Résidences de création : travailler en réseau pour mieux accompagner les auteurs
À l'occasion du trentième anniversaire des résidences de création de l'association Pollen, auquel s'associent les 13 et 14 septembre à Monflanquin (47) le réseau Astre et ALCA, Camille de Singly et Denis Driffort, présidente et directeur de Pollen, Pierre Ouzeau et Cécile Villiers, coprésident et directrice d'Astre, et Patrick Volpilhac, directeur général d'ALCA, expliquent le travail que mènent leurs structures pour accompagner les artistes-auteurs.
Quel est l'intérêt pour vos structures de travailler en réseau ? Quels sont les valeurs et les objectifs que vous poursuivez en vous inscrivant dans une telle structuration ?
Cécile Villiers : Créé en 2018, Astre rassemble aujourd'hui 85 acteurs des arts plastiques et visuels en Nouvelle-Aquitaine. Des trois Frac régionaux à des associations ne disposant pas de salarié, nos membres présentent des activités et des tailles très variées. Parmi eux, certains ont la pratique de la résidence de création, avec ou sans lieu pour accueillir les artistes-auteurs. Notre mission, qui s'inscrit aussi dans un contrat de filière cosigné avec la Région et la Drac Nouvelle-Aquitaine, est de renforcer une structuration professionnelle permettant une meilleure connaissance des acteurs entre eux et une coopération accrue. Nous portons également des valeurs de solidarité et d'équité territoriale entre nos différents membres.
Denis Driffort : Depuis Monflanquin, Pollen s'inscrit dans le réseau comme un acteur illustrant la vocation territoriale d'Astre. Nous sommes une microstructure, composée de deux salariés, qui est aujourd'hui l’une des rares portes d'entrée vers l'art contemporain en Lot-et-Garonne. Pollen vient compléter un ensemble de dispositifs et de membres du réseau : des écoles d'art, des galeries, des groupements d'artistes et des centres d'art. Nous ne sommes ni une école d'art ni un centre d'art. C'est un lieu de travail qui a une vocation très forte à créer un lien direct entre des œuvres, un artiste et un territoire. Quand un artiste arrive sur un territoire, il doit trouver un cadre favorable au développement ou à la présentation de son travail. On ne peut pas lui demander de porter seul l'histoire de l'art contemporain ou de cautionner l'ensemble d'un système. Il se concentre sur son travail et peut s'impliquer ensuite dans sa diffusion et sa médiation, qui doivent néanmoins être d'abord développées par la structure d'accueil. Pollen reste modeste vis-à-vis du travail de l'auteur, en ce que nous sommes des administrateurs et des acteurs sur le terrain au service des artistes et des autres membres du réseau. Dans le cadre de cette mission de relai, Astre nous permet aussi de trouver un écho plus large que celui de la sphère des résidences.
Patrick Volpilhac : Nous proposons depuis 1994 des résidences de création à Bordeaux, originellement dans la rue de la Prévôté, qui ont connu un fort développement de leurs formats – notamment en lien avec des régions étrangères partenaires (Québec, Land Hesse, Émilie-Romagne, Afrique et Haïti) – et de l'accompagnement des auteurs. Depuis 2013, nous organisons les résidences de création livre, cinéma et multimédia au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien (33).
Le travail de l'agence est d'abord de proposer des services – de l'information, de la formation, de la communication – au champ professionnel et non d'exister par des propositions qui pourraient être perçues comme concurrentielles puisque nous soutenons le développement des opérateurs de notre territoire. Nous ne faisons pas de festival mais sommes présents sur de nombreuses manifestations, nous ne faisons pas d'édition ni de production audiovisuelle mais notre rôle est d'accompagner les professionnels qui nous sollicitent. C'est dans cette logique que nous avons souhaité mettre en relation et accompagner les acteurs qui proposent des résidences de création en région. Depuis 2020, ALCA propose d’accompagner plus encore ce réseau au moyen d'aides "à la création en résidence". Ce dispositif a pour but d’attribuer une rémunération à des auteurs invités à séjourner dans ces résidences, afin de leur permettre de mener à bien un projet d’écriture personnel. Il vise également à soutenir et, au besoin, à accompagner, la structure de résidence.
