Le Plongeon
La vie s’arrête-t-elle vraiment lorsque l’on est obligé de quitter sa maison et d’aller s’installer en Ehpad ? Yvonne a 80 ans. Elle doit se résoudre à vendre sa maison à la campagne et à intégrer un Ehpad. Pas facile de s’acclimater quand on est encore indépendante et qu’on peine à suivre les règles de vie de l’établissement. Heureusement pour elle, Yvonne va se faire un petit groupe d’amis, bien s’entendre avec Youssef, l’infirmier qui ferme les yeux sur certains de ses écarts. Et puis… sa famille va venir la voir, non ? Dans Le Plongeon que publient les éditions Bamboo, Séverine Vidal et Victor Lorenzo Pinel explorent sans fioriture cette fin de vie où l’indépendance devient un trésor jalousement gardé.
Nombreux sont les titres à évoquer les affres de la vieillesse : On se reposera plus tard, de Brigitte Luciani et Claire Le Meil (Steinkis, octobre 2020) ou encore Ne m’oublie pas, d’Alix Garin (Le Lombard, janvier 2021). Le Plongeon, sorti en janvier 2021 chez Bamboo (collection Grand Angle), s’inscrit dans la lignée de ces titres, de ces histoires qui nous racontent la transition impossible entre l’indépendance et la dépendance, entre la vie solitaire (ou à deux) et l’Ehpad, vie communautaire et médicalisée. Nous y suivons Yvonne et son adaptation (ou pas, selon les moments) à ce nouveau cadre de vie.
Grâce au scénario de Séverine Vidal, le lecteur est invité dans le quotidien de cet établissement spécialisé. Ayant animée de nombreux ateliers d’écriture dans des Ehpad, Séverine Vidal s’inspire des gens qu’elle a croisés, de ce qu’elle a vécu, de ces moments d’échanges et d’expérience. On le ressent à chaque page, que ce soit via la justesse des personnages, leurs propos, leurs réactions. À travers les 80 pages que compte l’album, les auteurs nous dépeignent avec justesse les ateliers d’écriture et de dessin, les facéties de la vieillesse, les besoins et les oublis, même ceux des proches qui, finalement, ne viennent pas voir Yvonne malgré les promesses. Le Plongeon, c’est aussi l’histoire d’une transition, vécue plus ou moins bien par Yvonne. Heureusement, elle a avec elle les aides-soignants, Youssef surtout, qui l’accompagne, la couvre quand elle va dormir avec son P.F., son nouvel amoureux. Ou encore quand Yvonne décide d’organiser une fête clandestine dans sa chambre ! Humour, tendresse, délicatesse, espoir et récits de vie sont au programme de cet album qui brosse un panel très large d’émotions et de situation.
Si l’on en croit la 4e de couverture, le récit propose "un Ehpad, des fesses, de l’amour et des rides !". Et Le Plongeon, c’est exactement ça : un cadre spécifique, dépeint avec justesse et sans pathos ; des histoires d’amour, de rides et de fesses, parce que ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on en devient moins humain. C’est justement cette humanité qui transparait à chaque page et qui nous rappelle comme il est bon de vivre pleinement sa vie.
Le trait de Vincent Lorenzo Pinel contribue largement à cette impression de douceur et de délicatesse qui se dégage de l’ouvrage. En effet, son trait semi-réaliste n’oublie rien : ni les rides, ni les cernes, encore moins les chambres parfois vides ou impersonnelles de l’Ehpad. Victor Lorenzo Pinel ne s’est rien interdit : habillés ou nus, jeunes ou vieux, il n’y a de retenu que dans les scènes tendres. Tout est délicat, bien fait, sans voyeurisme. Les corps sont pleins de traces et de marques de vie, représentés comme il le faut quand il le faut, soulignant que la vie ne s’arrête pas une fois les portes de l’Ehpad franchies, que les vieux aussi ont envie d’amour et de contacts.
"Les textes sont percutants, les lettres qu’Yvonne adresse à sa famille nous rappellent qu’il ne faut pas les oublier, ces membres de la famille placés par nécessité."
Le sujet peut apparaître comme peu joyeux, un peu morose, mais Séverine Vidal et Vincent Lorenzo Pinel parviennent à en faire une aventure, avec ses rebondissements, les facéties d’Yvonne, les escapades un peu secrètes, ou simplement passées sous silence par Youssef, l’aide-soignant complice. Les textes sont percutants, les lettres qu’Yvonne adresse à sa famille nous rappellent qu’il ne faut pas les oublier, ces membres de la famille placés par nécessité. Le propos est ici double : d’un côté, il donnera envie d’aller visiter nos parents, grands-parents, nous fera penser à eux ; de l’autre, il atteste avec fierté que l’on peut s’amuser, faire des rencontres, continuer à vivre en établissement spécialisé malgré tout. L’émotion que dégagent ces pages est sincère, bienveillante, toute en nuances.
Tandis que dessin et couleurs s’associent pour former un écrin éclatant à cette histoire, la mise en pages soignée lui insuffle du dynamisme. En effet, on ne peut que remarquer le souci du détail apporté par le travail de Vincent Lorenzo Pinel. Les pages s’enchainent et ne se ressemblent pas. Si certaines conservent le gaufrier classique propre à la bande dessinée, d’autres jouent sur la composition. Les pleines pages illustratives soulignent le propos de Séverine Vidal, tandis que d’autres jouent sur les sensations de vide, de plongeon, ou les nouvelles découvertes d’Yvonne.
L’ouvrage se termine sur une note joyeuse, faisant prendre conscience au lecteur la douceur et l’espoir contenu dans l’intégralité de cette histoire. Comme un conte, une nouvelle vie, Le Plongeon n’a jamais aussi bien porté son nom qu’à travers ces 80 pages, comme les 80 ans d’Yvonne.
Alors, et si l’Ehpad des Mimosas était le début d’une autre vie ? Différente, avec ces temps forts, ces ateliers, ses colocataires un peu spéciaux. L’ouvrage de Séverine Vidal et Vincent Lorenzo Pinel s’inscrit dans la continuité des titres mettant en scène des personnages atypiques, issus du troisième âge. À votre tour, plongez dans cette aventure hors du commun à la rencontre d’Yvonne !
Le Plongeon, tome 1
Séverine Vidal et Victor Lorenzo Pinel
Bamboo, collection Grand Angle
Janvier 2021
80 pages
17,90 euros
ISBN : 978-2-81897-899-3