Patrick Erwin Michel : une île, deux pays
Lauréat 2023 de la bourse d’écriture francophone Afriques-Haïti d'ALCA et de l’Institut des Afriques, Patrick Erwin Michel a été accueilli en résidence d’écriture deux mois en Nouvelle-Aquitaine, à la Villa Valmont de Lormont d’abord, puis à La Maison des écritures - Centre Intermondes de La Rochelle.
Notre entretien a lieu le lendemain de son arrivée en région parisienne, à la fin de cette résidence au sujet de laquelle l’écrivain haïtien de 28 ans ne tarit pas d’éloges. Il dit garder un souvenir formidable de l’accompagnement reçu par les équipes de l’IDAF et d'ALCA, ainsi que de la soirée organisée à la médiathèque de Lormont au cours de laquelle des élèves du cours Florent ont déclamé ses poèmes, dans une belle mise en scène réalisée par leur professeure.
Ses poèmes, réunis dans un recueil intitulé Vers-bouillage d’un rêveur isolé, dont il confie qu’il a été inspiré par la spirale de son illustre compatriote Frankétienne, ont été publiés à Port-au-Prince par les Éditions Floraison en 2021.
Port-au-Prince, dont le jeune auteur parle directement, pour dire justement combien il est difficile de l'évoquer en ce moment, depuis l’étranger, entre la violence qui a tout envahi et le fossé qui sépare la vie dans la capitale de celle vécue dans la campagne haïtienne, aux allures de carte postale des caraïbes.
Fragments autobiographiques
Lui est né et a grandi dans la banlieue de Fontamara, quartier autrefois tranquille mais désormais assiégé par des gangs armés. Fils unique, il décrit une vie solitaire, choyé par des parents d’origine modeste qui parlent uniquement le créole et nourrissent pour lui une ambition d’ascension sociale. Patrick Erwin Michel entre dans la langue française dès le jardin d’enfants et fera toute sa scolarité dans des établissements où la langue du père et de la mère, le créole haïtien, sont proscrits.
La lecture arrive par les études bibliques de la mère, chrétienne pratiquante, et se poursuit dans les livres que le petit garçon, souvent premier de sa classe, gagne à l’école en guise de prix d’excellence. C’est à l’adolescence que se déclare sa passion pour la littérature, passion qu’il a tout loisir de nourrir grâce à la bibliothèque du collège privé qu’il fréquente. Quelques classiques de la littérature haïtienne sont abordés à l’école secondaire, mais ça n’est qu’à l’université qu’il aura accès aux auteurs de la seconde moitié du XXe siècle.
Ses parents le voient avocat, alors il consent à rentrer à la faculté de droit, avant de bifurquer quelques années plus tard vers l’École nationale des arts, puis l’Institut de journalisme. Aujourd’hui, au vu de la situation désastreuse de son petit pays, il se félicite d’avoir abandonné la carrière d’avocat imaginée par les siens : les parquets et tribunaux sont fermés depuis des mois et les avocats n’arrivent plus à travailler.
À l’École nationale des arts, qu’il a intégrée pour faire du théâtre, il rencontre d’autres "fous comme lui" qui l’initient au slam. Ses nouveaux amis poètes et musiciens l’accueillent dans un groupe, "Mot pour mot", véritable ouvroir de littérature écrite, parlée et chantée. C’est là aussi qu’il découvre la tradition du vaudou, qui lui était jusqu’alors étrangère en raison de son éducation exclusivement chrétienne.
Les troubles politiques dans le pays, qui forcent l’école à fermer ses portes durant trois ans, le poussent à explorer d’autres possibilités d’expression. L’écriture journalistique d’une part, avec quelques collaborations à des revues en ligne, et l’écriture filmique d’autre part. C’est ainsi qu’il remporte pour son premier court métrage, Simbi, la Sentinelle des eaux haïtiennes, le prix du jury du concours organisé par l’association Planète Jeunes Reporters et France Monde-France Océans en 2022.
