Laura Désirée Pozzi à la découverte de la conscience animale de Simona Kossak
En résidence au Chalet Mauriac du 6 septembre au 29 octobre derniers, l’autrice de bande dessinée Laura Désirée Pozzi redonne vie aux batailles de Simona Kossak pour la préservation de la dernière forêt primaire d’Europe.
Sur ce livre, tu seras scénariste, dessinatrice et coloriste. Quel est ton rapport à cette création totale ?
Laura Désirée Pozzi : Je suis en train de faire un journal intime sur ma vie d'Italienne à Angoulême. Avec Simona Kossak, ce seront les deux premiers projets pour lesquels je suis à l’écriture et au dessin. Ça me fait peur parce que je n’ai pas étudié la bande dessinée, j’y suis arrivée très tard. J’étais éducatrice, puis j’ai fait de l’illustration et j’ai passé deux ans et demi à faire du character design pour la série Les Barbapapa.
Quels sont les artistes qui te servent de repère aujourd’hui ?
L.D.P. : Cyril Pedrosa. Portugal a été ma rencontre avec la bande dessinée. Quand je l’ai découvert en Italie, il y a sept ans, ma culture c’était Mickey Mouse et la bande dessinée pour enfant. Une amie qui lit beaucoup de mangas et de bandes dessinées me l’a mise dans les mains et là, le monde s’est ouvert. Ça m’a paru évident : je devais faire ça, raconter en bande dessinée. Ensuite, j'ai découvert Nicolas de Crécy, Alan Moore, Taiyō Matsumoto et l'incroyable Claire Bretécher.
À la sortie du Lycée des Beaux-Arts, j’ai été influencée par mes proches quant à la viabilité des métiers artistiques. J’ai donc fait des études en sciences de l’éducation et j’ai travaillé en tant qu’éducatrice. Je me suis mis des œillères pour ne pas regretter mon choix. J’avais complètement mis de côté la possibilité de faire un métier artistique. Je ne m’intéressais pas du tout à Bilbolbul, le salon de Bologne ou aux découvertes possibles en librairie. La porte de l’art s’est rouverte un jour, quand un patient qui participait à un atelier peinture que j’avais organisé m’a dit : "Qu’est-ce que tu fais ici, avec nous, tu perds ton temps, t’as du talent, fonce, reprend tes études." C’était comme si une clochette avait sonné. J’ai pris des cours du soir pour adultes dans une école d'illustration à Milan.
Aujourd’hui, à Angoulême, je suis accompagnée par des amies autrices de bandes dessinées et réalisatrices de films d’animation (Kathrine Avraam, Alice Bohl et Francesca Marinelli) qui me guident pour améliorer ma technique en bande dessinée. Sans oublier Yoon-sun Park et Lucas Methé, toujours prêts à m'écouter quand on se retrouve au café !
"Simona a combattu de toutes ses forces contre une gestion politique irresponsable de ce dernier monument naturel. […] Elle a combattu contre les imbéciles."
Est-ce que tu peux me parler de ta rencontre avec Simona Kossak ?
L.D.P. : J’étais en train de faire un livre pour enfants avec des animaux et je devais chercher une image de sanglier. Par hasard, je suis tombée sur la photo d’une femme étrange : une femme qui, dans sa maison, donne à manger à un énorme sanglier comme si c’était son petit chien. J’ai commencé à creuser et je suis tombée sur d'autres photos tout aussi intrigantes et un article en anglais qui parlait d’elle. J’ai découvert que c’était une scientifique qui a vécu très longtemps dans la forêt primaire de Białowieża, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Il s’agit de la dernière forêt primaire d’Europe. Simona a combattu de toutes ses forces contre une gestion politique irresponsable de ce dernier monument naturel. Elle s'est retrouvée confrontée à une communauté scientifique plus intéressée par la carrière et l'argent, comme en témoigne une recherche de télémétrie, complètement inutile et dangereuse, faite sur des animaux protégés et en voie de disparition, tels que les loups et les lynx européens.
Elle a combattu contre les imbéciles.Elle était incroyable. Souvent, la nuit, un renard nommé Dusia, venait dormir dans son lit, entre son basset et elle. Mais il ne faut pas la prendre pour une sorcière ou une fanatique : c’était une scientifique qui avait développé la capacité de rentrer dans l’esprit des animaux qu’elle côtoyait. Elle voulait vivre au plus proche d’eux, pas en ville, pas dans un appartement.
Alors, elle habitait Dziedzinka, un chalet de garde forestier placé au milieu de Białowieża. De là, elle pouvait observer, faire des recherches... Elle y avait même construit un hôpital pour les animaux blessés. Comme elle était tout le temps là, les animaux sauvages se sont habitués à sa présence. Elle disait : "J’ai dépassé la ligne de démarcation entre les humains et les animaux." Par exemple, il y avait un corbeau qui terrorisait tout le village : il volait les bijoux, il faisait tomber les cyclistes, il piquait les jambes des femmes. Simona a su rentrer en contact avec lui et le corbeau s’est installé chez elle.
Cette vie très proche de la nature ça me parle beaucoup. C’est pour ça que ça fait des années que je travaille sur ce projet.
"Dans mes recherches, je me suis très vite retrouvée confrontée au problème de la langue parce qu'elle ne parlait pas anglais."
Il y a une photo avec la mère Simona qui caresse le sanglier domestique de sa fille. C’est étonnant parce que Simona vient de la bourgeoisie de Cracovie, elle fait partie d’une grande famille de peintres. Elle était la deuxième fille, son père aurait préféré un garçon et on attendait d’elle qu’elle devienne artiste. Mais elle n’avait pas du tout cette vocation : mise à l’écart de sa famille d'aristocrates, toute petite déjà, elle passait tout son temps avec les animaux.
