Un temps avec Thomas Scotto et Laetitia Daleme
Premiers lauréats au Chalet Mauriac de la résidence de préparation à une performance littéraire, Thomas Scotto — auteur jeunesse — et Laetitia Daleme — monteuse — s’activent. Ils lisent, écrivent et montent un spectacle de lecture qui sera présenté en avant-première lors de la troisième Fête au Chalet Mauriac, le 27 septembre. Le temps est précieux, mais ils nous ont offert un peu du leur pour parler de leur travail en cours.
Quelles sont les racines de ce projet ?
Thomas Scotto : J’ai écrit pour La maison est en carton une série de textes courts à paraître dans un livre présentant une collection d’images de plusieurs illustrateurs, qui ont réfléchi autour de l’idée du temps qui passe. Ces images ont été exposées à l’occasion des dix ans de la maison d’édition. Manon Jaillet, directrice de La maison est en carton, a eu envie de les réunir dans un ouvrage, un peu comme nous l’avions fait en 2010 avec Dans ma maison, et m’a proposé d’écrire à partir de ces images. J’ai alors composé, en regard de ces quatre-vingt-quatre visuels, des textes brefs et très épars dans les genres d’écriture : des chansons, des aphorismes, des dialogues de cinéma...
Quelle place occupe ce type de travail dans ton œuvre, très diverse en termes de formes ou de public visé ?
T.S. : Écrire à partir d’images me passionne. J’aime m’interroger, creuser pour ne pas être dans l’illustratif, emporter l’émotion visuelle plus loin, en me basant à la fois sur ce que l’image figure, mais aussi les émotions qu’elle évoque chez moi. J’ai eu en plus la chance pour ce livre d’avoir tous les originaux à ma disposition pour écrire. J’ai pu les contempler à taille réelle et sur leurs supports originels. Ainsi, même la technique utilisée — gravure, aquarelle, fusain, utilisation de tissus — a parfois guidé ma plume.
Et puis la thématique, ce rapport au temps qui passe, cette possibilité offerte de réfléchir à l’échelle d’une vie — pas seulement mais quand même, la mienne en l’occurrence — m’a conduit dans des champs que je n’avais pas encore complètement explorés ou montrés, par exemple les textes de chansons. J’ai aussi pas mal puisé dans des carnets, retrouvé ces phrases que l’on note au débotté, ces fragments que l’on conserve comme des pistes pour de futurs romans en sommeil, mais qui au final ne trouvent jamais leur place ailleurs parce qu’ils sont déjà un monde en eux-mêmes. J’ai beaucoup travaillé, dans mon affection pour la forme courte, à rendre tout cela limpide, évident, et ce travail — comme souvent chez moi — est passé par le filtre de la lecture à voix haute. J’ai besoin qu’une phrase sonne, s’inscrive dans un rythme qui emporte et porte les émotions.
Comment est né le projet de créer une lecture autour de ces textes ?
T.S. : Je n’écris pas un livre pour en faire forcément une lecture, mais c’est vrai qu’avec Kodhja*, je me suis aperçu que cela permettait de porter l’ouvrage, le donner à lire et appréhender de façon différente. Ici, l’idée est surtout venue grâce à Aimée Ardouin, responsable du Chalet Mauriac, où les textes de Par le temps qui court ont été écrits lors d’une résidence. Elle a accompagné depuis le début l’écriture un peu erratique de ce livre et m’a poussé à faire entendre ces mots d’une autre manière.
Thomas Scotto : J’ai écrit pour La maison est en carton une série de textes courts à paraître dans un livre présentant une collection d’images de plusieurs illustrateurs, qui ont réfléchi autour de l’idée du temps qui passe. Ces images ont été exposées à l’occasion des dix ans de la maison d’édition. Manon Jaillet, directrice de La maison est en carton, a eu envie de les réunir dans un ouvrage, un peu comme nous l’avions fait en 2010 avec Dans ma maison, et m’a proposé d’écrire à partir de ces images. J’ai alors composé, en regard de ces quatre-vingt-quatre visuels, des textes brefs et très épars dans les genres d’écriture : des chansons, des aphorismes, des dialogues de cinéma...