Nombre de réseaux et collectifs artistiques défendent parmi leurs objectifs le statut des artistes-auteurs. Comment agissez-vous pour défendre les conditions de travail des auteurs ?
Pierre Ouzeau : Les artistes-plasticiens, et plus généralement les artistes-auteurs, n'ont pas de statut social et administratif, contrairement aux intermittents du spectacle. Cette situation pose de nombreux problèmes dans le fonctionnement des structures et dans le parcours des auteurs. La défense des conditions des artistes est l'un des objectifs que nous poursuivons avec le réseau Astre en sensibilisant tous les acteurs concernés y compris les élus.
P.V. : Les élus ont en effet un rôle premier à jouer, notamment dans le cadre des communes et des intercommunalités qui sont de plus en plus friandes de ces propositions. Au niveau régional, la collectivité n'a pas encore défini ce qu'est une résidence, préalable à la rédaction d'un règlement d'intervention. L'exercice n'est pas chose aisée tant la réalité culturelle, artistique et économique est propre à chaque lieu. Nous travaillons néanmoins à la rédaction d'un texte de référence que nous proposerons au réseau et qui guidera notre accompagnement auprès des membres.
D.D. : La Région et l'État peuvent jouer un rôle incitatif en proposant des grilles de lecture aux structures. Nous arrivons aujourd'hui à exprimer aux élus la nécessité de mieux structurer et coordonner leurs politiques culturelles. C'est une des grandes vertus du réseau Astre : en plus de la pression morale qu'exerce la structuration acteurs, la reconnaissance du réseau par les institutions financeuses oblige à ne plus ignorer ces référentiels qui protègent les auteurs.
"C'est l'implication humaine et l’accompagnement qui caractérisent pour nous, le mieux une résidence, mieux 'qu'un lit, une table de nuit ou une simple salle d'exposition'."
Quand une commune souhaite accueillir un auteur en résidence avec un budget qui ne le permet pas, nous pouvons faire entendre que ce budget pourrait être utilisé non pas pour une résidence mais pour l'accompagnement d'un artiste autour d'une exposition, par exemple. C'est l'implication humaine et l’accompagnement qui caractérisent pour nous, le mieux une résidence, mieux "qu'un lit, une table de nuit ou une simple salle d'exposition".
P.O. : L'accompagnement des auteurs se matérialise par des rencontres facilitées avec l'écosystème artistique, par des compétences techniques mises à disposition, par l'accès à une aide et à des ressources juridiques, notamment pour des jeunes artistes en demande d'informations pour se structurer professionnellement.
Camille de Singly : Certaines résidences qui existent depuis parfois des dizaines d'années ont su répondre à ces exigences matérielles pour les auteurs, mais proposent des modèles de résidence qui n'ont pas forcément évolué. Par exemple, est-ce qu'accueillir un auteur pendant trois mois consécutifs est un modèle toujours pertinent au regard de ses conditions de vie et de travail ?
D.D. : L'expérience nous a montré que nous devions nous poser des questions touchant aux réalités de l'artiste. Quelquefois les lieux de résidences et leurs politiques sont pensés par rapport à une politique de territoire mais se rapprocher des artistes confronte à leurs réalités, qui sont multiples et notamment familiales. Les locaux dans lesquels on accueille un artiste vont déterminer sa capacité à avoir une vie de famille ou non. La rigidité des conventions que l'on peut mettre en place risque parfois d'empêcher une vie sociale normale. Les réalités sont aussi financières, notamment pour les artistes qui ne peuvent se passer d'un travail d'appoint. Si on se positionne dans le soutien à la création, on doit se poser ces questions-là.
