Un fond de vérité
Un fond de vérité de Zygmunt Miloszewski, Mirobole Éditions.
Sandomierz est une jolie ville du sud-est de la Pologne. On y vit bien, l’endroit est touristique juste ce qu’il faut et la Vistule coule paisiblement. Sans doute trop paisiblement pour Teodore Szacki. Procureur au parquet, il a fui Varsovie après un divorce qu’il ne digère toujours pas. Quand on est hyperactif, comme Szacki, la province devient vite un mouroir. Fort heureusement, voilà qu’un meurtre est commis dans la bourgade et pas n’importe quel meurtre : une femme est retrouvée vidée de son sang devant l’ancienne synagogue de la ville. Et au vue de ce que l’assassin sème comme pistes derrière lui, on a là tous les éléments d’un crime sacrificiel répondant à de vieilles pratiques juives. Il n’en faut pas davantage pour enflammer la tranquille Sandomierz et faire remonter dans la mémoire populaire un antisémitisme que beaucoup aimerait croire enraciné en chaque Polonais. Szacki n’en demandait pas tant. Alors il se lance dans une enquête au cours de laquelle il devra faire le tri entre un prétendu héritage culturel et le bon sens qui définit sa tâche. D’autant que les cadavres n’ont pas fini de tomber, affolant à chaque nouvel épisode une cité qui voit revenir les fantômes.
En 2013, les éditions bordelaises Mirobole avaient eu le flair de publier Les impliqués. On découvrait alors la plume véloce d’un jeune auteur polonais au nom imprononçable : Zygmunt Miloszewski. Résultat : une moisson de sélections dans les plus grands prix de romans policiers du territoire. Un an plus tard, Mirobole remet le couvert avec cette deuxième enquête du procureur Szacki, quelque cinq cents pages qui emportent largement le morceau et auxquelles on peut prédire un joli avenir. Pourquoi ? Comment ? Miloszewski ne révolutionne pas le paysage du "whodunit", il en applique toutes les recettes, dans l’ordre et selon la montée chromatique habituelle. Mais comme les grands auteurs de ce genre littéraire où il s’agit pour l’enquêteur de découvrir qui a commis le crime, il crée un personnage incarné, profond, sensible, il l’ancre dans une société dont il documente avec force les rouages. Un fond de vérité n’est plus dès lors un simple roman policier. C’est avant tout un roman noir qui décrypte, dépiaute, déshabille et donne à voir l’état d’un pays. En s’attaquant à l’antisémitisme légendaire du peuple polonais, Miloszewski nous montre combien les préjugés ont la peau dure. En démontant pièce par pièce les a priori populaires, en montrant comment les foules se laissent manipuler, l’auteur retourne à l’envoyeur sa vision préalable des choses. Chacun – le procureur Szacki avec son cynisme se retrouve lui-même englué dans sa propre culture – est ici invité à faire le tri entre le grain et l’ivraie.
Il ne s’agit pour autant pas d’un pensum analytique, loin s’en faut. Le talent de Miloszewski réside dans une prose parfaitement maîtrisée, un style distancié par un humour féroce. Non seulement la phrase est drôle, mais les personnages qui peuplent ce récit sont autant de portraits merveilleusement sentis. À l’heure où la sempiternelle question du « peut-on rire de tout et avec qui » revient hanter les discussions sans fin, Miloszewski nous invite à une enquête où l’humour emporte tout sur son passage.
Il y a toujours un fond de vérité dans les légendes, voilà le thème majeur de ce roman. Et ce jeune auteur polonais nous plonge dans les couches sédimentaires d’une société qui fouille aujourd’hui encore son histoire et tente du mieux qu’elle peut de se forger une identité loin des légendes du passé.
Un fond de vérité
De Zygmunt Miloszewski
Traduit du polonais par Kamil Barbarski
Mirobole Éditions
Janvier 2015
472 pages
22 euros
Isbn : 979-10-92145-33-5