Dans mes recherches, je me suis très vite retrouvée confrontée au problème de la langue parce que même si elle enseignait à l'Université, si ses recherches étaient reconnues à un niveau international, si elle était directrice du Bureau de l'Unesco à Białowieża et médiatrice pour le grand public, elle ne parlait pas anglais. Alors, doucement j’ai commencé à traduire avec Google translate et Reverso, notamment la biographie écrite par Anna Kaminska et le recueil de photographie de Lech Wilczek, son "copain de vie" comme elle aimait l’appeler. D'ailleurs, le livre de Wilczek n'étant plus disponible, il m'a gracieusement été offert par l’éditeur Jaroslaw Chyra. L’étude de la bibliographie du livre de Anna Kaminska m’a permis de prendre contact avec des personnes qui ont connu Simona et qui étaient très heureuses de partager avec moi leurs souvenirs.
Mais aussi parfois certaines personnes ne me répondaient pas car Simona avait une très forte personnalité. Quand il fallait dire "non", c’était "non". C’était sans compromis. Elle ne faisait pas de copinage. La lutte pour l’éthique de la recherche scientifique, pour le bien-être de la forêt, des animaux et de leur habitat, était plus importante que son intérêt personnel, sa carrière ou l’amitié. Et certains ponts se sont brisés...
Aussi, j’ai eu le contact par Aimée Ardouin de Katarzyna Marczewska, une traductrice polonaise qui était en résidence au Chalet Mauriac il y a deux ans. Elle va pouvoir me rassurer dans ce que j’ai compris avec mes traductions sur Internet. Elle va me mettre en contact avec des biologistes qui travaillent là-bas.
"Ce n’est pas une forêt comme les autres. Quand tu pénètres dans la forêt primaire, tu ressens comme un recul temporel. Tu retrouves des sensations, des instincts primaires."
Tu y es allée, à Białowieża ?
L.D.P. : C’était très émouvant. J’ai pleuré. Ce n’est pas une forêt comme les autres. Quand tu pénètres dans la forêt primaire, tu ressens comme un recul temporel. Tu retrouves des sensations, des instincts primaires. Dans cette forêt il y a des loups, des lynx et le dernier bison d’Europe – aujourd'hui symbole du Parc national qui gère la forêt primaire. Les espèces sont à l’équilibre, il n’y a pas besoin de l’homme pour réguler la population de sangliers ou de biches... La Nature a déjà tout prévu.
La forêt primaire n’est pas en accès libre. Il faut y aller avec des guides. Ils parlent anglais, français et même italien ! J’y suis allée il y a deux ans. J’ai visité sa maison, c’est une chance car aujourd’hui elle est fermée au public, c'est un monument classé pour son architecture typique de la Pologne.
Les premiers jours à Saint-Symphorien, quand je marchais dans la grande allée dans les bois, j’avais l’impression d’être en Pologne. La Pologne est un peu marécageuse, on y retrouve les mêmes couleurs. Après, la forêt primaire, c’est encore autre chose.
"Je voudrais raconter les batailles de Simona, emporter le lecteur avec elle dans cette forêt avec de l’émotion, des frissons, de l’humour aussi."
Tu es diplômée en sciences de l’éducation, il y a quelque chose de l’ordre de la médiation dans ton chemin de vie...
L.D.P. : Je suis éducatrice, j’ai travaillé avec des adultes en situation de handicap et des toxicomanes. J’espère que la création de cette bande dessinée permettra de toucher l’esprit des gens, qu’elle trouvera son utilité au sein de l’urgence écologique que nous sommes en train de vivre. J’avais déjà une conscience environnementale avant de travailler sur ce projet et aujourd’hui je pense que Simona est en train de la faire exploser. Elle est le miroir de mes idées, mais avec une base scientifique. Elle disait que l’espèce humaine est la seule à provoquer la souffrance d'une autre espèce gratuitement, à exploiter les ressources de la Terre au-delà de ses besoins, sans penser aux conséquences, à savoir la destruction des autres espèces et de lui-même. Ce sera peut-être une bande dessinée engagée, mais je pense que c’est nécessaire. Cette femme doit être écoutée. Simona voulait montrer aux gens à quel point le monde est beau, à quel point la nature est surprenante et riche.
Je voudrais raconter les batailles de Simona, emporter le lecteur avec elle dans cette forêt avec de l’émotion, des frissons, de l’humour aussi. Elle était toujours prête pour une blague ironique, en british style.
J’avais vraiment besoin de m’isoler dans cette pièce et de travailler. À la maison il ne sera plus possible de retrouver la même concentration. Aujourd’hui j’y vois plus clair. Je vais voir si avec la traductrice ça va changer des choses, mais je pense avoir terminé le squelette du scénario. Sans trop spoiler le moment de la mort de Simona, j'ai prévu pour l'instant une fin un peu dramatique mais aussi émouvante. J’espère faire une brèche dans le cœur du lecteur, dans sa sensibilité.
Est-ce que tu penses qu’elle meurt vraiment ?
L.D.P. : À sa mort, son compagnon de vie est retourné dans la maison de Simona et un papillon est entré. Un papillon noir avec des taches rouges et blanches, un de ceux présents dans le film naturaliste Motyle, réalisé par Simona elle-même. Il apprend alors qu’il existe une légende aztèque qui dit que quand une personne meurt, elle se transforme en papillon. Simona n’est pas morte, elle est toujours là, dans la forêt de Białowieża .
(Photo : Quitterie de Fommervault)