Leonardo Martinelli, le résident béni
Leonardo Martinelli a réalisé l’un des courts métrages les plus remarqués et les plus primés sur le circuit des festivals les plus courus. Il était en résidence à la Villa Valmont à Lormont (33) du 9 juin au 9 juillet 2023. Le jeune réalisateur brésilien est revenu sur cette résidence organisée par ALCA, avec le Festival Biarritz Amérique Latine et le Poitiers Film Festival, et en a profité pour faire un état des lieux du cinéma indépendant brésilien.
Nous nous trouvons dans la Villa Valmont où vous profitez d’une résidence internationale organisée en collaboration avec ALCA, le Festival Biarritz Amérique Latine et le Poitiers Film Festival. Quelle relation entretenez-vous avec ces entités ?
Leonardo Martinelli : Fantasma Neon a été sélectionné à Poitiers en décembre 2022 et j’ai eu le plaisir de m’y rendre pour accompagner le film. Cette année-là, nous avons gagné deux prix : celui de la mise en scène et le prix international Amnesty. Avec le festival de Biarritz, j’ai une relation plus longue puisque j’ai été sélectionné la première fois en 2020, pendant la pandémie, avec mon court métrage intitulé O prazer de matar insetos (Le Plaisir de tuer des insectes). C’était la première mondiale mais je n’ai malheureusement pas pu y assister, puisqu’en plus du contexte mondial, le gouvernement brésilien avait instauré beaucoup de restrictions budgétaires. Deux ans plus tard, mon court métrage Fantasma Neon était sélectionné à son tour. La première mondiale était à Locarno cette fois-ci, mais la première française s’est déroulée à Biarritz. Nous avons gagné cette année-là le prix du meilleur court métrage. Cette fois-ci j’ai pu m’y rendre, notamment grâce au soutien de Projeto Paradiso, une institution privée philanthropique qui aide les réalisateurs émergents au Brésil. J’ai par ailleurs défendu à Biarritz mon projet de long métrage au BAL-LAB.
Ce film que vous évoquez, c’est Fantasma Neon, que vous êtes en train de développer en long métrage. Et pour ce développement, vous avez aussi remporté une résidence au festival de Locarno. Comment considérez-vous ces résidences et que vous permettent-elles ?
L. M : En arrivant du Brésil, où le gouvernement a pendant longtemps méprisé le développement des artistes ou même la culture en général, encore plus pendant la pandémie mondiale de la Covid qui a été une période particulièrement compliquée pour nous, ces résidences sont une bénédiction. Elles me permettent de prendre le temps pour développer et de faire les recherches nécessaires au développement de ce long métrage. Parce que le film parle bien sûr de quelque chose qui est à la fois international et local. La figure du livreur à vélo, on la connaît toutes et tous, c’est un personnage contemporain, mais ce n’est pas pour autant que les problématiques sont les mêmes partout. Puisque je peux prendre ce temps, cela me donne l'occasion d’aller plus en profondeur sur ce sujet qui me tient à cœur. Je peux par ailleurs échanger avec d’autres professionnels, des script doctors et autres consultants, qui me donnent des retours précieux, ce qui me permet, presque paradoxalement, d’aller plus vite… C’est aussi une tranquillité unique. J’habite au Brésil, dans la banlieue de Rio de Janeiro. Mais la banlieue d’une ville comme Rio, c’est encore la ville et un lieu très vivant. En développant un tel film depuis chez moi, je mettrais sans aucun doute beaucoup plus longtemps. Ici, à Lormont, je suis au calme. Je peux vraiment me concentrer sur mon travail. Ça n’a pas de prix.
Vous avez réalisé six courts métrages, pourquoi développer celui-ci en long métrage ? Comment passe-t-on du court au long ?
L. M. : Le projet initial de Fantasma Neon, c’était justement un long métrage. Mais à ce moment de ma carrière je n’avais pas encore l’expérience nécessaire pour écrire et réaliser un long métrage. Je n’avais fait que quelques courts sans beaucoup de budget, c’était trop compliqué. J’ai donc un peu fait le chemin inverse si l’on veut, puisque j’ai réduit mon idée de long métrage dans un court métrage que je voulais être un film à part entière, et pas une bande annonce. La difficulté se trouvait plutôt là : réussir à faire exister ce film en tant que tel. Et ce n’était pas si simple, parce qu’il s’agit quand même d’une comédie musicale sur des livreurs à vélo. Ça aurait très bien pu mal tourner. Quand j’ai vu que le film était bien accueilli dans les festivals où il passait, c’était comme un phare dans la nuit [le film a gagné des prix à Toulouse, Biarritz, Locarno, Gramado, NDLR] et j’ai pu en venir au projet que j’avais en tête : en faire un long métrage.
