Le temps qu'il fait : 40 ans de passion et de belles rencontres
"L'édition, c'est une manière d'être avec les autres, d'être en société, c'est là que j'ai trouvé ma place." Au début des années 1970, à Clermont-Ferrand, l'étudiant Georges Monti fréquente L'espoir gravé, une librairie "différente", et la bibliothèque municipale où il découvre La Fausse Parole, un livre publié aux Éditions de minuit en 1953 et depuis longtemps épuisé, de l'auteur libertaire Armand Robin (1912-1961), qui sera le déclencheur de sa vocation.
Puis c'est la rencontre décisive, par correspondance d'abord, avec Edmond Thomas, fondateur en 1971 de la petite revue de poésie ronéotypée Plein chant – "c'est surtout lié au chant poétique" –, installé à Bassac en Charente. Bonheur de partager les mêmes idées avec celui qui dit : "Il est des textes qui ne font révérence ni à la mode ni aux procédés littéraires propres à assurer de confortables tirages, des textes pas nécessairement parfaits mais dont les défauts peuvent constituer des formes insolites de qualité, des textes souvent plus enracinés qu'ostentatoires et qui, par là même semblent destinés à une diffusion confidentielle."
Georges Monti rejoint Edmond Thomas à Bassac en 1978. Ensemble, ils achètent du matériel d'occasion, apprennent le métier sur le tas, deviennent imprimeurs et publient une vingtaine de livres, dont une demi-douzaine formeront la base du catalogue à venir : en tout premier lieu La Fausse Parole d'Armand Robin, dans une édition augmentée et enrichie.
Fort de cette expérience, Georges Monti construit, en 1981, sa propre maison d'édition baptisée du nom du seul roman d'Armand Robin : Le temps qu'il fait.
"C'est une construction, il y a des pierres angulaires, des piliers, faite plus par intuition que par volonté."
Il développe son catalogue selon une ligne éditoriale "exigeante dans ses visées, audacieuse dans ses formes et jamais coupée du vivant", apportant grand soin à la fabrication de ses livres, sortis d'une presse maison.
Il crée en 1982 Les Cahiers du temps qu'il fait, volumes critiques consacrés à des écrivains "dont l'œuvre est parvenue à un point élevé d'accomplissement", et, en 1989, une collection de livres d'écrivains-photographes.
Il se souvient de cette époque, entre 1981 et 1990, quand "la petite édition était un véritable mouvement, un réseau fort d'échanges intellectuels et d'entraide". Trois éditeurs qui partagent la même passion sont alors installés en Charente, chacun avec ses spécificités : Edmond Thomas avec Plein chant à Bassac (littérature, métiers du livre, textes libertaires et prolétariens), Jean-Paul Louis, fondateur des éditions du Lérot à Tusson (une maison qui "fonctionne par à-coups d'enthousiasme", redécouverte d'oubliés), et Georges Monti à Cognac (littérature, photographie).
C'est alors au tour de Georges Monti d'aider un apprenti éditeur qui deviendra un ami : Claude Rouquet, directeur commercial dans la chaussure pendant 20 ans, vient de créer L'Escampette à Bordeaux. "Dans ce milieu, en 1992, je n'avais qu'une seule relation : Georges Monti. Il est devenu un de mes amis intimes." Il lui confie l'impression de ses choix littéraires, de la poésie surtout, portugaise beaucoup. Il sera bientôt le plus grand éditeur français de poésie portugaise.
L'Escampette rejoint le Poitou-Charentes en s'installant à Chauvigny dans la Vienne en 1993.
Dans les années qui suivirent, il fut plus difficile pour les petites maisons d'édition, comme l’écrit Alain Galan, "d'éditer des livres que l'économie de marché chasse d'un geste de la main comme mouches importunes".
Georges Monti a connu à la fin des années 90 "une période de doute profond", une maison en quasi-sommeil, avec cinq ou six livres publiés par an. Il a vite retrouvé son allant et son rythme habituel de deux à trois livres par mois, aidé en cela par l'arrivée d'une adjointe, qui fut longtemps libraire : Marie-Claude Rossard. Il prit même en 1998, pour 3 ans, la direction de l'Office du livre en Poitou-Charentes.
Le côté commercial du métier leur vaut bien des soucis même si cela paraît simple à Claude Rouquet : "Il faut remuer des montagnes pour de la micro-économie. Sur chaque titre personne ne gagne rien. Sinon, c'est d'une simplicité biblique : il faut un bon diffuseur, un bon distributeur et de bonnes relations avec les libraires."
Une simplicité pas si simple ! Après avoir diffusé eux-mêmes par courrier ou par téléphone, ils font appel à des entreprises de diffusion qui ne leur donnent pas complètement satisfaction. Un groupe de petits éditeurs, autour de L'Escampette, et auquel se joint Le temps qu'il fait, crée alors Athélès, une éphémère structure de diffusion associative qui confiera sa distribution aux Belles Lettres.