Quelle place occupe ce type de travail dans ton œuvre, très diverse en termes de formes ou de public visé ?
T.S. : Écrire à partir d’images me passionne. J’aime m’interroger, creuser pour ne pas être dans l’illustratif, emporter l’émotion visuelle plus loin, en me basant à la fois sur ce que l’image figure, mais aussi les émotions qu’elle évoque chez moi. J’ai eu en plus la chance pour ce livre d’avoir tous les originaux à ma disposition pour écrire. J’ai pu les contempler à taille réelle et sur leurs supports originels. Ainsi, même la technique utilisée — gravure, aquarelle, fusain, utilisation de tissus — a parfois guidé ma plume.
Et puis la thématique, ce rapport au temps qui passe, cette possibilité offerte de réfléchir à l’échelle d’une vie — pas seulement mais quand même, la mienne en l’occurrence — m’a conduit dans des champs que je n’avais pas encore complètement explorés ou montrés, par exemple les textes de chansons. J’ai aussi pas mal puisé dans des carnets, retrouvé ces phrases que l’on note au débotté, ces fragments que l’on conserve comme des pistes pour de futurs romans en sommeil, mais qui au final ne trouvent jamais leur place ailleurs parce qu’ils sont déjà un monde en eux-mêmes. J’ai beaucoup travaillé, dans mon affection pour la forme courte, à rendre tout cela limpide, évident, et ce travail — comme souvent chez moi — est passé par le filtre de la lecture à voix haute. J’ai besoin qu’une phrase sonne, s’inscrive dans un rythme qui emporte et porte les émotions.
Comment est né le projet de créer une lecture autour de ces textes ?
T.S. : Je n’écris pas un livre pour en faire forcément une lecture, mais c’est vrai qu’avec Kodhja*, je me suis aperçu que cela permettait de porter l’ouvrage, le donner à lire et appréhender de façon différente. Ici, l’idée est surtout venue grâce à Aimée Ardouin, responsable du Chalet Mauriac, où les textes de Par le temps qui court ont été écrits lors d’une résidence. Elle a accompagné depuis le début l’écriture un peu erratique de ce livre et m’a poussé à faire entendre ces mots d’une autre manière.
"Je n’avais jamais osé la vidéo et j’en avais très envie. C’était une occasion en vérité de continuer ce que je fais déjà en écriture : multiplier les formats, les publics."
J’aime de plus en plus prolonger la vie de mes ouvrages, lorsqu’ils s’y prêtent, en inventant des formes nouvelles. J’ai déjà créé une lecture musicale avec Gregory Dargent au oud, une lecture dessinée avec Régis Lejonc, des lectures en trio avec Gilles Abier et Cathy Ytak, ou encore une lecture dansée avec Cassandre, l’une de mes filles. Je n’avais jamais osé la vidéo et j’en avais très envie. C’était une occasion en vérité de continuer ce que je fais déjà en écriture : multiplier les formats, les publics. Pour un écrivain, ces prolongements sont précieux, tant économiquement — il ne faut pas se le cacher — qu’émotionnellement. C’est une occasion rare de se retrouver face à des gens et recevoir dans l’immédiateté leur retour à notre écriture.
Mais cette fois, il y avait un challenge différent à relever pour en arriver là. Contrairement à mes autres spectacles, où je lis le texte de l’ouvrage dans son état quasi originel, il était d’abord impératif de réinventer une forme d’écriture adaptée au spectacle vivant. Je voulais aussi retranscrire la dimension visuelle de ce livre sans que cela passe par la projection brute des illustrations. J’avais donc grand besoin de quelqu’un dont manier les images est le métier. Je n’y serais jamais arrivé sans le regard et l’apport de Laetitia.
Comment as-tu trouvé ta place dans la création de cette lecture ?
