Les professionnels néo-aquitains appellent à la "défense du cinéma d'auteur"
À la suite du "cri d'alarme d'un cinéma en crise" publié dans Libération au début du mois d'octobre, Prologue a rencontré des représentantes et représentants professionnels du cinéma néo-aquitain qui demandent eux aussi la tenue d'états généraux de la filière.
Le plus bas niveau enregistré pour un mois de septembre depuis 1980. Le nombre des 7,38 millions de personnes s'étant rendues dans les salles de cinéma françaises en septembre 2022 constitue, à l'exception de 2020, la plus basse fréquentation recensée par le CNC depuis la mise en place de ses statistiques mensuelles. La désertion du public depuis la crise sanitaire liée au Covid-19 est éloquente : le nombre d'entrées cumulées de janvier à septembre 2022 a chuté de près de 30 % par rapport à la période 2017-2019.
Dans ce contexte alarmant pour les salles, également confrontées à la montée des tarifs de l'énergie, et pour l'économie du cinéma plus globalement, des personnalités du secteur multiplient les communications publiques demandant la tenue d'"états généraux du cinéma". Les productrices Judith Lou Lévy et Carole Scotta, l'actrice Maud Wyler et Jacques Audiard ont ainsi appelé le 5 octobre dernier dans Libération à "ce que tout le monde se réveille", ciblant notamment l'hégémonie croissante des plateformes de streaming, la suppression de la redevance audiovisuelle ou encore le rôle du CNC pour la défense du cinéma d'auteur. Le lendemain, une "réflexion publique" s'est tenue à l'Institut du monde arabe, à Paris, réunissant cinéastes, exploitants, distributeurs, producteurs, etc. en préfiguration de probables prochaines rencontres.
En Nouvelle-Aquitaine, le secteur est également touché par cette crise, comme l'atteste d'abord la fréquentation en berne des salles. "Nous observons en région la même dynamique qu'au niveau national", confirme Pascal Robin, exploitant du cinéma Les 400 Coups à Châtellerault (86), vice-président de l'association des cinémas indépendants en Nouvelle-Aquitaine (Cina) et secrétaire du syndicat national des cinémas d'art, de répertoire et d'essai (Scare). "Les chiffres du CNC et de nos associations professionnelles font état d'une baisse d'environ 35 % de la fréquentation dans les grosses exploitations contre environ 20 à 25 % pour les petites et moyennes structures", nuance toutefois Pascal Robin, expliquant cette résistance notamment par "un tarif moins élevé que celui de la grande exploitation, qui est plus dépendante des grosses productions, en particulier américaines" et par des "séances éditorialisées avec des invités qui attirent plus de spectateurs".
Un modèle de création et de diffusion à défendre
De la création à l'exploitation, c'est toute l'interprofession qui s'interroge sur l'état de la filière et sur la préservation du cinéma d'auteur. Vice-présidente de l'association Produire en Nouvelle-Aquitaine (Peña) et à la tête de la société bordelaise Sister Productions, Julie Paratian précise que la situation "concerne tout le monde bien que nous ne soyons pas tous touchés de la même manière selon que l'on produise un cinéma davantage commercial ou alors dit d'auteur". La productrice alerte ainsi sur la nécessité de défendre un modèle de création à l'économie plus fragile : "Ce cinéma d'auteur demande des moyens importants, notamment parce que le temps de son développement et de son financement est très long. Plus il sera difficile à produire, moins les producteurs prendront le risque de s’y frotter. Ainsi c’est la diversité des œuvres, des regards et l’émergence de nouveaux auteurs qui est en danger. Pas besoin d’aller très loin pour imaginer le résultat à très court terme : l’Italie, l’Espagne et même l’Angleterre ont perdu leur vitalité cinématographique en l’espace de quelques dizaines d’années."
