Anne Zimmerman immergée en Nouvelle-Aquitaine
L'autrice et bédéiste hessoise est, après Ilknur Kocer, la seconde autrice que Les Plumes de Léon (Saint-Léon-sur-Vézère) ont eu le plaisir d’accueillir dans le cadre des résidences croisées1 et partagées avec la Villa Valmont (Lormont). Concomitamment , l'autrice néo-aquitaine Sophie Marvaud s'est installée deux mois à Wiesbaden, dans le cadre du même partenariat avec le Land Hesse.
Situées dans la Vallée de l’Homme au cœur du Périgord Noir, Les Plumes de Léon accueillent depuis 2019 dans deux gîtes indépendants des auteurs en résidence. Anne était en résidence en même temps que l’illustrateur et auteur jeunesse Serge Huguenin. Nous avons partagé des promenades avec les chiens, des dînettes végétariennes, des visites sur les sites de Lascaux 4 et Font-de-Gaume, évoqué nos ressentis de ces lieux mythiques du Périgord, parlé des projets d’écriture de Anne et Serge, du travail de rue à Berlin, auquel Anne a consacré un livre, du Nord de l’Espagne, où elle aimerait vivre… Le temps est passé vite. Trop vite. La veille de son départ, nous nous sommes entretenues au coin de la cheminée autour d’un dernier verre.
Sur quel projet as-tu travaillé pendant ta résidence ?
Anne Zimmermann : J'ai commencé un nouveau projet sur la Vénus de Laussel, un bas-relief préhistorique d’une femme tenant à la main une corne avec treize encoches. Cette œuvre d'art datant d'environ 25.000 ans semble représenter une grande déesse (la Grande Mère) qui a probablement été vénérée pendant une période beaucoup plus longue que notre actuel dieu patriarcal.
Lors de mes recherches à Bordeaux, où j’ai eu le bonheur de voir le bas-relief original au Musée d'Aquitaine, j'ai réalisé que cette Vénus n'était que le point de départ d'un projet bien plus vaste. A partir de là, de nombreuses autres pistes narratives se sont ouvertes à moi, notamment l'étude du matriarcat et des cultures matriarcales actuelles. Je ne l’interprète pas comme l'opposé du patriarcat, mais pense tout simplement à une réappropriation d'une structure sociale ancestrale et plus naturelle, qui résoudrait probablement une grande partie des problèmes de notre société moderne.
J'ai ensuite trouvé une autre approche thématique dans les discussions personnelles que j’ai pu avoir avec de nombreuses femmes rencontrées pendant ma résidence. J’ai réalisé qu'il n'existe pas une seule femme qui n'ait pas un rapport perturbé avec son corps ou sa féminité. J'y décèle la nécessité absolue d'un travail sur les traumatismes dans la psyché féminine collective. Toutes les femmes portent en elle ces blessures ancestrales. Cette approche thématique vise donc la psyché féminine collective et une approche de "guérison".
Au fil du temps, j'ai aussi tissé un lien très personnel avec ce projet, lié à ma propre histoire familiale – et qui m’a permis de saisir des aspects auxquels je ne m’attendais pas.
Pendant ma résidence, j'ai écrit un texte sur un rituel fictif de fertilité au Paléolithique supérieur et une sorte de poème ou d'invocation à la Grande Mère. Ces deux textes ont inspiré une série de dessins représentant aussi bien des scènes rituelles concrètes que des symboles, ainsi que des illustrations de la Grande Mère. A partir de ces dessins et du poème, je souhaite composer un court récit qui se réfère davantage aux images inconscientes de notre psyché et à notre intuition plutôt qu'à notre pensée logique.
Je vois dans ce récit le prélude ou le prologue d'une bande dessinée plus longue, consacrée à la psyché collective féminine.
Avec quelles attentes as-tu entamé la résidence ?
A. Z : J'ai essayé de ne pas avoir d'attentes trop spécifiques, mais plutôt d'être ouverte à des nouvelles impressions et curieuse des personnes que j’aurais l’occasion de découvrir et de rencontrer. Et bien sûr, je me réjouissais beaucoup de cette période !
Que penses-tu de la résidence partagée dans deux endroits différents, en l’occurrence Les Plumes de Léon et La Villa Valmont ?
A. Z : À mon sens, c'est un grand cadeau de pouvoir découvrir deux lieux aussi variés et de vivre autant de nouvelles impressions et expériences qui y sont liées. À vrai dire, la résidence partagée a parfaitement coïncidé avec les différentes phases de mon projet : Recherche et écriture à Bordeaux ; dessin et composition à Saint-Léon-sur-Vézère. Et au risque de me répéter, c'était merveilleux de pouvoir découvrir la Vénus originale au Musée d'Aquitaine, puis de trouver une inspiration supplémentaire en Dordogne grâce aux peintures rupestres préhistoriques.
Je serais bien sûr restée plus longtemps aux deux endroits. En ce cas, j’aurais volontiers saisi la proposition de rencontrer des lycéens périgourdins pour évoquer mon métier de bédéiste et travailler avec eux sur une ébauche de scripte. Ce sera pour une autre fois, j’espère, car j’adore ces rencontres qui mettent à l’honneur la transmission.
Quel effet ont eu sur toi ces semaines passées ici, immergée dans la nature et loin de ton quotidien ?
A. Z : J'ai pu me plonger dans la phase de dessin. Le calme et l'isolement ont définitivement intensifié l'ensemble du processus et m'ont permis de maintenir une forte concentration.
Quels sont les éléments que tu en retiens pour ton projet actuel ? Celui-ci a-t-il pris une autre tournure au cours de ces semaines ?
A. Z : Les longues promenades en forêt, en particulier, m'ont apporté un calme intérieur profond et m'ont aidé à me reconnecter avec la nature (Mutter Natur - Mère Nature) et à avoir un rapport émotionnel très direct avec mon projet. Je me suis sentie suffisamment libre ici pour aborder le projet de manière très ludique et intuitive. Cette légèreté retrouvée m'a rappelé pourquoi je raconte des histoires avec des dessins. De plus, j'ai le sentiment que l'ensemble de la résidence a renforcé ma position artistique et m'a donné plus de confiance en mes propres capacités. Je ressens enfin la légitimité de m’atteler à un livre plus complexe, plus important – de penser plus grand. J'en suis très heureuse et reconnaissante.
Quelle est la prochaine étape pour ton projet ?
A. Z : Je vois les dessins et le poème évoqué plus tôt comme une sorte "d'invocation graphique". Je retrouve la Vénus dans toutes mes esquisses ; elle m'a ouvert un accès à un monde des rituels que j'essaie d'explorer aussi bien en théorie qu'en pratique.
Quant à la résurgence et au développement du féminin, j'aimerais les explorer et les encourager à différents niveaux. Je prévois notamment un atelier intergénérationnel avec des femmes de cultures et de milieux différents. J'aimerais créer un lieu sûr où les femmes peuvent échanger et partager leurs expériences sur le thème de la féminité et du corps féminin. Le but de ce projet serait d’encourager les participantes à trouver une expression personnelle et à élaborer ensemble, avec différents médias, une publication qui résume nos expériences et nos impressions à toutes – une publication qui permette aux femmes de trouver leur propre voix, de célébrer et de renforcer leur féminité.
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1. Anne Zimmermann, lauréate 2023 de la résidence d’écriture Nouvelle-Aquitaine/Land Hesse, portée par ALCA et le Hessischer LiteraturRAT (Conseil de littérature hessois), dans le cadre des accords de coopération entre la Région Nouvelle-Aquitaine et le Land Hesse.