Médiatrice et médiateur au cinéma : des passeurs à multiples facettes
De la fidélisation des publics dans les salles classées Art et essai à l’éducation à l’image, le jeune métier de médiateur au cinéma recouvre de nombreuses activités. La Nouvelle-Aquitaine est la région la plus dotée en France par le nombre de médiatrices et médiateurs en poste.
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Plus récente et moins développée que dans le spectacle vivant, la médiation au cinéma se professionnalise. Diplômes universitaires et surtout formations continues, postes dédiés dans les cinémas et réseaux de salles, opérations nationales proposées entre autres par le CNC1, programmes régionaux et initiatives de chaque cinéma… L’époque des ciné-clubs de passionnés n’est pas révolue, mais elle s’est considérablement enrichie. Une volonté politique encadre le développement de ce métier : le soutien aux exploitants de salles de cinéma Art et essai en milieu urbain et rural. La médiation est définie comme l’un des outils de conquête ou reconquête des publics, jeunes et adultes. Avec la télévision, le développement des multiplexes où vont majoritairement les 15-25 ans, Internet, les plateformes en ligne, le phénomène des séries, la crise du Covid ou encore les problèmes de mobilité, si l’on cumule les empêchements et les nouveaux moyens de diffusion, la menace est simplement une désertion progressive des cinémas en question. En 2023, confirmant une remontée post-Covid, le CNC a comptabilisé 181 millions d’entrées en France tous cinémas confondus (contre 213 millions en 2019). Les 1 282 salles classées Art et essai représentent 63% du parc national et 45% du nombre d’écrans, avec une implantation majoritaire dans des villes de moins de moins de 20 000 habitants et une majorité de mono-écrans. Leur fréquentation s’établit à environ 36% du nombre total d’entrées contre 64% dans les multiplexes implantés en zone urbaine2. De la communication à l’analyse filmique en passant par l’éducation à l’image et l’évènementiel, la mission du médiateur est par nature diversifiée afin d’attirer le public dans les cinémas de proximité.
Une forme de médiation culturelle
Après avoir consulté l’AFCAE3, le CNC a proposé en 2017 un cofinancement qui a permis la création des premiers emplois de médiateurs au cinéma. Trois régions se sont portées candidates, les Hauts-de-France, Auvergne-Rhônes-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine qui, avec trente CDI créés en deux temps, est la première en nombre de postes. Comme le confirme Stéphanie Vigier, déléguée générale du réseau CINA4 qui regroupe 170 salles dans la région dont 80% en milieu rural : "L’idée première était d’attirer les jeunes publics mais maintenant, cela concerne tous les publics. Les différents dispositifs de médiation existants, avec des salles ayant leur identité dans des contextes différents, ont d’abord pour but de fidéliser le public."
La médiation au cinéma est une forme de médiation culturelle qui elle-même peut être définie comme un espace de relation entre le public, les citoyens, et des expressions artistiques. Très influencée par les théories venues du Québec dans les années 2010, la médiation appliquée au cinéma comprend la familiarisation à la salle et au cinéma par la connaissance, l’éducation à l’image pour décrypter un langage très présent dans la société, le développement du sens critique, l’accès facilité pour différentes parties de la population avec une vocation sociale, mais aussi une attention portée à la diversité culturelle des publics, une incitation à leur expression et leur participation. Le médiateur doit également soutenir le lien social et la vie d’un quartier ou d’un territoire via l’espace de la salle. Il est ainsi envisagé comme un passeur à multiples facettes.
"Nous devons convaincre que cela vaut le coup de faire 10 ou 20 kilomètres en voiture, un soir d’hiver, pour venir voir un film."
Après des études en médiation culturelle, en gestion du patrimoine audiovisuel et plusieurs emplois dans des festivals et réseaux de salles, Noémie Bourdiol est médiatrice au Cinéma Jean Eustache et au Festival international du film d’histoire de Pessac (33). Elle s’occupe des jeunes publics, lycéens, apprentis et étudiants. Une médiatrice doit selon elle "avoir une bonne connaissance du cinéma, de la curiosité et aussi de l’inventivité pour faire autre chose que de la médiation descendante, où on ne fait qu’expliquer. Il faut susciter l’intérêt et la participation, être à l’écoute. Nous avons par exemple des jeunes ambassadeurs qui vont choisir un film et faire venir leurs spectateurs. D’autres groupes organisent des débats de société à partir d’une projection durant lesquels nous essayons toujours de parler de cinéma. En venant dans la salle, les jeunes se rendent compte qu’il y a un café avec wifi et des espaces de travail : ils peuvent se l’approprier." Myriam Zemour est elle médiatrice pour un réseau de neuf cinémas indépendants en Lot-et-Garonne, Écrans 47. Sa situation est tout à fait différente : "Je fais surtout de la médiation avec les salles pour qu’elles-mêmes s’en occupe avec le public. Je propose des programmes, des rencontres avec des réalisateurs, des projections spéciales grâce aux réseaux nationaux, je facilite les choses pour ces salles en milieu rural qui comptent souvent plus de bénévoles que de professionnels. Pour moi, la communication fait partie de la médiation, elle est essentielle pour que le cinéma soit un lieu vivant, avec des animations. Nous devons, par exemple, convaincre que cela vaut le coup de faire 10 ou 20 kilomètres en voiture un soir d’hiver pour venir voir un film."
