"Le Passeur de lagunes", un clair-obscur vénitien
Loin des clichés habituels sur Venise, ville des amoureux, Christophe Dabitch et Piero Macola dépeignent dans ce roman graphique une Sérénissime dont on sent presque l’odeur croupie de la Lagune. À la croisée des chemins entre polar et chronique sociale, ce récit initiatique est une dystopie douce-amère et captivante.
Nous sommes à Venise, dans un futur proche. Le Passeur de lagunes raconte l’histoire de Paolo, un jeune adolescent qui part à la recherche de son père, mystérieusement disparu. Paolo vit seul avec son père pêcheur sur l’île de la Giudecca. Avec trois copains, dont son meilleur ami Ahmad, il vient d’entrer dans un trafic d’une drogue de synthèse dénommée la Rose. Soudainement, son père disparaît sans laisser de trace. Alors que Paolo décide de se lancer à sa recherche, la bande se fait voler une grande partie de sa première livraison de drogue. Les garçons vont devoir s’expliquer avec l’organisation mafieuse pour laquelle ils ont commencé à travailler. Ahmad, qui joue l’intermédiaire, sollicite l’aide de son ami Paolo. Une implication de tous les dangers, mais qui va permettre au protagoniste de comprendre que la disparition de la drogue et celle de son père ont peut-être tout à voir.
Dès les premières vignettes, le lecteur ou la lectrice est happée par l’atmosphère particulière qui se dégagent des pages. D’ailleurs, Venise est loin, une ombre, une silhouette lointaine dans la brume hivernale. Une dilution des couleurs de la lagune qui permet à l’illustrateur de créer une ambiance brumeuse, fantomatique, qui parle parfois sans le texte. Le jeu des couleurs, quand le ciel gris se confond avec les eaux sombres, renforce cette impression de territoires oubliés de tous et de fin du monde. Servi par ces très belles mais troublantes aquarelles, Christophe Dabitch livre un récit ample qui se déploie pour mieux traduire les vices insidieux qui gangrènent le lieu : la drogue, le trafic d’êtres humains, la mafia... La lagune est pleine de pièges mais les vénitiens l’ont oublié.
Lumières et ombres sont sublimées par le trait du dessinateur Piero Macola et renforcée par les textes de Christophe Dabitch. L’auteur prête aux personnages des dialogues vifs, incisifs et vous emmènent dans les méandres de cette lagune parcourue par le jeune héros. On s’attache au jeune homme, plus tout à fait un enfant mais pas encore un adulte. Il se retrouve seul, balloté entre la recherche de son père, les visites à son grand-père, ses copains, l’envie de faire quelque chose de sa vie et cette volonté farouche d’avancer, guidé par son instinct de survie. Paolo doit rapidement apprendre les règles du jeu. Un jeu mortifère où seuls quelques-uns gagnent.
Un roman graphique d’une beauté noire.
Le Passeur de lagunes, chez Futuropolis, 224 pages