier est auteur d’une quinzaine de romans, de nouvelles et de fictions radiophoniques. Il partage son temps entre l’écriture et l’organisation d’Un Aller-Retour dans le Noir, salon palois dédié aux littératures noires. Il nous a reçus à Pau, dans son appartement face aux Pyrénées.
Vous souvenez-vous de vos premières lectures ?
Le premier livre qui a créé des images dans ma tête, c’est Voyage au centre de la Terre de Jules Vernes. J’ai compris que la lecture pouvait m’emmener très loin. Je me souviens également de Michel Strogoff dans la collection Rouge et Or. Quand nous accédions à cette collection, cela signifiait que nous passions un cap. Les romans d’aventures m’attiraient, Croc-Blanc, L’Appel de la forêt de Jack London m’ont marqué, mais Jules Vernes a été une révélation et les images que j’ai fabriquées à l’époque sont encore là. La culture du livre à la maison, nous l’avions, mais elle n’était pas très développée ou, disons, elle était assez normée.
Nous avions la Bibliothèque Rose, la Bibliothèque Verte et la collection Rouge et Or et quelques San Antonio. Le tout tenait sur cinq ou six étagères. J’ai fait des découvertes littéraires à la bibliothèque du collège, comme Buzzati par exemple. Autant les romans d’aventure me donnaient l’impression de prendre le grand air, autant Buzzati m’a ouvert sur une autre fonction de la littérature : se réinterroger sur la place qui est la tienne, sur des sujets plus existentiels. Au lycée, j’ai découvert Hugo et Zola. J’aimais leur façon de dépeindre la société, cette littérature du quotidien, leur regard social et politique et la façon dont ils parlaient de la condition ouvrière. Cette découverte n’est pas étrangère au choix d’avoir fait des études d’économie. La part des Sciences humaines et la part de l’individu, l’organisation de la société, les choix, les conséquences, c’est ce qu’abordaient ces écrivains classiques. Et mon écriture prend également source dans l’économie.
Comment ont évolué votre pratique de la lecture et vos goûts ?
Je lis quotidiennement, mais je n’aime pas de genres en particulier. Je ne suis pas fan de thriller, de romans d’enquête ou nombrilistes. Comme je m’occupe du salon du livre Un Aller-retour dans le noir, je lis beaucoup de littérature noire d’auteurs français et américains qui sont allés dans la rue et qui se sont posé des questions sur la société. J’aime les textes écrits et je lis à voix haute dans ma tête. Mon plaisir passe par le rythme, la sonorité des mots en plus des personnages et des sujets. Je lis souvent plusieurs livres en même temps. Il y a les livres du soir, les livres pour les transports. Il n’y a pas forcément de différence, mais ils ont une place particulière et c’est un rendez-vous avec chacun. En écriture, je suis également sur plusieurs projets à la fois. Je passe d’une case à l’autre, c’est une fonction que j’ai toujours eue. J’aime explorer des genres littéraires différents, en lecture et en écriture.
"Tant que je peux, j’écrirai pour les jeunes."
Vous étiez professeur d’économie en lycée. Lisiez-vous à vos élèves des textes littéraires évoquant l’économie ou la sociologie ?
Lire à voix haute n’est pas naturel pour moi. Je leur donnais des références, des ouvertures, mais lire, non, je ne le faisais pas. Je n’y ai jamais pensé. Je donnais des clés de compréhension de l’actualité, des médias. Je ne me sens pas légitime pour lire des textes à voix haute, cela peut m’arriver lors de rencontres, mais je ne suis pas sûr d’être passionnant.
Vous écrivez, entre autres, des romans de littérature jeunesse. Est-ce important pour vous de faire aimer la lecture aux jeunes ?
Ce que j’aime dans ce que permet l’écriture, c’est la rencontre avec les jeunes. La place du jeune et l’intérêt que nous lui accordons retranscrivent un rapport à la jeunesse compliqué en France. Ce que nous renvoyons aux jeunes, c’est « fais tes preuves et on en reparlera ». Tant que je peux, j’écrirai pour les jeunes. Il y a tellement de problématiques auxquelles ils doivent faire face, il faut leur transmettre, les accompagner et la littérature y participe. J’estime avoir mon rôle à jouer à travers ce que j’écris. Les années collège sont des années charnières dans la construction de l’individu et les rencontres avec des auteurs y sont très développées.