Éduquer, développer un goût pour le cinéma
Certaines organisations proposent une médiation au cinéma et à l’image par la pratique. C’est le cas de l’association d’Asques et d’ailleurs (Asques, 33) qui compte parmi ses multiples activités la réalisation collective de films et des ateliers éducatifs. Pierre Lebret, réalisateur et chargé de mission médiation au sein de la structure, assure que "lorsque l’on doit tourner un plan à douze personnes, que l’on écrit un film, on active une médiation, on discute et on décide ensemble, techniciens et participants. Cela créé aussi du lien dans un groupe. De même dans les ateliers avec des jeunes quand nous demandons à deux groupes, à partir des mêmes images sur un sujet, de monter une version positive et une négative. Ils comprennent la fabrication de l’image et ce que l’on peut en faire. Ils deviennent moins naïfs sans qu’on les sermonne."
En Nouvelle-Aquitaine, l’association nationale Unis-Cité et son programme "Cinéma & Citoyenneté" organise avec un réseau de Services civiques des projections-débats dans les lycées, "de pair à pair, entre jeunes". Comme le dit sa coordinatrice girondine Anne-Louise Noël : "On se rend compte que cela passe mieux pour aborder certains sujets sensibles, plus qu’avec des adultes."
L’ACPG5, comme d’autres structures territoriales, relaie de son côté les opérations nationales à destination des jeunes, de la maternelle à l’université mais aussi avec les Missions locales. Ainsi les opérations "Minokino" (tous petits), "Collège au cinéma" (travail avec les enseignants pour développer la culture cinématographique avec des dossiers pédagogiques fournis), "Toiles citoyennes" (projections-débats en lien avec un sujet de société), "CaMéo label jeune cinéma" (films d’auteurs pour les lycéens, apprentis et étudiants avec des jeunes ambassadeurs). L’ACPG propose également pour tous les publics des rencontres avec un membre de l’équipe d’un film ou encore des ciné-débats "Clin d’œil", avec un intervenant spécialiste d’un sujet. Montrer autre chose que les blockbusters, développer la connaissance du cinéma, familiariser les jeunes avec la salle, éduquer au langage du cinéma sont les principaux objectifs de ces programmes.
Personnaliser un lieu de vie
La médiation dans une salle de cinéma, avec toute l’équipe, consiste peut-être à partager un esprit, faire de la salle un lieu d’évènements et de rencontres conviviales. Les multiplexes ont une large programmation, une qualité technique, les derniers films sortis, une accessibilité facile en voiture, des parkings, des friandises et boissons : que proposent les salles Art et essai ? Des films d’Art et essai qui ne sortiront pas ailleurs, des films tous publics également, une qualité technique, des salles dont le confort s’est beaucoup amélioré, des boissons et produits locaux, mais encore ? Aurelian Michon, directeur du nouveau cinéma La Lanterne à Bègles (33), qui a fêté sa première année d’existence et dépassé ses objectifs de fréquentation, parie sur une personnalisation forte de la salle. Le cinéma compte 3 salariés, 400 adhérents et 50 bénévoles actifs. La Lanterne utilise tous les dispositifs existants à destination des jeunes mais aussi des séances à la carte avec des enseignants, des avant-premières surprises6, des collaborations avec des Epahd, des Missions locales ou des CCAS, des rencontres avec des cinéastes, des projections-débats, des quizz, des présentations par les bénévoles… Comme beaucoup d’autres salles Art et essai. "Nous faisons tout ce qu’il est possible et nous utilisons tous les réseaux. Il est très important de collaborer avec les associations locales, les commerces et les habitants du quartier. Nous allons développer le café pour que le cinéma soit encore plus un lieu de vie. Nous souhaitons créer un festival. Ce qui marche le mieux, c’est la rencontre et le partage avec des réalisateurs, des comédiens, des intervenants, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes. C’est notre rôle de créer du lien social, et c’est ce qui nous différencie." Comme ses confrères, La Lanterne soutient les films qui, pour différentes raisons, en ont le plus besoin. Dans cette logique, la médiation ne concernera pas ceux qui bénéficient déjà d’une promotion massive. Le métier de médiateur au cinéma est ainsi au carrefour de multiples impératifs tant quantitatifs que qualificatifs. Il doit fidéliser des publics, transmettre une perception artistique et esthétique mais aussi un plaisir, une dimension sociale et politique au sens large, la possibilité d’une rencontre et d’une réflexion. Une "fiche métier" très consistante !
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1. Centre national du cinéma et de l’image animée.
2. Chiffres et données CNC 2021 et 2022.
3. Association française des cinémas d’Art et d’essai. La répartition du financement des postes de médiateurs est : 50% Région, 25% CNC, 25% salle de cinéma. Ces emplois sont en général portés par des groupements d’employeurs (partage salarial), l’AGEC&CO en Nouvelle Aquitaine.
4. Cinémas indépendants de Nouvelle Aquitaine.
5. Association des Cinémas de Proximité de Gironde.
6. Opération nationale proposée par l’AFCAE.