Marcel Proust et Louis de Robert, une amitié littéraire
Les éditions L’Éveilleur, du groupe Le Festin, viennent de publier sous le titre Comment débuta Marcel Proust la correspondance de celui-ci avec Louis de Robert, un écrivain dont la fidèle amitié lui apporta un soutien décisif pour la parution et la reconnaissance des premiers volumes d’À la recherche du temps perdu.
À travers une sensible métaphore sur la figure culturelle du rossignol et de son chant, un propos explicatif de Louis de Robert reproduit dans l’ouvrage énonce : "[…] L’unique chose qui donnerait du prix à sa frêle existence, la conscience de ce qu’il est pour nous lui est refusée. Ainsi Proust ignora longtemps la mission qu’il avait reçue et qu’un jour, du consentement unanime, il serait le maître de sa génération." Proust missionnaire ? En tout cas, l’ironie de l’histoire des temps modernes et post-modernes veut que de plus, le rayonnement et la maîtrise de l’écrivain ne se soient guères démenties parmi le public et les générations lettrées suivantes.
À la suite d’une préface où Jérôme Bastianelli brosse en historien de la littérature les circonstances par lesquelles se noua l’amitié des deux écrivains, Louis de Robert évoque à sa manière leur coopération au service de La Recherche. En 1896, alors qu’ils se croisaient depuis longtemps sans se connaître dans un quartier du XVIIe arrondissement, ils sont présentés par un ami commun un jour de promenade. Louis de Robert, secrétaire de Pierre Loti, venait de recevoir un exemplaire de Les Plaisirs et les jours qui avait suscité son admiration. L’affaire Dreyfus, dont Proust et lui sont partisans du militaire condamné à tort, allait encore les rapprocher. En 1900, de Robert qui a publié trois romans est atteint d’une grave maladie pulmonaire et se retire à Cambo. En 1911, il publie Le Roman du malade, qui obtient le prix Fémina et incite Proust à renouer avec lui par un échange de correspondance. Il est en quête d’un éditeur, et L. de Robert va le conseiller, l’orientant, l’encourageant, effectuant pour lui des corrections d’épreuves, jusqu’à ce que, d’intrigues littéraires en vaines tentatives, les Éditions Bernard Grasset publient en 1913 Du côté de chez Swann, un gros volume édité à compte d’auteur qui reparaîtra quelques années plus tard sous le label de la NRF. Comment débuta Marcel Proust est donc constitué de lettres de Proust et de quelques lettres de Louis de Robert. Complété par "Souvenirs et confidences" et "Réflexions sur Marcel Proust", il a fait l’objet d’une première édition par L. de Robert en 1926, suivie par De Proust à Loti, paru chez Flammarion en 1928. De Robert continuera à publier jusqu’à sa disparition en 1937 des romans aujourd’hui oubliés. Cependant, cette correspondance révèle de sa part et un grand sens de l’amitié désintéressée et un bien précieux discernement quant à la valeur du travail de création littéraire de son ami dont il sut apprécier le génie.
"Leurs lettres indiquent en creux la socialité d’une époque, les spécificités de ses moeurs littéraires et mondaines, de ses convenances, [...]"
Il s’y révèle encore les affres de Proust reclu dans sa chambre close, entièrement voué à son art, sachant tirer parti des conseils bienveillants de son rare lecteur et, aussi, lui tenant tête avec une grande délicatesse et non moins de détermination avisée. Proust comme de Robert se trouvant en relation avec bon nombre d’écrivains dont le nom est passé à la postérité — Edmond Rostand, Colette, Loti, Anatole France… —, leurs lettres indiquent en creux la socialité d’une époque, les spécificités de ses moeurs littéraires et mondaines, de ses convenances, de tout ce qui, passé au filtre poétique et aux analyses sans concession de La Recherche, nous a laissé entre autres une approche capitale des concepts de temps, de temporalité et d’historicité.
Comment débuta Marcel Proust
Collection Point de fuite
L’Éveilleur, Groupe Le Festin
150 pages, 10,5 x 16,5 cm
Juin 2018
ISBN : 979-10-96011-25-4