"Villa Bonita", un petit zoom panoramique sur la société suédoise
Après le quasi succès de best-seller d’Aphrodite et vieilles dentelles, Mirobole Éditions publie un nouveau roman de Karin Brunk Holmqvist.
À travers le motif des retrouvailles de deux amies d’enfance éprouvant à juste titre le sentiment d’avoir raté à pas mal d’égards leurs vies d’adultes, le récit déploie un étonnant tableau de la société suédoise contemporaine dans son contexte humain, social, culturel et géographique. Les deux femmes ont vécu leur enfance et leur adolescence dans deux pavillons cossus d’Ystad, une petite ville de Scanie chargée d’histoire, au bord de la mer baltique non loin de Malmö. Fille d’avocat, Bonita a interrompu très jeune une carrière professionnelle d’intendante dans une caserne locale pour se consacrer à ses parents. Son père a demandé par testament qu’elle veille sur son épouse dans la maison familiale jusqu’à la fin des ses jours. Bonita a cinquante-sept ans et sa mère, très âgée, la mémoire défaillante, vivant entre son lit et un fauteuil roulant, exige de sa fille une attention et des soins de tous les instants.
"Cette décision se traduit entre autres par deux week-ends de fugue à Göteborg, pleins d’un parfum d’aventure et de suspense."
Comme va bientôt le constater son amie Doris, au fil du temps Bonita s’est totalement isolée et désocialisée et, en réalité, perd patience face à la lourde tâche qui lui incombe. De son côté, Doris est partie jeune vivre sa vie à Malmö. Elle a assumé une longue carrière dans une entreprise d’expertise en comptabilité et a été l’épouse d’un enseignant qui a montré à son égard une telle indifférence et une telle muflerie machiste qu’ils ont fini par se séparer. Puis Doris a perdu son emploi, l’entreprise qui l’employait ayant périclité. Elle réapparaît à Ystad lors du décès de sa mère Olga dans le pavillon mitoyen de la villa Bonita. Elle va s’y établir, n’ayant plus de raison de vivre à Malmö, et vont ainsi avoir lieu les retrouvailles des anciennes amies. En fait, Doris a trouvé un emploi par télétravail pour gérer les commandes de locations et les factures d’une société de Göteborg dont elle ne sait presque rien. Tandis que les deux amies, redevenues voisines, renouent la relation de complicité affectueuse de leur jeunesse, Doris, tracassée par des indices douteux quant à l’entreprise de ses nouveaux employeurs dont le profil s’avèrera lamentablement patibulaire, va se décider à mener une enquête dans laquelle elle va entraîner Bonita. Cette décision se traduit entre autres par deux week-ends de fugue à Göteborg, pleins d’un parfum d’aventure et de suspense. À Ystad, parallèlement, la vie va reprendre un cours plus joyeux dans la villa Bonita, grâce à la présence pour des séjours temporaires de femmes maltraitées et en grande difficulté prises en charge par des services sociaux et des associations de la ville de Malmö.
Composition uniformément pimentée de fantaisie et de goût pour le burlesque des situations, sans doute qualités propres à la culture et aux mentalités suédoises en dépit — ou en raison — d’un puritanisme et d’un conservatisme pesants, la prose romanesque de Karin Brunk Holmqvist fait preuve aussi d’une rare acuité des analyses psycho-sociologiques. Elle nous immerge dans les spécificités d’un univers dont elle fait apparaître la réalité sous ses aspects les plus positifs comme les plus sordides et critiquables. Ce roman a de quoi séduire un large lectorat car il sait distraire et donner à penser sans jamais se départir ni d’objectivité et de sens du détail, ni de tendresse à l’égard de ses personnages et d’une sensibilité, d’une liberté d’esprit et d’un franc parler des plus réjouissants.
Villa Bonita, de Karin Brunk Holmqvist
Traduit du suédois par Carine Buy
Mirobole Éditions
256 pages, 14,5 x 20 cm
Mai 2018
ISBN 978-2-37561-101-2
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.