L'utilité d'un réseau est-elle aussi de fluidifier les échanges entre membres et de renforcer la visibilité de ceux-ci pour les auteurs ?
C.V. : Aujourd'hui, le réseau Astre n'a pas construit de groupe de travail dédié aux résidences, faute de moyens humains, mais une proposition comme les 30 ans de Pollen à laquelle Denis nous a associés est l'occasion pour nous de nous emparer aussi du sujet. Nous partageons pour autant des informations professionnelles à ce sujet, également abordé lors de nos réunions et de nos rencontres régionales.
D.D. : Le rôle du réseau n'est pas non plus de proposer une politique culturelle mais d'être surtout un provocateur de réunions et d'échanges, un animateur qui active les liens et les réseaux. Chaque acteur développe librement sa programmation et le réseau n'a pas vocation à se surajouter aux opérateurs mais plutôt à les coordonner. Cette structuration a permis des rencontres entre personnes qui ne se connaissaient pas. Des projets que l'on porte depuis deux ou trois ans sont même nés de ces moments d'échanges.
C.S. : Le réseau sert aussi à faciliter la circulation de l'information à destination des candidats potentiels des résidences. Des documents comme la recension des résidences de création livre et cinéma en Nouvelle-Aquitaine qu'édite ALCA est un exemple qui offre aux artistes une meilleure visibilité des spécificités et des identités de nos structures et dispositifs. L'auteur peut ainsi découvrir des lieux qui correspondent davantage à leur profil.
Dans quelle mesure Pollen, le Chalet Mauriac et les autres lieux de résidences en Nouvelle-Aquitaine entretiennent-ils un lien avec leur territoire ?
D.D. : Je pense à la résidence qu'a effectuée Nicolas Daubanes l'année dernière dans le contexte contraignant de la crise sanitaire. Il a eu lors de ce séjour l'opportunité de travailler sur le monument départemental aux déportés à Lacapelle-Biron (47), et nous avons souhaité l'accompagner dans ce projet : depuis soixante-dix ans, la place centrale est occupée par un monument mémorial, qui marque la vie et l’activité du village. Le travail de l'artiste a consisté à occulter temporairement cet "objet" de manière à ce que les habitants perçoivent sa présence et (re)prennent conscience de son impact sur l'espace social. Si le village, les élus, les jeunes et les anciens se sont associés au projet, c’est parce qu’il a été engagé par un artiste et quelqu'un d'extérieur comme Nicolas Daubanes. C'est un vrai travail de création pour lequel Pollen s’est posée en "interface" auprès des acteurs du territoire. Depuis mars dernier, la place et le monument aux morts accueillent à nouveau le marché, à la satisfaction de toute la population.
P.V. : Nous recevons ces prochaines semaines à Bordeaux l'autrice hessoise Greta von Richtofen, dans le cadre des résidences croisées de la Prévôté entre la Nouvelle-Aquitaine et le Land Hesse. Elle vient travailler sur un projet de bande dessinée, qui devrait être éditée et diffusée en Allemagne, qui relate la vie de Heinz Stahlschmidt, un sous-officier allemand, spécialiste des explosifs, qui, en août 1944, a dirigé la démolition de Bordeaux mais a refusé d'obéir aux ordres. Ici aussi, le regard extérieur de l'artiste interroge le territoire et son histoire. Il serait donc intéressant qu'un éditeur local puisse concevoir une collaboration autour de ce travail.
P.O. : Un autre exemple marquant est celui de Camille Lavaud qui publie en octobre prochain aux Requins Marteaux La Vie souterraine, une œuvre basée sur l'attaque du train de Neuvic1. Camille a travaillé ce projet en résidence d'écriture au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien (33), à la Maison des auteurs d'Angoulême (16) et elle va exposer prochainement aux archives départementales de la Dordogne avant d'être accueillie par Pollen. Camille a également été exposée au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. Par son parcours, elle illustre aussi le nécessaire besoin de croisements entre les disciplines artistiques.
