La double épopée de Nincemon Fallé


Alors qu’il n’a encore que 23 ans, l’auteur ivoirien Nincemon Fallé vient de faire, en deux ans, une entrée fulgurante dans le monde littéraire avec son premier roman Ces soleils ardents, additionnant déjà deux prix prestigieux, celui de Voix d’Afriques — conditionné à sa publication aux éditions JC Lattès — et celui de la Vocation, bien doté pour encourager une continuité. S’enchaînent depuis de nombreuses invitations sur des salons du livre en Afrique et en Europe. Et cela ne fait que commencer, puisque lauréat de la résidence internationale d’écriture francophone Afriques-Haïti 2025, il vient de passer trois mois à travailler sur son prochain projet, Trahir les cendres, une fantasy médiévale africaine, une trilogie mêlant histoire et spiritualité. "Une épopée héroïque entre Ségou de Maryse Condé et l'Assassin royal de Robin Hobb", précise-t-il. Retour sur les derniers mois…
Dans Afrique Magazine de juin 2024, la journaliste Astrid Krivian indique que Ces soleils ardents "dépeint avec justesse l’entrée dans l’âge adulte de deux amis étudiants à Abidjan, entre difficultés, aspirations et espoirs". Le roman correspond donc parfaitement au cahier des charges du prix Voix d’Afriques : "un roman inédit qui traduit un regard unique sur l’Afrique, une réflexion sur l’histoire, sur l’éducation, sur l’actualité politique, économique, sociale…". En sachant que Nincemon l’a écrit à seulement 21 ans, ce qui surprend au-delà du style unique de cette écriture du réel, c’est une maturité assez effarante. Il l’explique par le fait qu’il a grandi dans une grande famille ouverte au cinéma et à la littérature. Dès le collège notamment, son grand-père lui a mis entre les mains de grandes fresques ivoiriennes telles que Le Soleil des indépendances d’Ahmadou Kourouma (1968) ou encore Les Frasques d’Ebinto d’Amadou Koné (1975) mais aussi des auteurs d’autres pays comme l’immense Monde s’effondre du nigérian Chinua Achebé (1958). Ce qui, on le sait, ouvre bien souvent plus de portes émotionnelles que ne le font les lectures imposées à l’école. Mais cela a déclenché bien plus : cela lui a ouvert les portes de l’écriture. Si bien qu’à 16 ans, il écrit une pièce de théâtre pour un concours. Et que depuis, il n’a pas cessé d’écrire, ajoutant qu’il a toujours eu plusieurs projets en cours d’écriture et, parmi eux, Ces soleils ardents. Quand il a découvert le prix Voix d’Afrique, il a retravaillé son roman en laissant passer trois éditions avant de se sentir prêt à l’envoyer en 2023, et ce tout en finissant sa licence de Lettres modernes, menée en parallèle d’un BTS de communication visuelle à Abidjan.
Initié par les éditions JC Lattès et RFI, en partenariat avec la Cité internationale des Arts de Paris, le prix Voix d’Afriques est donc destiné à encourager l’émergence de jeunes auteurs du continent africain, de langue francophone. Lauréat en février 2024 de la 4e édition, Nincemon Fallé voit différentes portes s’ouvrir : la remise du prix à l’Institut français du Cameroun, assorti d’une semaine de rencontres, d’ateliers, de conférences à Yaoundé et à Douala, la publication de son roman par les éditions JC Lattès/RFI avec un bel accompagnement promotionnel. "C’était une opportunité en or, confie-t-il, de savoir mon manuscrit lu par des professionnels du livre, des journalistes et de grands auteurs tels que le président du jury depuis 2024, le Sénégalais Mohammed Mbougar Sarr, le Goncourt 2021".
Enfin, grâce au partenariat avec la Cité internationale des Arts, s’offrent devant lui entre avril et juin 2024, deux mois de résidences d’écriture, l’une à Paris, l’autre à Lormont, à la Villa Valmont — qui chevauche justement les dates des Escales du livre à Bordeaux. Et c’est là, qu’il rencontre une des membres du jury du prix, l’autrice rwandaise Beata Umubyeyi-Mairesse, alors qu’il est convié à une rencontre croisée avec la romancière camerounaise Hemley Boum, qui lui apprend l’existence de la résidence internationale d’écriture francophone Afriques-Haïti, portée en Nouvelle-Aquitaine depuis 2017, par ALCA et l’IdAf et qui inaugure justement pour l’édition 2025, un nouveau partenariat international avec l’Institut français du Sénégal ainsi qu’une nouvelle formule de résidence dotée d’une bourse conséquente : un accueil sur les deux continents, 3 mois pour travailler (du 1er février au 30 avril 2025) et 3 trois territoires différents à explorer : à la villa Saint-Louis Ndar à Dakar (dans le réseau des Villas culturelles françaises depuis 2019), à la Maison des écritures de La Rochelle, et de nouveau à la Villa Valmont, la Maison des écritures et des paysages de Lormont, pour un ancrage dans la métropole bordelaise.
