Ma valise sur une île déserte : choix d'un libraire
Petit travail d'imagination : et si on me demandait un jour de choisir un livre à apporter sur une île déserte, je pense que ma première réaction serait de justement ne pas prendre qu'un seul livre. Probablement je prendrais au moins un manuel complet de jardinage, une anthologie de romans policiers et un recueil de littérature érotique. C'est le bon côté du métier de libraire, on a tellement de domaines possibles à explorer, d'éditeurs à découvrir, d'auteurs à lire. En parlant de cela, j'ai quelques pépites à vous proposer. Des ouvrages en lien avec notre belle contrée Aquitaine et dont certains méritent certainement une place dans la bibliothèque des îles désertes.
Voilà un groupe coup de cœur que je n'hésiterais pas à emporter, la dernière parution des éditions La Cheminante : Les Maquisards de Hemley Boum. Au Cameroun, la résistance s'organise contre l'occupant français. Les héros de ce livre sont issus du peuple bassa et se fréquentent depuis leur plus jeune âge. À travers leur vie familiale, leurs histoires d'amour, leurs parcours dans ce Cameroun colonisé, Hemley Boum raconte ce "maquis" (le titre est quand même formidable). Elle dépeint avec force et humour des femmes libres dans une société camerounaise corsetée. Hemley Boum sait brosser ses personnages avec un art consommé de l'écriture, c'est un vrai et juste plaisir de lecture. On aimerait que ce livre ne se termine pas.
Je prendrais le foisonnant dernier roman de Michel Maisonneuve qui est un livre à lire plusieurs fois, paru aux éditions Gaïa en janvier dernier : L'Histrion du Diable. Une belle fresque historique formidablement documentée autour de la naissance du personnage d'Arlequin. Quel roman ! En plein XIIIe siècle, l'Italie est sous l'emprise des familles des grandes cités qui passent leur temps à guerroyer. Le lecteur suit le parcours initiatique de Lecchino qui le mènera vers son personnage Ar-Lecchino dans un grand roman d'aventure à rebondissements, rencontres, coups d'éclat qui font que cet homme deviendra un mythe pour tous.
Tant qu'à avoir un livre en histoire, remontons encore un peu jusqu'au XIIe siècle. Akileos, l'éditeur de Talence, sort un album tout à fait à mon goût : Le Roy des ribauds sous la plume de Vincent Brugeas et le pinceau de Ronan Toulhoat. Bras armé secret de Philippe Auguste, le "roy" des ribauds, dit le "triste sire", est particulièrement craint dans les bas-fonds de Paris. En se vengeant d'un affront, il va pourtant mettre en péril sa position et ses amis. C'est excellent, l'atmosphère sombre créée par Ronan Toulhoat se prête parfaitement au scénario, les personnages sont attachants et barbus à souhait. Je prends le tome 1 dans ma valise, vivement le livre 2 !
En matière de réflexion, je mets dans mon sac le livre d'Yves Chaudouët : Essai la peinture paru aux éditions Actes Sud. Yves Chaudouët est un artiste plasticien, peintre, metteur en scène, photographe et écrivain. Son dernier ouvrage est à la fois un récit (celui de son arrivée à Bazas) et un superbe texte sur la création artistique. En premier lieu, ce livre est beau, le style d'Yves Chaudouët est très agréable et il y a des chapitres magnifiques, comme celui sur les jardins, et je conseille particulièrement le rendez-vous avec son modèle, un vrai plaisir de lecture (le peintre se prépare au portrait intérieurement et doit "se débrancher" régulièrement pour répondre aux questions incongrues de son modèle).
Pour les sensations que son écriture suscite, j'emporte toute l'œuvre de Léonor de Récondo. Le dernier roman de la violoniste, Amours, a paru aux éditions Sabine Wespieser. Bercée par la présence du fleuve, elle prend régulièrement ses temps de repos en Lot-et-Garonne. Les romans de Léonor de Récondo ont en commun une beauté du texte et surtout des images d'une grande force qu'elle induit dans nos cerveaux de lecteurs affamés. Déjà quatre romans et une volonté sans faille de raconter des personnages en recherche d'une forme de liberté qui les fait grandir ou s'épanouir. La grâce du cyprès blanc évoquait un poète musicien en quête de la passion la plus dévorante. Dans Rêves oubliés, elle racontait la fuite de sa famille du régime de Franco pour une maison dans les landes. Pietra Viva, un livre incroyablement puissant, contait la transformation de Michel-Ange après son expédition à Carrare.
