Un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout ?
Michel Gendarme et Delphine Barbut, lauréats de la résidence d’aide à la création périlittéraire, ont été accueillis au Chalet Mauriac du 26 juillet au 6 août derniers pour leur projet de mise en musique et en voix du texte Cadeau, une histoire d’amour.
Le bruit d’un stylo qui gratte le papier sort des enceintes et emplit la pièce, puis :
Tu mets le désordre dans l’histoire.
La voix de Michel Gendarme est grave, profonde et nous emporte dans ce texte que, rapidement, on veut croire autobiographique.
Tu mets le désordre dans l’histoire
en découdre encore
le silence
Voici les mots par lesquels commence Cadeau, une histoire d’amour, texte écrit par Michel Gendarme et publié chez Gros Textes Edition en 2018. Ce recueil a été rédigé en 2016 lors d’une résidence d’écriture dans le village de Limeyrat en Dordogne. Quelques temps plus tard, l’auteur a eu envie de le mettre en voix. Il a proposé ce projet à Delphine Barbut, guitariste, compositrice et interprète depuis une quinzaine d’années. Je les découvre tous les deux lors de la restitution de leur résidence de création péri-littéraire qui s’est déroulée au Chalet Mauriac à Saint-Symphorien sur une dizaine de jours. Pour l’occasion, ils ont transformé la salle, beaucoup trop grande pour cette forme intimiste. Quelques lampes pour l’ambiance, un coin de la pièce qui donne sur un escalier pour le son, deux micros, un pédalier et une guitare. Des feuilles éparpillées sur le sol comme un jeu de l’oie tout blanc sur lequel on saute d’un poème à l’autre. Des boites de parfums et de bijoux débarrassées de leurs objets futiles qui sont remplacés par des petits mots, phrases, poésies, des cadeaux immatériels que l’on peut à loisir gouter ou laisser passer, voire faner…
Cadeau 3
Chez le fleuriste, j’achète un bouquet de tulipes. Je les arrange dans un vase que je pose sur la table basse du salon.
Malheureusement l’amoureuse rentrera épuisée et ira se coucher sans voir les fleurs.
Le ressac de la mer nous arrive. Delphine Barbut y ajoute des notes subtiles, jouées à la guitare, on se laisse caresser par les mots et les notes.
Les tulipes, ça ne dure pas longtemps, constate Michel Gendarme. Au matin, elles ont déjà fané alors il les dessine mais, encore une fois, l’aimée ne verra pas le dessin accroché sur le miroir de la salle de bain. Réveillée en retard, elle filera directement à son travail. Sans le savoir, elle aura tout raté, et lui aussi d’une certaine manière…
Plus tard, elle lui dira :
Cadeau 3* (suite 1)
- Tu ne m’offres jamais de fleurs.
Il faut savoir saisir les instants oo les Edelweiss si fragiles, que l’on n’a pas le droit de couper mais que l’on rêve de posséder comme un souvenir précieux entre les deux feuilles d’un livre que l’on a particulièrement aimé. Le spectateur sourit, vagabonde, se souvient, poétise sa vie, attrape un mot au vol comme un oiseau ou un cadeau.
Derrière son micro, musique amplifiée oblige, Michel Gendarme nous lit ses poésies, adressées à une mystérieuse Irène C. Sa voix nous berce, certains ferment les yeux pour mieux la gouter. Quand il s’éloigne de son micro pour nous raconter l’histoire en prose, il nous attrape et nous réincarne. On se met à réfléchir à nos propres histoires d’amour, aux cadeaux que l’on a offerts, à ceux que l’on a reçu et on comprend tout à coup à quel point ils sont fondateurs de nos liens. Et si nous ne l’avions pas fait avant, nous réalisons enfin que ce sont surtout les présents impalpables qui marquent notre souvenir…
J’ai changé de pull pour que tu ne vois pas ma transparence.
N'est-on jamais vraiment vu par l’autre ? Cet amoureux-là propose ses cadeaux en cachette, dans l’ombre, comme un jeu de pistes, jamais frontalement. Il est délicat, jamais agressif, n’attend aucun remerciement.
Cadeau 7, je lui achète un parfum. (…) Tous les trois jours je dépose en secret, à doses homéopathiques, quelques notes de cette délicieuse fragrance près de sa couche, sur son peignoir, sur son ensemble préféré et dans son bureau. Cela pendant six mois.
On entend les frappes d’une machine à écrire. Par-dessus, Delphine Barbut sample sa musique jouée à l’archet sur les cordes de sa guitare et transforme son instrument en un violoncelle. De lui à elle, d’elle à lui, on a la sensation d’assister à un rituel de magie. Comment retenir quelqu’un ? Que lui laisser à entendre ? À voir ? Comment communiquer ?
Pour écrire ce texte, Michel Gendarme s’est plongé dans ceux des surréalistes et a réexpérimenté l’écriture automatique. Il l’affirme haut et fort : son dada c’est le passage de la métonymie à la métaphore. Un instant, on pense aussi à la psychanalyse et aux jeux de Lacan. De la même manière, Delphine illustre ou se décale pour mieux nous secouer. Ces deux-là mettent le désordre dans l’histoire et pourtant on s’y retrouve… Fragile équilibre qu’il faut peut-être à une histoire d’amour réussie ?
Avec cette proposition, Michel Gendarme veut questionner le rapport amoureux et comment on le réalimente. Le cadeau est souvent associé aux rituels, de ceux qui nous transforment. L’anniversaire, le passage d’une année à une autre, ces cadeaux qu’on n’a peur de ne pas trouver sous le sapin si l’on n’a pas été assez sage… L’auteur le répète : "Les cadeaux rythment nos vies. Ils sont un des moyens d’expression de nos liens. Tous ces cadeaux que l’on a reçus enfants, qui nous ont plu ou ne nous ont pas plu. Ces cérémonies du cadeau… je crois qu’elles m’ont un peu traumatisé…", avoue-t-il. Puis il ajoute : "Est-ce qu’ils vont me plaire ces cadeaux ? Me déplaire ? Comment je dois réagir ? Dans certaines cultures, on peut garder le cadeau et l’ouvrir quand on est tranquille. Cela me semble plus pudique, plus respectueux du ressenti…".
Trouver l’art d’aimer, l’art de faire des présents à l’être chéri sans le montrer, être là sans en faire tout un spectacle… Au fond, c’est peut-être ça l’amour ?
À la fin, il n’y aura nulle réponse. On ressort de cette lecture avec des questions, des impressions, des phrases, des sensations… et avec l’envie d’entendre un morceau entier de Delphine Barbut, peut-être aussi sa voix car, discrète comme une amoureuse, elle offre sa musique par touches, tout en délicatesse, juste ce qu’il faut pour servir d’écrin à la voix qu’elle accompagne.
tu jouais de la guitare au milieu des fleurs
pourquoi ne joues-tu plus de guitare
pourquoi ce contentement du regard
nous mêlons une danse végétale
pas de symétrie
des seuils
des entrées
la chorégraphie falsifiée
des élans corrigés
tu jouais de la guitare
ton ombre au mur
des bougies célestes
dans une pièce attente
nous cherchions les rêves
L’amoureuse était guitariste, mais elle n’est pas là.
La guitariste n’est pas l’amoureuse, mais elle est là.
L’amour est ou n’est pas.
Se donne ou se reprend.
En attendant, ce texte ressemble à un cadeau offert par Michel Gendarme et Delphine Barbut à leur public.
(Photo : Alban Gilbert)