Mélange de genres, entre film d’auteur et film d’horreur
La rencontre avec Mikaël Gaudin est la découverte d’un jeune réalisateur avec une certaine idée du cinéma. Sortir de sa zone de confort, surprendre et respecter son public : c’est avec ces trois exigences qu'il a passé deux semaines en résidence au Chalet Mauriac en novembre dernier pour travailler sur un projet de long métrage, Struthio.
Struthio (prononcez "strutio") est le mot savant qui désigne la famille des autruches. Struthio est le titre (de travail) du scénario que le réalisateur Mikaël Gaudin est venu développer au Chalet Mauriac. Un projet de film fantastique, de film de monstre. L’idée lui est venue pendant le premier confinement, que ce Parisien a pu, chanceux, passer à la campagne dans une ferme. Entouré de bêtes (moutons, chèvres) et de personnes concernées par les problématiques écologiques, il a pensé un film fantastique, qui aurait comme point de départ une menace et un lanceur d’alerte. À l’origine, un cauchemar fait par Mikaël, où il se retrouve dans un lieu isolé, attaqué par des animaux à plumes. Le lendemain, réveillé, il imagine les autruches comme personnages et décide d’en faire un film d’horreur.
Le réalisateur a écrit la première partie du film sous la forme d’une enquête. Le personnage principal travaille pour l’ONF (Office National des Forêts). Il constate qu'il se passe quelque chose de louche autour de la nouvelle usine. Il rassemble des preuves, mais plusieurs interlocuteurs ne veulent pas qu’il cherche plus loin, l’usine emploie beaucoup de gens de la région. Une réflexion sur l’ère du soupçon et sur comment l’individuel peut se frotter au collectif est engagée. Le personnage principal protège la nature, il est pacifique et "ne veut pas rentrer dans la domination d’une espèce sur l’autre", selon le cinéaste. Le film va montrer sa transformation et son passage de la non-violence à la violence pure. L’idée de départ est la question de l’animalité, de l’instinct primaire qui ressort à la faveur d’un événement. Cet événement, qui fait basculer le film dans sa deuxième partie, c’est l’attaque brutale d’une autruche devenue monstrueuse et tueuse.
En toile de fond du film, ces interrogations : que faire face à la violence, comment le personnage sort de lui-même et devient violent ? Mikaël Gaudin veut jouer sur "la confrontation entre l’animal, le monstre et ce que cette confrontation dit sur notre humanité et comment le monstre n’est pas forcément celui qu’on pense". L'une des références du réalisateur, d’ailleurs, est Elephant Man, avec ce que le film dit sur les rapports humains, sur la pitié, sur la question du corps déformé et la violence faite à un corps par la nature.
Comme lieu de tournage, idéalement, ce sera dans la région landaise. Pour Mikaël, la forêt landaise est très cinégénique et pas souvent filmée : "J’y vois quelque chose du film d’horreur avec une puissance fantastique intéressante. Une forêt plantée, industrielle, très alignée, avec les pins, ces grands arbres fins, très droits. Cette impression à perte de vue où les choses se ressemblent en apparence et sont un peu cauchemardesques. Un lieu contrôlé qui peut être un peu claustrophobe et inquiétant."
"Il imagine des effets spéciaux numériques bien sûr avec pour références : The Host (de Bong Joon Ho), Life of Pi (d’Ang Lee) ou White God (réalisé par Kornél Mundruczó)."
Le choix des autruches ? Ce sont des animaux qui semblent peureux mais, selon certaines théories, si les autruches mettent leur tête dans le sable à l’approche du danger, c’est plutôt pour se dissimuler de l’ennemi. À l'origine, dans le bush australien ou les savanes africaines, en cachant leur tête, le corps se confondait avec la végétation. Ce sont des oiseaux plutôt ingénieux, joueurs avec un certain caractère qui peut les rendre hostiles et peu dociles.
