Pollen : trente ans de création en Lot-et-Garonne célébrés à Monflanquin
Après avoir accueilli près de 250 plasticiens de toutes nationalités depuis 1991, la bastide de Monflanquin (47) a célébré les 13 et 14 septembre derniers les trente ans de l'association Pollen, organisatrice de ces résidences de création.
"Comment fêter nos trente ans en évitant de s'autocélébrer et d'ériger l'association en monument ?" C'est à partir de cette question préliminaire que Camille de Singly, Sabrina Prez et Denis Driffort ont construit le programme des deux journées professionnelles marquant le trentième anniversaire des résidences d'artistes de Pollen, à Monflanquin, dans le Lot-et-Garonne. La présidente, la responsable de la médiation et le directeur de Pollen ont souhaité proposer "le témoignage de ce qu'est une résidence, d'une manière organique et non hors-sol". Organisées avec le réseau régional Astre et ALCA, ces journées ont réuni les 13 et 14 septembre une centaine de personnes – artistes, partenaires institutionnels, habitants impliqués dans l'association ainsi que des figures locales et internationales de l'art contemporain –, toutes venues partager des expériences issues de résidences.
Critique d'art et journaliste à artpress – revue internationale de référence dans le monde de l'art contemporain –, "lié à la résidence Pollen et à ce territoire affectif du Lot-et-Garonne", Didier Arnaudet a dressé un portrait de la résidence, exercice "ô combien énigmatique". Citant Deleuze, il explique que la résidence repose sur "une sorte de tension entre l'articulation et la dislocation", renvoyant à "l'art de l'échappée belle, cette idée de larguer les ancrages." Pour permettre cette "échappée belle", la résidence doit constituer selon lui "une boîte à outils où les outils nécessaires ne sont pas disponibles mais à fabriquer, non pas avec méthode mais dans une simplicité de faire et avec observation." Tenant ainsi sa place "sans chercher la lumière", la résidence "a besoin d'un passeur – ici, Sabrina et Denis".
Dans son texte, Didier Arnaudet a également fait référence à Francis Ponge en comparant la résidence à "un verre d'eau", modelé de telle façon qu'il permette l'expression du travail de l'artiste. Une métaphore appréciée par Nicolas Daubanes, qui a partagé le récit de son travail sur le monument départemental aux déportés à Lacapelle-Biron (47), intitulé Aujourd'hui. Accueilli en résidence l'année dernière, il a "été orienté par Denis et Sabrina vers ce monument qui a, par sa nature et sa position sur la place centrale, figé l'activité et la vie du village depuis des décennies." L'artiste, en dialogue avec la maire de la commune, Nadine Lafon, explique lui avoir proposé de "réinstaller le marché à sa place originelle" grâce à "un objet plastique éphémère mettant à distance le monument de manière symbolique et invitant les habitants, notamment les enfants, à réfléchir sur la place de celui-ci". Elle-même "surprise" par l'adhésion du conseil municipal à ce projet, l'élue a assisté à l'érection d'une palissade en bois autour du monument et à la tenue, le 28 mars dernier, du premier marché relocalisé. Le 21 mai, lors des commémorations de la déportation, la palissade a été retirée et le marché a depuis repris sur la place, autour du monument, offrant un nouveau souffle à la commune. La Pensée de chantier, film réalisé par Claire Lacabanne autour du projet Aujourd'hui, a été également projeté en avant-première lors de ces deux journées professionnelles.
L'exemple de ce projet qui aura durablement transformé le village de Lacapelle-Biron a introduit une discussion avec Enrico Lunghi, critique d'art et commissaire d'expositions, autour de la thématique "Création et territoire". L'ancien directeur du Musée d’art moderne Grand-Duc Jean (Mudam), à Luxembourg, a présenté plusieurs projets qui ont marqué les esprits et les habitudes du grand-duché, à l'instar de Lady Rosa of Luxembourg, sculpture réalisée en 2001 par l'artiste croate Sanja Ivekovic et représentant une femme enceinte portant dans ses mains une couronne. Inspirée d'une autre célèbre statue luxembourgeoise, Gëlle Fra, déboulonnée par les nazis et rétablie après-guerre, Lady Rosa avait alors "choqué lors de son installation" en vis-à-vis de son modèle original. Depuis, l'œuvre a fait son chemin, en étant exposée ailleurs, notamment au MoMA, à New York. Cette œuvre locale, diffusée à l'international, a donc laissé "un fort souvenir", toujours présent même vingt ans après son installation, "quand des musées aujourd'hui oublient parfois ce qui était exposé l'année précédente". De la même manière, selon Enrico Lunghi, Pollen, en s'engageant sur le long terme et dans un territoire limité, "invite les plasticiens à sortir de leur zone de confiance et nous laisse des souvenirs de passages d'artistes d'il y a cinq, dix ou quinze ans."
D'autres projets marquants des trente années de résidences de Pollen ont été sources d'échanges au cours de ces deux journées. L'exposition autour du jeu Troisième Yeux de Jimmy Richer, La Barque silencieuse et Les Cow-boys de Julie Chaffort, les Portraits filmés et Toujours pareil d'Amélie Berrodier : autant de créations témoignant toutes de l'action de Pollen et particulièrement du travail de "passeurs" que mènent Sabrina Prez et Denis Driffort sur ce territoire.