Quand on parcourt votre filmographie jusqu’à présent, on se rend compte que vos films sont souvent un commentaire politique de notre époque. Vous considérez-vous comme un réalisateur politique ?
L. M. : C’est vrai que la plupart de mes films ont une base politique. Me déclarer réalisateur politique serait peut-être exagéré, mais je dirais que vivre dans le Brésil actuel et avoir le désir de commenter la société contemporaine est suffisant pour être considéré comme tel. L’actualité politique nous a entraînés dans un monde où la charge politique est énorme. Ce que nous vivons et les choix que nous faisons, ou bien ne faisons pas, sont sans nul doute la conséquence de cette charge. J’imagine qu’on peut dire que mes films sont politiques mais c’est certainement parce que le monde l’est devenu.
Nous vivons en effet un moment particulier où le cinéma indépendant, souvent attaché à des financements publics, semble être de plus en plus la cible de politiques qui ne le comprennent pas ou bien n’en voient pas l’intérêt. Comment vous positionnez-vous là-dessus, quelle est la situation au Brésil ?
L. M. : J’imagine que vous voulez parler du gouvernement de Bolsonaro, mais il faut s’imaginer que ce gouvernement a été le dernier clou dans le cercueil. Avant ce gouvernement nous avons eu celui de Michel Temer, qui était déjà très conservateur et extrêmement enclin à détruire les programmes d’aide qui avaient pris beaucoup de temps à être mis sur pied. La conséquence de cette politique, ou de cette non-politique, c’est qu'aujourd'hui, nous n’avons plus tellement d’idées originales. Quand on va dans des cinémas de galeries commerçantes, qui sont les plus fréquentés aujourd’hui, il est fort probable de n’y trouver aucun film brésilien projeté. On y trouve des suites, des prequels, des reboots et des remakes. Je n’ai rien contre le cinéma populaire, c’est un cinéma qui doit exister, mais je crois qu’on doit se positionner aujourd’hui sur l’originalité d’une idée plus que jamais. Puis au-delà des aides à la production, il y a bien sûr les aides aux équipes pour se rendre dans les festivals. Je parlais de coupes budgétaires il y a un instant : tous les festivals les plus prestigieux sont en Europe, c’est pourquoi je disais que ma présence à Poitiers et Biarritz avait été un privilège. Souvent, dans le cas du court métrage en tout cas, ces voyages coûtent la moitié du budget du film. Sans aide pour nous y rendre, nous n’existons pas. Et sans présence dans ces festivals, c’est malheureux, mais nous n’avons pas la validation nécessaire pour que notre film existe au-delà de nos frontières et bien souvent, même nationalement. À titre d’exemple, Fantasma Neon avait été sélectionné à Clermont-Ferrand, possiblement le festival de court métrage le plus important au monde, et nous n’avons pas pu nous y rendre notamment à cause de ces coupes budgétaires.
D'après vous, pourquoi le cinéma est-il le média idéal pour s’engager politiquement ?
L. M. : J’ai un avis évidemment biaisé, mais pour moi, le cinéma est la forme d’art la plus complète. On y combine énormément d’autres formes d’art pour obtenir un résultat qui, à mon sens, s’approche le plus de cette chose étrange qu’est l’expérience humaine. On y retrouve la musique, l’écriture, la photographie… C’est un langage très riche, qui nous permet de capturer cette expérience sur laquelle il est souvent si compliqué de mettre des mots. C’est ce qui me motive à faire du cinéma.
Leonardo Martinelli, the blessed resident
Leonardo Martinelli directed one of the most noticed and most awarded short movies, all festivals combined. He was a resident at Villa Valmont in Lormont (near Bordeaux) from June 9th to July 9th where we were able to meet him and talk about his residency. He took the opportunity to address the state of independent filmmaking in Brazil.
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Thanks for receiving us in the Villa Valmont where you are currently enjoying a residency that has been organized by ALCA, the Biarritz Latin America Film Festival and the Poitiers Film Festival. What relationship do you have with those events ?
Leonardo Martinelli : Fantasma Neon was selected by the Poitiers Film Festival in 2022 and I was lucky enough to be there to present the movie. That year we won two prizes : the mise-en-scène one and the Amnesty International prize. With the Biarritz Film Festival, I have an older relationship, as they selected another of my short movies, O prazer de matar insetos in 2020. It was the world premiere, but sadly I was not able to go since it was during the pandemic. That coincided with the Brazilian government cutting a lot of subsidies. Then in 2022, they selected Fantasma Neon. It wasn’t the world premiere - that took place in Locarno - but the French premiere. This time I made it, mainly thanks to Projeto Paradiso, a private philanthropic organization that helps emerging directors. Not only was I able to be here for the short film, but I also presented my feature film project at the Bal-Lab. A great privilege.