Au sein du salon Un Aller-retour dans le noir, nous organisons plus d’une cinquantaine de rencontres scolaires, ce qui représente environ mille cinq cents jeunes. Les plus belles choses que je puisse entendre à ces occasions, ce sont des phrases telles que "c’est la première fois que je lisais un livre jusqu’au bout" ou les témoignages d’enseignants qui constatent que, à la suite de la rencontre avec l’auteur, les jeunes vont au CDI. Cependant, écrire et participer à des rencontres, ce n’est pas le même métier. Écrire n’implique pas que nous devions labourer le terrain derrière, c’est un travail qui est fait par les médiateurs que sont les bibliothécaires, les enseignants. Mais en ce qui me concerne, j’ai besoin de ce contact avec les jeunes.
Pensez-vous qu’il faille rencontrer l’auteur pour rencontrer l’œuvre ?
La notion "j’aime lire / je n’aime pas lire", je pense que c’est une connerie. Avec la musique, en écoutant les quinze premières secondes, on peut dire si on accroche ou pas. Mais la lecture demande un effort. Si on n’a pas d’images, pas d’émotions, on peut poser le livre et ce n’est pas parce qu’on n’aime pas lire. C’est que l’on n’a pas encore rencontré le livre qui nous a procuré des émotions. En littérature, il y a autant de genres qu’en musique. Avant même de rencontrer une œuvre, il faut s’interroger sur ce qu’est la lecture. Les lettres sont un code qui permet de passer de la tête de l’auteur à celle du lecteur. L’acte de lire fabrique des émotions et pour certains gamins, c’est une découverte absolue. Créer des émotions, cela demande certaines exigences, sortir d’un rapport binaire au monde. Lire est une expérience de vie, elle peut être agréable, désagréable, remuante. C’est vivre ce qu’on ne peut pas vivre dans la vraie vie.
"Lire, c’est vivre ce qu’on ne peut pas vivre dans la vraie vie."
Quelle différence faites-vous entre l’écriture et la lecture ?
Mon rapport à l’écriture est lié à mes études scientifiques. Je n’étais pas bon en français et pas à l’aise en rédaction. J’ai compris très tard ce que signifiait "écrire". Lorsque j’anime des ateliers d’écriture avec les jeunes, je leur donne trois phrases : faire vivre / écrire / améliorer. L’acte d’écrire est un codage, les choses doivent exister préalablement. Ce qui est compliqué, c’est d’être avec un stylo et d’être face à ses propres difficultés, d’être dans l’évaluation. Si écrire est traduire ce que l’on vit, je leur fais fermer les yeux pour qu’ils explorent une image et ses émotions. Cela montre ce qu’est la lecture.
Les rencontres m’intéressent en cela, parler d’écriture et de lecture comme un acte possible pour chacun, sans faire croire que c’est un acte magique. Cela leur demande de la concentration. Les lectures influencent la façon d’écrire, c’est évident. Mon codage est une question de rythme qui est proche de ce que j’aime comme lectures. Les deux se rencontrent. Mon prochain livre est un livre pour adulte. C’est une grande satisfaction pour moi, car j’ai suivi ma sonorité, mon rythme. Le genre vers lequel tu vas dicte des choses. Là, je n’ai pas tenu compte du genre pour trouver ma voix.
Comment choisissez-vous vos lectures ?
L’échange est important. J’écoute beaucoup les autres parler de ce qu’ils ont aimé. Mon compagnon est un énorme lecteur, il sait ce que j’aime et m’oriente beaucoup. J’y vais aussi à tâtons, pour explorer. Certains sujets me passionnent, mais je n’hésite pas à abandonner un livre s’il m’ennuie. Les rencontres avec les auteurs font aussi mes envies de lectures. J’anime un Café polar à la bibliothèque de Pau et lors de ces échanges, nous croisons nos goûts, cela permet d’aller sur des champs que nous n’aurions pas explorés seuls. Ces partages sont possibles parce que des gens ont en envie. C’est une histoire de rencontres.