Pour transformer ces animaux en monstres tueurs, Mikaël réfléchit déjà aux effets spéciaux avec lesquels il n’a encore jamais travaillé. Il imagine des effets spéciaux numériques bien sûr avec pour références : The Host (de Bong Joon Ho), Life of Pi (d’Ang Lee) ou White God (réalisé par Kornél Mundruczó). "Ce sont de beaux exemples de ce que les effets spéciaux peuvent faire. Ils ont un pouvoir poétique et sont très efficaces pour rendre compte d’un trajet animal."
Il y a aussi les effets spéciaux mécaniques pour la fin du film, avec la mort de la dernière autruche : "Il faut quelque chose de très humain, un corps avec des plumes, qui s’agite." Il pense sinon à quelque chose de plus naturel et un travail de dressage d’autruche vivante. Le défi technique, de combiner plusieurs effets (numérique, mécanique et dressage d’animaux) est grand, Mikaël en est conscient et se rassure en se disant qu’en échangeant avec des experts il pourra avancer sur la réflexion. Il tient avant tout à ce que les effets soient spectaculaires, mais crédibles. Et il laissera sa place au hors-champ, capital dans un film d’horreur.
"Le cinéaste sent un intérêt de plus en plus prononcé en France pour les films de genre. Deux de ses inspirations sont Quentin Dupieux, et ses derniers films Mandibules et Le Daim, et Julia Ducournau, avec son premier long métrage Grave (l’histoire d’une jeune fille qui devient cannibale)."
Une difficulté technique inhérente au genre qu’est le fantastique. Un genre pas souvent filmé en France et une raison de plus de se lancer dans le projet. Il existe depuis peu un fonds du CNC spécialisé sur les films de genre. L’arrivée des plateformes de streaming (Netflix et autres) change aussi la donne avec des financements de films plus originaux que dans le circuit classique.
Le cinéaste sent un intérêt de plus en plus prononcé en France pour les films de genre. Deux de ses inspirations sont Quentin Dupieux, et ses derniers films Mandibules et Le Daim, et Julia Ducournau, avec son premier long métrage Grave (l’histoire d’une jeune fille qui devient cannibale). "Un film qui me surprend et me plait, avec son énergie et son courage. C’est fort pour un réalisateur, encore plus pour un premier film. C’est inspirant."
La question du premier film se pose là. Mikaël Gaudin a réalisé plusieurs courts métrages primés et s’attaque avec Struthio à l’écriture d’un long métrage. Il a beaucoup travaillé comme assistant réalisateur, ce qui est un atout, considère-t-il : "J’ai pu observer les réalisateurs à l'œuvre1 : comment diriger les acteurs, résoudre les problèmes techniques, gérer un plateau. J’ai eu la chance de rentrer assez tôt dans ma carrière dans le circuit des films d’auteurs pas trop confidentiels donc avec un peu de moyens !"
Arrivé au Chalet Mauriac avec un synopsis de trois pages, le cinéaste s’était fixé d’écrire le traitement. Il a écrit douze pages et a commencé à réfléchir aux dialogues. "Les premiers jours il faut découvrir et apprivoiser le lieu. C’est très différent ici, il n’y a aucune distraction. Le chalet est un endroit propice à la méditation. Le cadre, la nature favorisent la réflexion. Mon film est un projet décalé, hors de ma zone de confort donc ces moments hors du temps sont précieux."
Ce temps de gestation nécessaire pour apprivoiser, développer et prendre confiance en son projet a permis au réalisateur "de ne pas se précipiter, de prendre le temps de penser la dramaturgie" : "Je vais voir si le film tient, s’il ne penche pas vers le nanar. Je veux aussi voir si mon idée sur l’humanité, sur la révélation des pulsions à la faveur d’un événement fantastique tient ou non." Une idée de scénario qui résonne particulièrement en cette année si bouleversée.
1Mikaël Gaudin a travaillé avec Olivier Assayas, Jacques Audiard, Pierre Salvadori, Rebecca Zlotowski, Volker Schlöndorff, Bertrand Tavernier, Michel Gondry, entre autres.