Encouragé par le fait que son livre soit publié et diffusé également chez lui, par une maison d’édition ivoirienne, La Case des Lucioles, Nincemon se sait désormais bien soutenu et décide, en accord avec son éditrice de chez JC Lattès, Anne-Sophie Stefanini, de postuler à la résidence Afriques-Haïti 2025 pour un projet d’écriture dont il lui a parlé et auquel il tient particulièrement : une trilogie fantastique sur l’Afrique médiévale. Nourri par les grandes sagas de fantasy de sa génération, de Harry Potter aux mangas, en passant par Narnia, qui font appel au merveilleux, à la magie et l’enchantement, il en a déjà écrit plusieurs mais ce projet-là, Trahir les cendres, il l’a entièrement et tellement en tête qu’il a réussi à convaincre son éditrice : "Sur le continent d’Etiofari, trois empires sont en guerre perpétuelle : l’Anirlie au nord, Thouran à l’est et Ktumanden à l’ouest. Le quatrième, au sud, est si hostile qu’il a été fui par les cendrés qui y habitaient, quitte à être réduits en esclavage. Alors qu’une nouvelle guerre démarre, un homme puissant propose aux cendrés la liberté en échange de leur engagement à ses côtés, promettant qu’il leur offrira une terre nouvelle, une île, exempte de maîtres. Parvenus sur l’île baptisée Iworen, les épidémies et les catastrophes naturelles s’enchaînent et font des ravagent. Le guide d’autrefois est désormais haï. Au soir de sa vie, seul son fils naturel semble pouvoir assurer sa succession : un enfant né d’une union charnelle avec une sorcière, un garçon sorti du ventre de sa mère avec deux autres frères identiques, la même nuit, mais séparés à la naissance à cause d’une prophétie. Des trois, l’un sauvera le monde, un autre le détruira, un troisième tuera les deux autres."
Le talent, la force et l’originalité de ce projet ont également convaincu le jury de la résidence Afriques-Haïti, lors de la commission en visio organisée par la villa Saint-Louis Ndar, avec tous les partenaires, de le choisir comme lauréat. D’autant que pour un tel travail à mener, reposant sur des recherches documentaires sur les empires et royaumes africains, ainsi que sur les légendes et les spiritualités africaines, une résidence d’écriture longue semblait particulièrement appropriée. Le jour de notre rencontre, Nincemon explique qu’il a procédé différemment selon les lieux : à Dakar et à La Rochelle, il a beaucoup écrit ; à la Villa Valmont, il a repris toute la structure pour refaire un filage du scénario. Au-delà, l’immersion tripartite a également fait son œuvre : à Dakar, il a été porté par les paysages car la villa Saint-Louis Ndar se trouve sur une presqu’île, au confluent du fleuve Sénégal et de l’Océan alors qu’à La Rochelle ce sont les bords de mer et les marais charentais qui ont pris le relais. Enfin, à Lormont, à la Villa Valmont, au milieu des cèdres centenaires suspendus au-dessus de la ville de Bordeaux et de la Garonne qu’on voit serpenter plus bas, un autre horizon paysager s’est ouvert…
Nincemon sait qu’il a encore beaucoup à faire : "Chaque fois que j’avance, dit-il, il faut que je fasse trois pas en arrière parce qu’il y a encore des informations dont j’ai besoin pour écrire et que je dois les chercher. Même si l’avantage de la fantasy est que l’intrigue peut se déployer sur plusieurs temporalités et lieux sans soucis chronologiques ou historiques, pour que ce soit crédible, je dois être le plus réaliste possible. Pour créer une vraie immersion pour le lecteur, je dois coller au plus près du continent africain, afin qu’on le ressente et ce, malgré les très grandes disparités des pays qui le constituent." On le sait doué d’une grande force de travail, alors nous n’avons plus qu’à attendre patiemment et, quand ce sera l’heure, JC Lattès ne manquera pas de nous informer…

(Photo : Centre international de poésie Marseille)