Un montreur d'histoires
En résidence d'écriture au chalet Mauriac en juillet, le réalisateur et scénariste Michaël Dacheux est né en 1978 dans les Landes. En 2008, son premier film, Commune présence, une fiction documentaire portée par la voix de René Vautier (le cinéaste d'Avoir vingt ans dans les Aurès) est en compétition au FID (Festival international du documentaire) de Marseille. En 2011, il réalise Sur le départ, moyen métrage co-écrit avec Christophe Pellet, qui avait remporté le concours de scénarios du festival de Brive. Tourné dans sa ville natale, Mont-de-Marsan, le film, lauréat du festival LGBT de Paris, décrit le trajet convergent, divergent, et finalement suspendu de deux jeunes musiciens, amis et amants, l'un devenu parisien, l'autre resté provincial, au fil d'un récit d'apprentissage couvrant une douzaine d'années. Michaël Dacheux, qui a étudié le cinéma à Nîmes, Montréal et Toulouse, encadre par ailleurs des films d'atelier avec la Cinémathèque française, Ciclic, et à l'Université Paris-Didedot.
Quel est ton désir de cinéma ?
Michaël Dacheux : Je pourrai le définir en creux en disant que je déteste les films qui font cinéma, qu'ils soient d'auteur ou commerciaux, par leur travail sur l'image, par la pose du réalisateur, par tout ce qui vient faire écran avec le récit incarné par les personnages. La mise en scène doit se mettre au service des personnages. J'essaie de rester à leur écoute, sans excès d'empathie, de les regarder vivre, qu'ils aient leur autonomie et trouvent leur place dans le cadre. Filmer, c'est montrer, pas se montrer. Ça n'empêche pas le romanesque, et le lyrisme.
À l'écart du naturalisme ?
M.D. : Je me méfie de cette illusion de vouloir "faire vrai", de ces dialogues qu'on rend hésitants, des tics de langage "comme dans la vie"... Le cinéma est là pour faire surgir quelque chose d'inaperçu dans la réalité. Et s'il y a une présence du réel dans mes films, c'est au sein d'une fiction à construire et à enregistrer. Je peux rêver de plans, convoquer des souvenirs, des lieux, des choses vues, mais ils devront s'inscrire dans la logique interne du récit et de ses acteurs. Pour moi, le problème se pose dès le scénario, dans l'arbitraire de l'écriture.
C'est pour cette raison que tu as fait appel, pour le scénario de Sur le départ, à Christophe Pellet, un réalisateur et auteur qui a beaucoup écrit pour le théâtre ?
M.D. : J'aime travailler en collaboration, avoir cet échange qui ouvre des portes et me soulage sans doute de cet arbitraire. Mais plutôt que de scénario, je préfère parler de récit de cinéma même si la recherche de financement, notamment pour l'aide à l'écriture, contraint à fournir des "traitements" de 25 pages, quand ce n'est pas des "pitchs" en trois phrases... Je ne veux pas tourner de films "story boardés", autant dire bordés par des séquences tirées au cordeau, avec une simple mise en images illustratives d'un sujet. Je cherche une fluidité, une ligne simple et claire qui sache rendre, notamment par le langage, la liberté et surtout l'intériorité des personnages.
Tu évoques la recherche de financements. Monter un projet de film, réussir à le tourner, c'est se multiplier ?
M.D. : Quand on fait du cinéma, il y a tout, de la psychologie, de l'économie, de la politique, de l'affectif, et de l'érotique qui peut passer par là. Je ne me reconnais pas du tout dans le metteur en scène infantilisé, l'artiste intouchable. J'ai besoin d'être sans cesse confronté à de la matière vivante. J'aime être dérangé sur un tournage, régler un problème de décor, savoir ce que l'équipe va manger... La seule exigence, c'est de tourner, on n'apprend qu'en faisant des films. C'est aussi en voir, beaucoup, et prendre le temps de flâner, de glaner, de rencontrer des histoires, de s'intéresser à autre chose qu'au cinéma.
D'être en résidence au chalet pour l'écriture d'un projet de long métrage, en quoi t'est-ce profitable ?
M.D. : D'abord de m'extraire du quotidien, des formations que je fais au long cours sur l'année, de pouvoir m'isoler pour entrer dans la profondeur d'un scénario. Chez moi, je peux écrire, poser des jalons, laisser le temps agir, celui de la rêverie, de la maturation, des prises de note, mais ici, je trouve un rythme sur la longueur des journées, je passe de l'ordinateur à d'autres activités, marcher, lire... Chacun des résidents organise son séjour à sa guise, on n'est pas seuls pour autant, ce n'est pas Shining ! Mais rien de contraignant. Le plus dur dans l'écriture, c'est de se concentrer sur un objet sans savoir si le film va se faire. Pourtant, ça ne doit pas tourner à la folie obsessionnelle, ce n'est jamais que du cinéma, et je préfère un travail plus doux, plus détaché. A l'heure présente, j'ai deux projets en cours, le premier est une comédie, une valse avec ses moments cruels mais au ton léger, et le second, un mélodrame.
Un film peut donc en cacher un autre, voire en accoucher d'un autre ?
M.D. : Dans mon cas, sans qu'il y ait de fusion possible entre les deux, je m'aperçois que des correspondances peuvent s'établir d'un film à l'autre, au bénéfice de chacun d'eux. Je vois mieux par exemple la part de gravité dans la comédie, et la part de burlesque dans le mélodrame. On m'a toujours suggéré d'avoir deux projets en même temps, de garder un recul, c'est moins périlleux pour soi mais aussi pour le film.