"Produire un long métrage de fiction n'est pas chose aisée puisque cela demande du temps et des moyens financiers conséquents", abonde Philippe Kastelnik, auteur-réalisateur et coprésident de l'association Naais (Auteurs et autrices de l’image et du son en Nouvelle-Aquitaine). "Ces difficultés sont encore plus fortes quand il s'agit d'émergence et de cinéma de création", poursuit-il, rejoint par la documentariste Sylvie Texier, correspondante locale de l'association en Haute-Vienne, qui alerte sur la condition des auteurs : "L'un des objectifs de Naais, qui sera défendu dans des états généraux s'ils ont lieu, est de dire qu'un auteur de cinéma doit vivre de son métier. Aujourd'hui, ce n'est pourtant pas le cas puisque la profession est globalement dans la précarité."
Selon les représentants de Naais, l'une des causes de ces difficultés croissantes à faire du cinéma d'auteur est "l'évolution des discours politiques en faveur d'une logique de marché". Un positionnement "aux antipodes de la mission du CNC", selon Philippe Kastelnik, qui rappelle que le Centre national du cinéma "a été justement créé pour défendre la création en redistribuant l'argent prélevé sur les billets d'entrée des cinémas et ainsi contribuer à être le laboratoire d'œuvres non formatées et qui ne répondent pas à une logique de marché." Des états généraux sont donc demandés par la profession "afin de pérenniser ces dispositifs de soutien au cinéma d'auteur où la mise en scène est au centre du processus créatif". Ces rencontres seraient aussi "l'occasion de demander à ce que le soutien au court métrage, comme espace de création par nature rarement en phase avec la recherche de rentabilité, soit renforcé".
Également programmatrice et animatrice de rencontres, Sylvie Texier avance "comme l'une des solutions à la crise que connaît le cinéma", le renforcement de l'éducation aux images. "Les salles de proximité et les auteurs qui animent des rencontres ont un rôle central à jouer dans la transmission auprès du jeune public dont les pratiques culturelles se sont éloignées du cinéma", développe-t-elle, "surtout dans les nombreux territoires où l'accès aux salles n'existe plus ou est trop peu soutenu".
Vers des états généraux nationaux et régionaux ?
Pascal Robin dit lui aussi "croire profondément" au rôle de l'éducation aux images mais ne voit pas comment elle pourrait se développer dans les territoires ruraux où "l'augmentation des tarifs des transports explose et contraint les publics scolaires à réduire leurs frais de déplacement". Pour lui, l'avenir des salles de proximité et du cinéma d'auteur nécessite "un meilleur soutien ciblé, comme par exemple le fonds 15-25 que le CNC a lancé puis semble vouloir stopper au bout d'un an d'expérimentation". Par ailleurs, il regrette un traitement médiatique "superficiel" du cinéma d'art et essai : "On entend trop souvent dans des émissions que la chronologie des médias est dépassée mais on ne s'interroge jamais sur la disparition des cinématographies italienne, espagnole, etc. ! La définition de l'art et essai doit être défendue et pourquoi pas repensée", poursuit Pascal Robin. L'exploitant attend également des éventuels états généraux une discussion interprofessionnelle sur le coût de l'énergie qui pèse lourdement sur les finances des salles. Un échange sur le sujet avec les distributeurs "pourrait par exemple conduire à repenser le nombre minimal de séances hebdomadaires exigé par certains distributeurs."
L'interprofession s'accorde donc sur l'utilité de réunir des états généraux, avec les différentes actrices et acteurs professionnels et institutionnels, aussi bien au niveau national que régional, comme l'explique Julie Paratian : "Lorsque l'on parle de diversité de création, la création d’initiative régionale y est centrale, parce qu’elle permet de décentrer les regards, de donner la parole à une diversité de populations et de langues, parce qu’elle cinématographie d’autres lieux, d’autres espaces, d’autres territoires, d’autres réalités. Elle ne cesse d’ailleurs d'être reconnue dans les plus grands festivals en France et à l'étranger."
Lors de la soirée de clôture de la 11e édition du Festival international du film indépendant de Bordeaux le 17 octobre dernier, les cofondatrices du Fifib Johanna Caraire et Pauline Reiffers ont lu un communiqué signé par plusieurs associations professionnelles régionales dont la Peña, la Tribune des auteurs et le Collectif des festivals de Nouvelle-Aquitaine. Celui-ci appelait également à une rencontre entre acteurs professionnels et institutionnels à l'échelle régionale, envisageant la "décentralisation comme un laboratoire et un espace de recherche et de développement".