This movie you are talking about is Fantasma Neon, which is currently being developed as a feature film. For this project, you were also selected as a resident by the Locarno film festival. How do you consider these residencies and how useful do they turn out to be ?
L.M : Those residencies are a blessing. Coming from Brazil where the government has abandoned the development of young and emerging artists, particularly during the Covid pandemic that has been a most complicated period of time for us, they allow me to take the time I need to research and develop this feature film project. Because the movie is about something that is both universal and very local : the bike deliveryman is a presence we all have learned to live with. But at the same time his or her conflicts are very personal depending on where he or she is from. Having that kind time allows me to go deeper and research what is important for me on this subject matter. It also gives me the opportunity to discuss with other professionals, script doctors for example. They give me precious feedback that in turn allows me to go faster, as paradoxical as it seems. And then it’s an opportunity to be at rest. This place is so calm! I live in Brazil, in the suburbs of Rio de Janeiro. But the suburbs of Rio is still a place that’s very much alive. If I had to develop such a project at home, it’d take me much more time. I am enjoying the calmness of Lormont. I can focus on my work. That’s priceless.
You have written and directed six short movies. Why make this one into a feature film? How do you go from short movie to feature film?
L.M : It turns out that the initial idea with Fantasma Neon was to make it as a feature film. But at this precise moment in my career I wasn’t experienced enough to both write and direct such a movie. All I had was my experience making short movies with almost no budget… It was complicated. So I swam upstream (so to speak), and I went from feature film to short movie, reducing my expectations and trying to make my original idea into something that had to be a movie and not some sort of extended trailer. That was the difficult thing to do: to instill meaning to something that was originally going to be much bigger. That was not a simple challenge as I was doing a musical about biking delivery men. It could have turned wrong very easily. When I saw it performed the way it did in the different festivals it was selected in, it was like a lighthouse [Fantasma Neon received awards in Toulouse, Biarritz, Locarno, Gramado, etc.] and I knew I could then start to think about the feature film project.
When one scrolls through your filmography, one notices that your movies often have some type of commentary about the world we are living in. Do you consider yourself as a political director?
L.M : To declare myself as a political director would surely be a bit too much. But I’d say that living in Brazil nowadays and wanting to comment on the world we live in is enough to be considered as one. Politics and the way they’re conducted lately have made the world a place that’s politically charged. The way we live, the choices we make or do not make are definitely a consequence of this charge. So if my movies are perceived as political, that’s very much because the world around me is too.
It seems we are entering a new era where independent cinema, generally depending on public money and/or subsidies, is being targeted more and more by politicians that don’t seem to understand it fully, or its importance and what is at stake. What’s your take on that, what’s the situation like in Brazil?
L.M : I take it you want to talk about the Bolsonaro government. But to talk about this government makes no sense if you don’t contextualize it. This government was the last nail in the coffin. Before this government, we’ve had to deal with the Michel Temer one, which was already extremely conservative and very much inclined to cancel any program dedicated to artists that were existing thanks to years and years of hard work. Direct consequence of this political choice (or lack of choice), is that we do not see original ideas anymore. When you go to mall cinemas, which are the strongest and most popular ones in the country, you’ll get reboots, sequels, prequels and remakes. Not that there is anything wrong with that, it’s good that this cinema exists. However I think it important to position ourselves on the originality of ideas, now more than ever. Then, beyond the production subsidies, there are the ones we can get to go to festivals for instance. All the most important festivals are in Europe, that’s why I was telling you my being in Biarritz and Poitiers was a great privilege. Because you have to have in mind that more often than not, in particular for the short movie industry, traveling to these events is more or equally expensive than the movie itself. With no financial help, we would definitely not be able to be there. Fantasma Neon was selected in Clermont-Ferrand, possibly the most important short-movie festival in the world, and I was not able to make it, precisely because of the cuts I was telling you about. And if we are not in these European festivals we sadly do not have the validation we need to keep on making movies in Brazil.
How do you see cinema as the right media to speak out politically?
L.M : My opinion is of course biased. To me, cinema is the most complete form of art. It combines many different disciplines in order to get a result that, in my opinion, gets close and very intimate with what we could call the ‘human experience’. We can find music, writing, photography… It’s a very rich language that allows us to capture this experience that we often struggle to define and explain. That’s what motivates me to keep on making movies.