Les lycéens et apprentis néo-aquitains initiés à la traduction littéraire par des professionnels
Malgré une continuité pédagogique parfois mise à l'épreuve par la crise sanitaire, près de vingt traducteurs régionaux sont allés à la rencontre des lycéens et apprentis de Nouvelle-Aquitaine lors de l'année scolaire 2020-2021.
Grâce au programme Ateliers de de traduction littéraire, une cinquantaine de classes de lycées et de CFA néo-aquitains ont pu bénéficier d’ateliers de traduction menés, sur plusieurs séances, par des professionnels de la traduction au cours de l'année scolaire 2020-2021. Soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine et la Drac Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec les Daac des académies et la Draaf, ces ateliers sont non seulement l’occasion pour les jeunes de s’immerger dans une culture et une langue différente de la leur, de découvrir des œuvres et des auteurs mais aussi d’approcher un métier contribuant à l’enrichissement de leurs horizons culturels.
Traductrice de textes antiques, écrivaine et enseignante de lettres classiques, Marie Cosnay a choisi de commencer chacune des séances menées avec les classes latinistes du lycée Edmond-Rostand, à Biarritz, par "la lecture de traductions différentes d'un même texte, ponctuées d'hypothèses et de commentaires, ainsi qu'une introduction à l'histoire de la traduction littéraire". Avant de travailler sur plusieurs œuvres dont Les Métamorphoses d'Ovide qu'elle a traduites aux éditions de l'Ogre en 2017. Initiés à l'histoire de la traduction, les lycéens et apprentis découvrent ainsi comment travaille un traducteur, de quelle nature sont ses relations professionnelles et contractuelles avec l'éditeur, sa rétribution au feuillet, etc. Un environnement nouveau pour la plupart des élèves d'après la traductrice et universitaire Lise Chapuis, qui a animé un atelier au lycée bordelais Camille-Jullian autour du Jardin persan de Chiara Mezzalama qu'elle a traduit de l'italien au français en 2020 aux éditions des Falaises: "Les élèves se sont montrés intéressés par les aspects de la traduction et plus largement par les métiers de l'édition. Les ateliers sont aussi l'occasion de faire réfléchir sur la pratique des langues – dont le français – d'une manière distanciée, non soumise à l'appréciation scolaire."
Diversité de langues et de genres
Les ateliers de traduction littéraire permettent d’aborder une grande variété de langues : latin, italien, chinois, allemand, espagnol, russe et anglais. Enseignante-chercheuse, présidente et co-fondatrice de l'association Maison de la traduction en Nouvelle-Aquitaine (Matrana) et traductrice de près de 30 ouvrages dont récemment les Œuvres de George Orwell à la Pléiade, Véronique Béghain a mené des ateliers dans trois établissements néo-aquitains, dont le lycée Victor-Duruy, à Mont-de-Marsan. Les élèves, en terminale de spécialité anglais, ont travaillé notamment sur un extrait de Down and out in Paris and London d'Orwell en comparant deux traductions, dont une de Michel Pétris (1982) introduisant des expressions grossières. "Un problème pour le respect du texte de l'auteur", explique Véronique Béghain aux lycéens compréhensifs. Sont également abordées au travers de ce texte l'historicité et la dimension politique de la traduction quand, par exemple, l'expression "like a slave" est traduite par "comme un forcené".
Le programme des ateliers couvre une grande diversité de genres littéraires : poésie, roman, nouvelle, etc. et propose d’aborder la traduction dans le domaine de la bande dessinée et du roman graphique. Ayant traduit plus de 20 titres du chinois au français, Stéphane Lévêque est intervenu dans une classe du lycée pilote innovant international (LP2I), à Poitiers, composé à moitié d'élèves chinois et de lycéens allophones venant d'autres pays, tous ayant un faible niveau de français. Ils ont travaillé à la traduction de la bande dessinée Entre chien et loup de Zuo Ma, traduite par Stéphane Lévêque à l'occasion de sa parution en 2018 aux éditions Cornélius.
Un programme adapté aux élèves et aux enseignants
À l'initiative de tout atelier, les enseignants disposent d'un cadre de projet souple qui leur permet de faire intervenir un traducteur littéraire professionnel dans leur classe. Ils choisissent le nombre d’heures d’intervention qui leur convient, compris entre 8 et 18 heures à répartir sur un maximum de six séances. Ce programme offre un fonctionnement simplifié et un appui financier pour la rémunération du traducteur. Isabelle Colas-Jalabert, professeure d'anglais au lycée Duruy, à Mont-de-Marsan, explique son choix d'avoir reçu Véronique Béghain par "intérêt intellectuel en tant qu'enseignante, consciente qu'un professeur d'anglais n'est pas forcément un professionnel de la traduction." Dans sa classe, "la moitié des élèves souhaitent étudier l'anglais après le lycée et ont tous été sensibles à la présentation du métier de traducteur qu'ils ont finalement découvert à cette occasion". Un avis partagé par Luise, en terminale de spécialité anglais, qui a participé à ces ateliers : "En plus de la liberté de s'éloigner parfois un peu du texte que nous a apprise Madame Béghain, j'ai apprécié découvrir le métier de traducteur : les contrats, les feuillets ou encore le travail seul à domicile". Sa camarade Sacha la rejoint : "J'ai plus appris en matière de traduction parce que cette approche professionnelle de l'exercice nous a autorisé à sortir de la version littérale. Je me sens plus à l'aise aujourd'hui pour traduire."
Les ateliers de traduction littéraire peuvent également être bénéfiques aux pratiques professionnelles des traducteurs, comme le souligne François-Michel Durrazo, traducteur d'environ 80 titres et qui a initié à la traduction littéraire de l'espagnol au français des élèves du lycée de la Venise verte (Niort) et du lycée Jaufré-Rudel (Blaye) : "Travailler avec des élèves est une leçon de modestie : combien de fois des élèves m'ont proposé des solutions meilleures que celles auxquelles j'avais pensé !" "S'ils ne changent pas grand-chose à ma pratique de la traduction elle-même, témoigne Véronique Béghain, ces ateliers me donnent la satisfaction d'ouvrir des horizons à certains élèves, de valoriser leurs compétences linguistiques et culturelles. Ils me permettent également de mieux cerner leur potentiel et leurs limites, et donc indirectement de mieux identifier ce que le grand public sait ou ne sait pas du métier de traducteur. Ils me permettent enfin de mieux connaître les pratiques d'enseignement des langues dans le secondaire." Pour Stéphane Lévêque, ce programme apprend "d'un point de vue didactique à mieux s'adresser à un groupe d'élèves presque adultes et plus largement apporte ce qu'il y a de plus beau dans l'enseignement : de la joie, celle de transmettre."
Ont également animé des ateliers de traduction littéraire lors de l'année scolaire 2020-2021 : Sophie Benech (russe), Jean-Baptiste Bernet (anglais), Nathalie Bru (anglais), Marie Chabin (anglais), Pascale Drouet (anglais), Janique Jouin-De-Laurens (anglais), Olivier Lebleu (anglais), Sibylle Muller (allemand), Nicole Ollier (anglais), Laurent Queyssi (anglais), Isabelle Roy (anglais), Jean-Marie Saint-Lu (espagnol), Edmond Touriol (anglais).