Laetitia Daleme : C’est un type de projet tout à fait nouveau pour moi, même si — monteuse essentiellement de films documentaires ou d’essais filmiques — j’aime travailler une matière de façon plastique. Il fallait ici — par rapport à un film destiné à une diffusion dans les réseaux classiques — penser également à la mise en espace de la voix, l’équilibre entre les images, les sons. Du coup, j’ai commencé assez simplement en demandant à Thomas s’il avait des envies de matériels, des idées d’ambiance. Il se trouve que cette demande a coïncidé avec un moment où il venait de récupérer une multitude de films d’enfance, des bandes super 8 qu’un membre de sa famille avait numérisées. Et cette matière nous a très vite paru intéressante à exploiter. Elle a rapidement trouvé sa place dans le projet, prenant même le pas sur les illustrations de départ, au profit d’une autre ambiance, d’un objet nouveau. Je suis notamment encore fascinée comment les artefacts de la numérisation — ces moments où le flux d’images parfois ralentit ou accélère subitement — illustrent a posteriori le propos sur le temps qui passe.
Auriez-vous pu mener ce travail sans un temps de résidence de création ?
L.M. : Probablement pas. Beaucoup des idées que nous explorons trouvent leur source dans l’échange et l’expérimentation. C’est d’ailleurs la base de mon travail de monteuse, où j’élabore un objet, une proposition sous le regard constant d’un artiste — plus généralement d’un réalisateur — au service de son travail et sa vision. Après, une semaine c’est évidemment très court. Mais cette apparente contradiction entre le propos — à savoir rendre une durée — et l’urgence, si ce n’est à le faire au moins à en poser les bases en quelques jours, nourrit également notre travail. Le temps passe... et il passe toujours trop vite !
Mais cette fois, il y avait un challenge différent à relever pour en arriver là. Contrairement à mes autres spectacles, où je lis le texte de l’ouvrage dans son état quasi originel, il était d’abord impératif de réinventer une forme d’écriture adaptée au spectacle vivant. Je voulais aussi retranscrire la dimension visuelle de ce livre sans que cela passe par la projection brute des illustrations. J’avais donc grand besoin de quelqu’un dont manier les images est le métier. Je n’y serais jamais arrivé sans le regard et l’apport de Laetitia.
Comment as-tu trouvé ta place dans la création de cette lecture ?
Laetitia Daleme : C’est un type de projet tout à fait nouveau pour moi, même si — monteuse essentiellement de films documentaires ou d’essais filmiques — j’aime travailler une matière de façon plastique. Il fallait ici — par rapport à un film destiné à une diffusion dans les réseaux classiques — penser également à la mise en espace de la voix, l’équilibre entre les images, les sons. Du coup, j’ai commencé assez simplement en demandant à Thomas s’il avait des envies de matériels, des idées d’ambiance. Il se trouve que cette demande a coïncidé avec un moment où il venait de récupérer une multitude de films d’enfance, des bandes super 8 qu’un membre de sa famille avait numérisées. Et cette matière nous a très vite paru intéressante à exploiter. Elle a rapidement trouvé sa place dans le projet, prenant même le pas sur les illustrations de départ, au profit d’une autre ambiance, d’un objet nouveau. Je suis notamment encore fascinée comment les artefacts de la numérisation — ces moments où le flux d’images parfois ralentit ou accélère subitement — illustrent a posteriori le propos sur le temps qui passe.
Auriez-vous pu mener ce travail sans un temps de résidence de création ?
L.M. : Probablement pas. Beaucoup des idées que nous explorons trouvent leur source dans l’échange et l’expérimentation. C’est d’ailleurs la base de mon travail de monteuse, où j’élabore un objet, une proposition sous le regard constant d’un artiste — plus généralement d’un réalisateur — au service de son travail et sa vision. Après, une semaine c’est évidemment très court. Mais cette apparente contradiction entre le propos — à savoir rendre une durée — et l’urgence, si ce n’est à le faire au moins à en poser les bases en quelques jours, nourrit également notre travail. Le temps passe... et il passe toujours trop vite !
*Livre écrit avec Régis Lejonc au dessin, publié chez Thierry Magnier, et autour duquel les deux auteurs ont créé une lecture dessinée.
Romuald Giulivo est né en 1973 à Provins. Architecte naval de formation, il se consacre désormais à l’écriture et aux musiques improvisées. Il est notamment l’auteur d’une trilogie à l’humeur gothique chez Bayard jeunesse, de plusieurs romans inspirés par l’actualité immédiate à l’École des Loisirs et d’un premier roman pour adultes aux éditions Anne Carrière.