Thomas Gosselin : une résidence inachevée
Dans les premiers soleils de printemps sur le parc du Chalet Mauriac, où il a été en résidence d’écriture pour deux mois, Thomas Gosselin s’excuse d’emblée d’être peu à l’aise avec l’exercice de l’entretien. Pourtant, à mesure que les échanges s’installent, l’auteur d’une bande dessinée exigeante et inventive (Sept milliards de chasseurs-cueilleurs chez Atrabile ou L’humanité moins un aux éditions de l’an 2) offre très vite à voir, dans ses hésitations, mais aussi ses certitudes et un ensemble de références exigeantes, un univers d’une très belle cohérence.
Comment se construit l’envie de séjourner en résidence d’écriture ?
Thomas Gosselin : J’aime changer de cadre, changer d’environnement pour travailler. L’enjeu n’est pas alors de trouver une inspiration dans un nouveau paysage – mon écriture et mon dessin ne s’alimentent pas directement d’un regard sur le réel –, mais plutôt de bousculer les habitudes. Et puis il y aussi les rencontres avec les autres artistes présents, notamment d’autres domaines de création. J’ai ainsi séjourné il y a peu dans une résidence en région Pas-de-Calais pendant quatre mois. Le dispositif était très différent de celui du Chalet Mauriac, car j’y ai fait énormément de rencontres avec le public, notamment en milieu scolaire ou en maisons d’arrêt. Je n’avais donc pas autant de temps libre qu’ici pour avancer sur mon écriture, mais le fait de partager toutes ces rencontres avec d’autres artistes (scénariste, plasticien, danseuse, etc.) m’a permis d’entendre et comprendre beaucoup de leurs pratiques artistiques. Ces échanges, comme ici au chalet avec les autres résidents, nourrissent énormément, donnent des idées et permettent de se pencher sur son propre travail avec un autre regard.
De quelle nature est le projet sur lequel tu travailles actuellement ?
T.G. : Je travaille avant tout sur un recueil de courtes histoires dessinées. Des histoires volontairement inachevées. Ce projet est né en songeant à toutes ces idées de récit qui me viennent et pour lesquelles je ne trouverai ni le temps nécessaire ni l’envie suffisante afin de les concrétiser entièrement. Ces idées ont en plus en commun d’être des histoires d’amour, et l’on sait bien que les histoires d’amour ne finissent jamais... J’ai donc eu envie de tenter une sorte d’entreprise d’épuisement de ces idées. C’est quelque chose d’assez présent dans mon écriture, j’aime lancer les choses, en établir une première base avant de les laisser en suspens. L’absurde, même si le mot a quelque chose de fourre-tout, revient souvent dans mes livres. Je travaille toujours sur des univers concrets, réels, mais j’ai besoin d’y introduire une dimension de rêve, de burlesque, de déraison. J’ai tendance à dire, en plaisantant à moitié, que le but de mes histoires est de rendre les gens fous. D’un autre côté, cette ambiance est beaucoup une conséquence de mon processus de travail. Mes projets sont fortement improvisés, pourrait-on dire. Le texte vient toujours en premier, mais par petits bouts, que j’illustre ensuite à mesure, page par page, sans tout savoir du chemin à venir.
Sinon, je travaille aussi vaguement à un projet de roman. Même si j’ai l’impression que, pour moi, il est plus facile de poser des images. Et puis je crois aussi qu’il est plus facile d’être lu et édité lorsque le texte s’accompagne d’images.
Justement, de quelles lectures s’alimente ton travail ?
T.G. : En bande dessinée, je lis essentiellement des choses classiques et au final plutôt éloignées de ma production, par exemple Robert Crumb ou les collaborations de José Muñoz et Carlos Sampayo. Je demeure également fortement marqué par mes lectures de jeunesse, qui étaient un peu décalées. Étant né au Royaume-Uni et ayant grandi en Italie, j’ai bénéficié d’un univers assez large dans ma culture de l’image. J’étais notamment abonné à deux revues. L’une italienne, d’ambiance très catho, où étaient pourtant publiées des histoires très étranges, comme celles de M. Mattioli. Et puis une revue anglaise d’un genre radicalement opposé, avec des héros récurrents, des histoires très répétitives, mais au final rassurantes, comme Billy the Whizz.
Aujourd’hui, c’est plutôt le cinéma qui alimente mon inspiration. Je vois pas mal de films – je me suis par exemple découvert une passion pour le cinéma roumain –, je m’intéresse, je suis ce qui se fait. Après, je ne peux évidemment pas voir tous les bons films qui sortent. Il y a d’ailleurs plein de films que je n’irai pas voir, mais dont j’aime lire simplement les résumés. Parfois, un résumé suffit, il donne assez de matière pour rêver toute une journée. C’est un peu comme les quatrièmes de couverture de romans. J’adorerai d’ailleurs écrire un livre composé uniquement de quatrièmes de couverture... !