"Nous nous rendons compte que les territoires sont davantage en demande de pluridisciplinarité que de spécialisation."
D.D. : Le croisement des disciplines est au cœur des enjeux de nos structures. Nous nous rendons compte que les territoires sont davantage en demande de pluridisciplinarité que de spécialisation. Pollen est un lieu dédié à l'art contemporain mais qui vit dans une relation au territoire qui oblige à une ouverture vers d’autres champs de la création, à la bande dessinée et à l'architecture, par exemple. Nous avons ainsi glissé vers une proposition qui s'est ouverte à toutes les disciplines. L'art contemporain a malheureusement tendance "à parler à l'art contemporain" et à s’enfermer sur lui-même mais comme d’autres secteurs... C'est pour sortir de cet "entre-soi" que nous souhaitons avec ALCA faire en sorte que des professionnels de l'écrit puissent croiser ceux de l'art contemporain.
Quels sont vos prochains rendez-vous, dont les 30 ans de Pollen ces prochains jours ?
C.V. : Nous organisons régulièrement des réunions entre membres du réseau et plus ponctuellement des rencontres régionales. Les prochaines rencontres auront lieu du 15 au 17 novembre à Périgueux et seront consacrées notamment au travail mené dans le cadre du contrat de filière. Nous donnerons la parole aux professionnels ayant bénéficié des dispositifs et envisagerons les développements pour le futur contrat de filière.
D.D. : Les 13 et 14 septembre, nous proposons deux journées pensées d’abord comme un temps de partage autour d’une expérience concrète, a contrario d’une réflexion "hors sol" sur la notion de résidences. C’est une invitation à l’occasion du trentième anniversaire de Pollen à questionner ce lieu, les liens qu’il a avec son territoire et les artistes reçus à Monflanquin. Nous n'avons pas l’ambition de faire "le bilan" mais plutôt de favoriser des temps d’échanges en donnant la parole à des artistes, des représentants institutionnels et des professionnels (parmi lesquels Didier Arnaudet et Enrico Lunghi).
Plutôt qu’un impossible retour en arrière sur "250 artistes accueillis depuis 1991", nous avons opté pour la présentation de quelques résidences et expériences singulières dans leur relation au territoire et au Lot-et-Garonne. Julie Chaffort, Nicolas Daubanes et Amélie Berrodier seront ainsi invités à parler des projets engagés durant leurs séjours à Monflanquin. La question de la médiation sera également abordée avec Sabrina Prez, responsable des publics et de la médiation à Pollen. Et puis avec ALCA, nous allons convier l'autrice Aurélia Coulaty et le dessinateur Laurent Lolmède à créer une trace artistique de ces deux journées.
P.V. : En 2022, nous célébrerons le dixième anniversaire des résidences d'écritures du Chalet Mauriac. Nous avons accueilli plus de 300 auteurs depuis le lancement des résidences en 2013. À cette occasion, un film documentaire réalisé par Mélanie Gribinski et produit par une société régionale, auquel nous participons avec France 3, donnera la parole aux auteurs ayant travaillé dans le lieu et que nous diffuserons le plus largement possible.
1L'attaque du train de la Banque de France est une attaque de train qui a eu lieu durant la Seconde Guerre mondiale. Le 26 juillet 1944, en gare de Neuvic en Dordogne, l'Armée secrète (AS) et l'Organisation de résistance de l'armée (ORA) dérobent à la Banque de France — et non pas aux Allemands — plus de deux milliards de francs de l'époque transférés par train de Périgueux à Bordeaux. Contrairement aux prétentions d'un ultérieur auto-proclamé "chef de la Résistance" et ses amis, l'affaire échappe complètement aux groupes à direction communiste de l'immédiate forêt de la Double.
Il s'agit du plus gros casse mondial. L'argent est destiné à payer les dettes de la Résistance française de la région et à organiser de nouvelles opérations dans le cadre de la Libération.