La poésie a toujours été là et, lorsqu’il termine l’écriture de son recueil, la publication devient un parcours du combattant, pour lui qui dit ne pas être introduit dans les cercles très fermés du monde littéraire haïtien. L’existence concrète de ce livre sera aussi pour lui le sésame vers la candidature à la résidence d’écriture en France, dans la mesure où la publication d’un ouvrage à compte d’éditeur est la condition sine qua non pour être éligible.
Hispaniola
Il porte en effet un projet de roman, projet qui est né à la fois d’un voyage, mais aussi de la lecture, au fil des ans, des romans de ses aînés tels Gary Victor, Louis Philippe Dalembert, Dany Lafferière, et son préféré, Lyonel Trouillot. Pourquoi pas lui désormais ?
Le voyage, il l’a réalisé en 2021 en République Dominicaine, seule voisine directe d’Haïti, au terme d’une démarche de six mois pour obtenir un (très cher) visa touristique. Le roman que Patrick Erwin Michel est venu écrire en résidence a pour ambition d’aborder la relation difficile qu’entretiennent ces deux petits pays de la Caraïbe, qui se partagent la même île autrefois appelée Hispaniola.
C’est une relation qui semble être née dans la violence, dès la déclaration d’indépendance de la première république noire qu’est Haïti. En 1822, les généraux haïtiens avaient installé leurs troupes militaires sur la partie est de l’île pour se protéger contre le retour éventuel des colons esclavagistes. Pour les dominicains, il s’agit d’une occupation dont ils se sont libérés en 1844.
Les relations entre les deux pays ont depuis été régulièrement émaillées de tensions. En 1937, ce sont plus de 35 000 haïtiens qui ont été massacrés par le gouvernement de Trujillo. Patrick Erwin nous raconte ainsi que pour distinguer les immigrés des autochtones, il était alors demandé aux gens de dire "perejil ", persil en espagnol, et que les francophones qui ne maîtrisaient pas la prononciation du "r" et du "j" étaient ainsi condamnés à mort.
Plus près de nous, il y a dix ans, le Tribunal constitutionnel dominicain a privé de nationalité dominicaine les descendants des migrants haïtiens nés depuis 1929. Des milliers de personnes ont été expulsées et sont devenues apatrides, n’ayant pour la plupart plus aucun lien avec la terre de leurs aïeux. L’année dernière, les autorités dominicaines ont également lancé la construction d’un mur le long de la frontière entre les deux pays pour, d’après elles, "contrôler l'immigration clandestine et les trafics".
Rencontres
Et pourtant. Lors de son séjour dans ce pays, Patrick Erwin Michel dit avoir pu découvrir une autre image des voisins, rencontrer des personnes chaleureuses et accueillantes dans la deuxième ville du pays, Santiago de los Caballeros. Des rencontres qui ont changé sa vision de la République dominicaine. C’est de là qu’est née l’inspiration pour son projet de roman. L’envie d’explorer les questions d’identité, de migration et du rapport entre l’individuel et le collectif à travers ce qui se joue aujourd’hui sur cette île que la France considérait naguère comme "la perle des Antilles".
Comment ses deux personnages principaux, Patrice l’haïtien et Eva la dominicaine, en apprenant à voir le monde à travers les yeux de l’autre, étrangers si proches, parviendront-ils à surmonter plus de deux siècles d’antagonismes ? Dans cette ville de Santiago, aussi appelée "Ciudad Corazón", c’est en sondant leurs cœurs que les deux êtres imaginés par le poète haïtien pourront écrire une histoire débarrassée des préjugés.
Arrivé avec quelques feuillets déjà rédigés, Patrick Erwin Michel nous dit avoir pu écrire durant sa résidence le quart du roman envisagé. Il espère mettre les trois mois qui le séparent de la rentrée universitaire pour terminer l’ouvrage qui a pour titre provisoire Le meilleur est de l’autre côté. Voilà un titre fort à propos, porteur de bien des promesses pour une belle carrière qui commence.
Photo : Fondation Jan Michalski © Wiktoria Bosc