Serial Rieuse au Chalet Mauriac
Claudine Aubrun, auteur de polar jeunesse – mais pas seulement – était au salon du Polar de Saint-Symphorien Du Sang sur la page en ce mois de juin 2015 pour y rencontrer ses lecteurs. En 2013, elle était en résidence de création au Chalet Mauriac. Elle y a terminé l’écriture d’un roman pour adolescents – Dossier Océan – et y a démarré un autre projet, Pas de pitié pour les Pattes Noires !, deux polars aux ambiances bien différentes qui reflètent la dextérité de l’auteur et sa capacité à investir autant le drame que l’humour. Les deux ouvrages ont parus tous deux aux éditions du Rouergue et depuis, d’autres projets sont nés.
Dossier Océan, roman paru dans la collection DoAdo, aux éditions du Rouergue est fortement imprégné de l’ambiance particulière de la forêt des Landes. Sombre et silencieux, parsemé de couleurs déposées en touches subtiles, ce polar met en scène une adolescente, Brune, qui a choisi de ne plus parler depuis le décès de sa mère. Recueillie pas son oncle et sa tante, elle vit avec eux au bord de l’océan, dans un village de la côté landaise. Alors qu’elle est, comme chaque jour, sur la plage pour dessiner les vagues et le ciel, le corps d’une femme est retrouvé dans les dunes. Brune sans le savoir a été témoin de l’homicide et se retrouve la cible de l’assassin.
Au delà d’une enquête, Claudine Aubrun interroge la violence du silence de l’adolescente qu’elle met en parallèle avec la puissance des éléments. Dans cet univers balnéaire où les touristes viennent joyeusement écouler leurs jours de congés payés, Brune est aux prises avec ses tourments intérieurs. Le contraste établit entre son silence et ce paysage d’insouciance estivale creuse son isolement. Brune dessine, s’obstine à coucher sur le papier les couleurs et le mouvement des vagues mais elle ne pense qu’à partir.
Au milieu de personnages réduits au silence, taiseux ou effacés, le paysage prend une place importante, il joue son rôle, mystérieux, anxiogène, parfois protecteur : la lumière du bord de mer côtoie les sous-bois mystérieux et inquiétants. Claudine Aubrun a choisi ce décor des Landes parce qu’elle connaît cette région et qu’elle aime situer ses romans dans des lieux qui lui sont familiers : la maison de l’oncle et la tante de Brune est une maison qui existe et qu’elle a transposé dans le roman, l’intrigue de départ est tirée d’une histoire vraie et s’est déroulée dans le village où Brune a atterri : "la portée d’un crime marque un lieu si on connaît ce lieu" et la fiction sert à mettre la distance nécessaire.
Claudine Aubrun vit à Paris mais se rend très souvent en Ariège et de plus en plus en région Midi-Pyrénées. Les rencontres que lui permettent le livre et les ateliers d’écriture créent un lien avec les lecteurs, avec les acteurs du livre et répondent à ce qu’elle cherche : être en contact avec des gens, loin des mondanités parisiennes. Les lecteurs qu’elle a rencontré autour de Dossier Océan, collégiens et lycéens, interrogent la personnalité de Brune, comprennent la violence de son silence, s’identifie, aiment la mécanique de l’histoire et sont touchés par les paysages et la force qui s’en dégage. Ils réclament une suite et questionnent ce que sera l’avenir de Brune.
Dossier Océan a été récompensé par le Prix du Meilleur Roman Jeunesse du Festival de Polar 2014.
Dans un tout autre registre, et toujours lors de sa résidence d’écriture, Claudine Aubrun a démarré un roman jeunesse, Pas de pitié pour les Pattes Noires, paru en 2014 aux éditions du Rouergue dans la collection Zig Zag. "Une résidence est parfaite pour démarrer un projet et s’y consacrer." Ce roman "première lecture" met en scène un groupe de rock composé de deux pintades et d’un canard. Talentueux, le groupe quitte la ferme pour se produire dans un cabaret tenu par Spar, un impressario diabolique. Leur succès attise la jalousie des autres artistes, à tel point que le canard est empoisonné. Les deux pintades entreprennent leur enquête pour trouver le coupable.
Ce polar jeunesse rock and roll montre une autre facette de Claudine Aubrun. Malgré le drame de l’empoisonnement du canard, la tonalité de l’histoire reste sur le registre de l’humour déjanté. Les animaux sont très souvent des personnages qu’elle met en scène, cela permet de mettre à distance certains propos, de dédramatiser des situations, surtout dans un polar jeunesse : remplacer les humains par les animaux de la ferme donnerait une toute autre ambiance, beaucoup plus violente et surtout moins drôle.
Pas de pitié pour les Pattes Noires ! est le premier opus d’une trilogie. Sale temps pour les Pattes Noires sortira dans les mois qui viennent et cette fois, le groupe affronte un rude hiver. Après le succès, la galère !
Mais parfois, les animaux n’ont pas le beau rôle. Dans la série Monsieur Stan parue aux éditions Syros (deux volumes), Claudine Aubrun aborde le thème de la préférence. Cette fois, c’est un duo composé d’un petit garçon, Antoine, et de son chien qui est au cœur de l’histoire. Antoine, fils unique subit la tyrannie du chien de la maison – Stan -, à qui les parents accordent plus d’importance que leur propre fils.
L’humour que Claudine Aubrun y injecte perce avec tact certaines réalités. Monsieur Stan est né d’une expérience vécue, un Noël désastreux en famille. Les deux personnages naissent très rapidement sous sa plume mais les faire évoluer est plus complexe. L’écriture des deux albums a nécessité un énorme travail sur le rapport texte image : le texte est parfois illustré, parfois monté en pages de bande dessinée intégrées dans le fil de lecture. Le travail d’illustration réalisé par Delphine Perret apporte une poésie au propos parfois cruel et renforce l’impact humoristique. Le résultat est épatant, efficace et parfois déstabilisant : la "maltraitance" de Stan subie par Antoine est traitée sur un ton décalé et absurde, l’humour opère permettant au lecteur de mettre à distance l’injustice dont il est témoin.
La vie de Monsieur Stan est certainement en train de prendre un autre tournant : une adaptation audiovisuelle est en court de préparation. Espérons que le Chalet Mauriac verra revenir Claudine Aubrun en résidence pour l’écriture du scénario de ce dessin animé, qui comme ses romans, traversera les lecteurs et les âges parce qu’ils s’adressent à tous.