Suivre son fil d’Ariane... dans la forêt des Landes
Mathilde Bayle, scénariste et réalisatrice, a achevé en août la seconde partie de sa résidence au chalet Mauriac à Saint-Symphorien. Déjà venue, du 3 au 14 mars dernier, elle poursuit l’écriture de son premier long-métrage. Donatien Garnier, journaliste, reporter et poète, a quant à lui découvert les lieux, lors d'une première session qui sera suivie d’une seconde, du 5 au 17 octobre. Il vient écrire, pour son projet "l’arbre intégral", le poème numérique qui sera publié sur le Web. Ils sont arrivés la veille de l’entretien, ont parlé de leurs projets et de ce temps de résidence.
La première question est attendue mais pourquoi le chalet Mauriac ?
Mathilde Bayle : En 2013, je venais de faire Le maillot de bains, un court-métrage financé par le département des Landes et, après sa projection au cinéma Jean-Eustache de Pessac, j’ai rencontré l’équipe d’Écla qui m’a parlée des résidences pour les jeunes réalisateurs, au chalet Mauriac. Depuis 2008, je voulais finir un projet de long-métrage commencé à la Fémis, mais j’avais besoin pour m’y remettre d’être soutenue et encouragée. Au final, m’isoler pour travailler et être laissée très libre m’a permis d’avancer beaucoup plus vite que je ne pensais.
Donatien Garnier : Je venais de quitter le collectif Argos dont j’étais membre depuis 2003. Jusqu’à présent j’avais toujours géré mes projets de poésie dans les interstices de mes travaux documentaires ; avec "l’arbre intégral", pour la première fois, il me fallait beaucoup de temps. Et la BNSA1 m’a aiguillé vers ce lieu qui s’ouvrait aux littératures numériques.
M.B. : En arrivant, j’ai été un peu intimidée par la maison et je me suis demandée si j’allais réussir à travailler. Je me suis installée et au bout d’une heure, j’étais en train d’écrire. Ça m’a rassurée.
D.G. : J’avais déjà bien avancé sur la forme, la partie numérique ; il restait à entrer dans la partie littéraire, le poème. Pour ça, j’avais besoin de temps – un mois et demi c’est un luxe incroyable – d’un accès Internet et d’une immersion dans la forêt puisque l’objet de mon travail concerne l’arbre et le réseau.
Tout comme Mathilde, je travaille sur ce projet depuis six ans. Une première étape a été présentée en 2011 (un calligramme conçu avec le graphiste Nicolas Pruvost). C’est la dernière phase et l’enjeu majeur c’est l’écriture – la langue que je veux utiliser –. Et pour ça, j’ai besoin de me replonger dans toute la documentation accumulée...
À l’origine du projet, je voulais rendre compte de l’arbre dans toutes ses dimensions : physiques (des racines au houppier) ; biologiques (son ontogenèse, sa phylogénétique, ses saisons...). J’ai dû aussi intégrer ses dimensions anthropologiques : symbolique, politique, mythologique, cosmique... Dimensions qui ont fait évoluer ma réflexion qui est allée de l’arborescence au rhizome... puis de l’arbre végétal au réseau numérique.
En parallèle de cette réflexion, comme mon travail explore la question du livre et de sa forme, je trouvais que le codex - qui est encore l’objet dominant - n’était peut-être pas le plus adapté à l’édition de ce poème. J’ai donc cherché sous quelle forme il pourrait s’inscrire et l’arborescence d’un site Web m’a semblé être le plus approprié.
Au début, j’ai eu la tentation d’écrire un poème sans fin, qui serait allé dans la logique de l’expansion des réseaux. Mais parce que je voulais rester dans la logique du "volume" et que le Web est un contenant avec des limites, j’ai choisi l’option d’un poème fini, constitué de fragments autonomes, d’unités, qui vont constituer l’arbre et ses évolutions. Chaque internaute fera son propre parcours, mais les enchaînements ne seront ni laissés au hasard ni aléatoires et le passage d’un poème à l’autre se fera par des liens hypertextes.
M.B. : Écrire un long-métrage de fiction nécessite aussi de se documenter parce qu’on doit tout créer : les images, les gestes, les manières de réagir. On va aussi chercher les matériaux en soi, on travaille avec notre histoire, nos tripes ; on se met à nu. Et pendant le temps de l’écriture, on se débat avec une architecture pour construire un objet qui fonctionne. Des règles précises doivent être observées ; on ne peut pas, comme pour un roman, écrire des pages de monologue intérieur. Un long-métrage, c’est une horlogerie très complexe : si il y a une erreur page 12, elle se paye page 52. On croit qu’on a écrit un film et dès qu’on le fait lire, on se rend compte qu’il manque des raccords essentiels, ce qu’on pensait crédible ne l’est pas... Il faut donc se soumettre à la lecture et à la critique des autres. C’est comme ça qu’on avance, même si c’est douloureux.
Une fois, j’ai sollicité un psychanalyste et sa réponse m’a recentrée sur ce qu’est une œuvre de fiction. Ce ne sont pas des créateurs, ce sont des garants du cadre. Dans le cinéma et la fiction surtout, nous on est là pour développer ce qui peut-être n’arrive pas dans la vie ou pour aller explorer des zones d’ombres.
Pourquoi avez-vous chacun décidé de travailler sur ces deux projets-là ? On peut supposer que vous en aviez d’autres en réserve ?
D.G. : Avec ce projet, je continue d’explorer cette idée que le rapport à l’écrit, c’est de la poésie. Quand, avec le projet Recueil d’écueils, j’ai dû faire mon premier objet en volume, ça a tout changé. Ça m’a aussi fait entrer dans la réflexion sur la forme du livre et ça a aussi amorcé ma rencontre avec la poésie contemporaine...
Mais en fait, comme le temps de réalisation est l’un des constituants convergents du livre, je mène plusieurs projets en même temps. Je suis en train d’achever le « Bibliomane », un projet commencé en 1998, et je prépare la sortie de mon livre rouleau fluxus, qui associe danse contemporaine et documentaire.
M. B. : Ce projet je le reprends parce que c’est celui qui me tient le plus à cœur et c’est aussi celui qui a bénéficié le plus d’aides donc je le sens plus porteur pour une catégorie "1er film". Et tant que je n’aurais pas terminé celui-là, je ne pourrais pas en envisager un autre.
Et là, j’ai l’impression d’avoir pu prendre de la hauteur, de voir mes personnages d’un œil extérieur. Mon début d’histoire est longtemps resté un postulat ; la question de la fin était un vrai cauchemar. Là, je vois enfin la sortie et j’aimerais partir du chalet avec vingt pages à présenter à mon producteur et imaginer la phase suivante, la préparation du film... Ce n’est pas encore fini - et j’ai encore 15 jours devant moi - mais j’avance déjà bien.
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(Photo : Centre international de poésie Marseille)