Et voici que dans Amours, elle pose ses personnages en 1908 dans une maison cossue d'un village du Cher. Anselme et sa femme Victoire n'arrivent pas à avoir d'enfants. Ce bon notaire viole régulièrement sa jeune et bonne Céleste dans sa chambre à l'étage. Un jour Céleste découvre qu'elle est enceinte, c'est la catastrophe. Et pourtant Anselme et Victoire décident de garder l'enfant et qu'il sera celui qu'ils n'arrivent pas à avoir. Sauf que Victoire n'a pas la fibre maternelle. Un roman délicat et admirablement construit sur la place des femmes au début du XXe siècle, le rôle des domestiques, la prévalence de la religion sur les choix personnels. Le travail de l'auteur sur les sensations et la découverte des corps est très réussi, c'est un roman à ne pas manquer, vraiment. Un auteur à ne pas laisser passer.
J'apporte quelques sucreries. On parle liberté des corps dans un petit bonbon qu'est ce nouvel ouvrage de Claro paru aux éditions de L'Arbre Vengeur : Dans la queue le venin. Bon, c'est en quelque sorte un "conte" érotique : Pomponette Iconodoule part à Istanbul retrouver son amant – elle y fera bien d’autres rencontres car les tentations y sont nombreuses – surtout pour une jeune femme libre. Lecture sans entrave, c'est un texte évidemment coquin, vraiment cocasse et parfois même farceur, Claro s'amuse et nous avec. J'ajoute le dernier ouvrage de la collection "Dirty" chez Pierre Mainard éditeur à Nérac : Le boudoir de la langue, un petit bouquin d'Alain Roussel accompagné de dessins de George-Henri Morin. Un texte largement explicite, encore plus que le Claro, magnifique délire érotique.
On en parle aussi du corps, finalement, dans un roman pour adolescent écrit par un Guillaume Guéraud toujours aussi fort. Son dernier titre aux éditions du Rouergue Plus de morts que de vivants est un roman qui se lit d'une traite. Dans un collège de la banlieue marseillaise, les ados sont victimes d'un virus mortel extrêmement violent. Chacun fait face à la mort et à l'horreur comme il peut, chacun sait aussi qu'il ne sera peut-être plus là dans la minute qui suit. Guillaume Guéraud se joue du lecteur en reprenant les codes des séries télé d'horreur, les réponses de notre monde ne seront évidemment pas sans cynisme. Les adolescents restent avant tout des enfants même si la fascination pour le gore baigne leur culture contemporaine.
C'est là que je me dis qu'il est peu probable que je puisse finir sur une île déserte... mais dans une tempête de neige en montagne, ça oui. Et là, partir comme le shérif Walt Longmire dans une tourmente dantesque à la poursuite de dangereux personnages, avec un exemplaire de L'Enfer en poche comme seul compagnon, pourquoi pas ? C'est le sujet du dernier Craig Johnson, un excellent cru pour cet auteur de polar très régulier chez Gallmeister. Tous les démons sont ici est un livre à dévorer sans hésiter une seconde. Quel rapport avec l'Aquitaine me direz-vous ? Nous avons un basque adjoint du shérif ! Dans une scène d'ouverture drolatique, les lecteurs habitués de Craig Johnson auront le plaisir de retrouver Santiago "Sancho" Saizarbitoria. Ce dernier tente de combler ses lacunes en littérature face à trois repris de justices plutôt sanguinaires destinés au FBI dont un passe son temps à le menacer de mort.
Mais je n'ai pas oublié que sur mon île, il me faudra quand même un bon livre de jardinage, c'est même probablement le livre le plus important. Bon, ce livre est sur les plantes en pot, mais ça peut toujours servir ! Les deux paysagistes du Périgord noir, par ailleurs à l'origine des superbes jardins de l'Albarède, publient un nouveau guide pratique aux éditions Terre Vivante. Dans la très accessible collection "Facile et Bio", voilà de quoi à combler les plus inquiets des apprentis jardiniers bien ennuyés avec leurs plantes en pot.