Les Belles Lettres dont l’entrepôt, en 2002, est parti en fumée avec 80% du stock de L'Escampette et 25 000 ouvrages du Temps qu'il fait ! Georges Monti a réimprimé l'ensemble des titres (avec une aide de 50% du Centre national du livre) : "Un sacrifice financier indispensable qui n'est de toute façon pas pesant, dans la mesure où gagner de l'argent n'a jamais été pour moi un but."
Quant à Claude Rouquet : "L'incendie, d'une certaine façon je ne le regrette pas. Il m'a fait vivre des choses extraordinaires. J'ai reçu 600 lettres de soutien avec des chèques. Le Portugal a été somptueux... l'ambassadeur m'a remis 25 000 € !"
Il en faut bien plus pour entamer cette passion qui est, comme le dit Georges Monti, "une intoxication, une drogue dure, une maladie tellement délicieuse".
"Écartez-vous, nuages ! Vous, le Temps, continuez !" Armand Robin
La suite prouvera la vitalité et le dynamisme de la maison Le temps qu'il fait : 500 titres au catalogue, prix de l'édition en Poitou-Charentes en 2005, arrêt de l'imprimerie en 2007, création en 2009 de la collection Corps neuf qui réédite des ouvrages du catalogue en format semi-poche.
Un site Internet élégant, très soigné, tout comme la charte graphique des ouvrages, s'étoffe au fil des ans en proposant aux lecteurs l'inscription à la lettre d'information et l'adhésion à l'association des Amis du Temps qu'il fait.
Au début des années 2010, Georges Monti installe sa maison près de Bordeaux et partage sa passion en enseignant les techniques (et ficelles) de l'édition à des jeunes tentés par les métiers du livre. Il publie alors une vingtaine de livres par an, fait de nouvelles rencontres, perd des amis chers, continue à publier malgré cette pandémie en 2020 qui a vu jusqu'à la fermeture des librairies !
Il en profite pour "faire le point et montrer le chemin parcouru" en mettant en forme le catalogue des 40 ans : un catalogue relié de plus de 200 pages qui se lit comme un livre, enrichi d'images, de correspondances et de textes de ses auteurs.
"La relation la plus constante est celle que j’entretiens avec Jean-Loup Trassard (88 ans), avec qui j’ai fait plus d’un livre tous les deux ans et ce depuis la première année. Par une sorte de merveilleuse circularité, Alain Galan avec qui j’étais en contact depuis les débuts (il était alors jeune journaliste littéraire à La Montagne et écrivait notamment sur Trassard) — et dont j’ai lu les livres de loin en loin — m‘a donné un manuscrit en cette année anniversaire. Après une occasion manquée en 2010 (par ma faute), c’est une fidélité de 40 ans qui trouve sa concrétisation par une publication aujourd’hui."
En 2021 : près de 700 titres sont au catalogue de la maison Le temps qu'il fait
Georges Monti l'a toujours dit, il veut être "un trait d'union entre des auteurs et des lecteurs, un trait d'union entre des auteurs, un trait d'union entre des lecteurs".
Ainsi en parle Jean-Pierre Vidal qui, en 2021, décrit la maison comme "un lieu de dialogue entre des auteurs qui ne se connaissent pas encore, qui vont s'y rencontrer dans les pages de leurs livres et parfois physiquement".
Jean-Yves Laurichesse, en 2021 également, écrit : "J'étais conscient d'entrer dans une 'maison' déjà bien habitée, et par des gens de qualité, voire d'exception. J'en connaissais certains, j'en découvris d'autres. [...] Se dessinait une sorte de constellation dont les planètes [...] étaient en fait reliées entre elles par des lignes invisibles : la poésie des lieux, le sens de la mémoire, le goût de la langue et des images…"
À la lecture de ce catalogue se dessinent toutes les belles rencontres entre l'éditeur et ses auteurs. Georges Monti le dit lui-même : "Un ensemble d'auteurs originaux, de talents singuliers – tous sont des lecteurs – aucun ne se trouve là sans une solide raison. Quant à ceux qui 'sont devenus des ombres', il n'est pas nécessaire de les nommer : ce catalogue est là pour ça."
Et l'aventure continue, va continuer
Jean-Pierre Vidal l'exprime si bien : "La vie de l'esprit se poursuit, nous en sommes tous responsables, lecteurs, éditeurs et auteurs, dans des conditions certes plus difficiles. [...] Nous y aide grandement une maison comme les éditions Le temps qu'il fait."
Tout comme Alain Galan, ce nouveau venu au catalogue : "À nous de créer les essaims de lecteurs, les communautés d'auteurs et d'éditeurs, les solidarités de critiques qui se parleront sans intermédiaire et feront passer dans le maquis les nouvelles des uns et des autres."
Je m'adresse à vous, lecteurs de cet article fêtant les 40 ans de la maison Le temps qu'il fait, lisez si vous le pouvez ce précieux catalogue, ou surfez sur le site de la maison, ils vous conduiront vers d'autres lectures, encore et encore.