Meltse Van Coillie : écrire le Grand Nord depuis Bordeaux
La réalisatrice belge Meltse Van Coillie était accueillie cet été à Bordeaux dans le cadre des résidences internationales d’écriture Cinéma de La Prévôté portées par ALCA en partenariat avec le festival Biarritz Amérique latine et le Poitiers Film Festival. Retour sur un mois de résidence consacré à son projet de long métrage Torpor, dont l'action se déroule dans le Grand Nord.
Vous êtes accueillie en résidence à La Prévôté pour tout le mois de juillet, alors que règne une chaleur accablante…
Meltse Van Coillie : C’est drôle d’évoquer la vague de chaleur. C’est vrai que c’est très loin de l’atmosphère de grand froid du scénario sur lequel je suis en train de travailler. Mon projet de film, Torpor se passe dans la nuit arctique. Et avec la chaleur étouffante en ce moment à Bordeaux, je dois redoubler d’imagination pour me projeter dans les paysages de neige du Grand Nord. Être ici, à Bordeaux, en plein été caniculaire, m’oblige à changer mon rythme de travail : j’écris essentiellement tôt le matin et dans la soirée quand il fait moins chaud. Venir écrire ici en hiver aurait été une tout autre expérience.
Pouvez-vous nous parler de ce projet, Torpor ?
M.V.C. : C'est mon premier scénario de long métrage. Torpor raconte une expédition scientifique dans l'Arctique dont l'équipe tombe par hasard sur un village dont tous les habitants semblent mystérieusement hiberner. Mais plus les scientifiques étudient le phénomène, plus la distance entre eux et leurs sujets de recherche se creuse. Ce film traite de notre quête éternelle pour la connaissance et de notre difficulté à nous abandonner à "l'inconnu".
D’où vous est venue l’idée de ce village en hibernation dans le Grand Nord ?
M.V.C. : Comme la plupart des cinéastes, je suis intriguée par le concept de temps, sur les différentes expériences du temps. Mon premier court métrage Elephantfish, se situe à bord d'un cargo, où les marins vivent des mois d'isolement, encapsulés dans le grand bleu de l'océan. Leur seule mission est de récurer le bateau, au rythme lent et obsédant du voyage. Avec Torpor j’ai eu envie d'explorer d’autres lieux où le temps est vécu de manière alternative, par exemple les régions polaires. J'ai cherché des résidences d'artistes au-delà du cercle polaire et j'ai trouvé un endroit au Groenland – la résidence du musée Upernavik – où j’ai été accueillie. Je leur ai expliqué que j’avais envie d’explorer la nuit polaire, l’obscurité et l’ambivalence du sommeil.
L’ambivalence du sommeil ?
M.V.C. : J'ai une relation troublée avec le sommeil. Je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil. La nuit, je m'imaginais seule dans l'Arctique, isolée dans cet espace glacé. L'idée d'un village en hibernation s’est imposée à moi.
Vous vous êtes donc rendue dans cette résidence au Groenland ?
M.V.C. : Oui, même si le voyage a été très coûteux. J'y suis restée cinq semaines, en novembre et décembre 2019. Mon petit ami, Harm Dens, m'a ensuite rejointe car nous montons souvent nos projets ensemble. Nous avons commencé à écrire là-bas. Nous y sommes retournés en janvier 2022 pour y tourner notre court métrage Nocturnus tourné grâce au prix Wildcard du Flemish Film Fund. Au cours du processus de création de Nocturnus, j'ai dû sacrifier plusieurs idées qui ne pouvaient pas tenir dans un court métrage. D'où mon envie d'écrire un long métrage.
Comment s’est passé votre séjour au Groenland ?
M.V.C. : Ma résidence se trouvait dans la ville de Upernavik qui compte un millier d’habitants. Dès le premier jour de mon arrivée, j’ai expérimenté ce qu’était une très forte tempête de neige. Tout était plongé dans la pénombre, dans une nuit sans lune. Je me suis dit qu’il fallait que j’attende le matin pour explorer la ville. Mais au matin, c’était la même obscurité, la même tempête de neige. Une atmosphère très étrange. J’étais logée dans une petite maison jouxtant le musée d’histoire des Inuits où sont exposés des canoés, des objets chamaniques…
"Leurs histoires et leur façon de faire face à l'inconnu m'ont inspirée, mais pas au point de vouloir intégrer la culture inuit dans le film."
Cette proximité avec la culture inuit a-t-elle influencé votre écriture ?
M.V.C. : Leurs histoires et leur façon de faire face à l'inconnu m'ont inspirée, mais pas au point de vouloir intégrer la culture inuit dans le film. Je ne voulais pas lier l'idée d'hibernation humaine à une culture existante. D’autant que je ne me sens pas légitime, en tant qu’étrangère, à parler de la culture inuit.
Vous avez quand même pu nouer des contacts qui ont nourri votre écriture ?
M.V.C. : Nous étions en pleine période de Noël. C’est une fête célébrée très intensément là-bas. J’ai pu prendre part aux festivités, et parler avec quelques personnes – même si la plupart des gens ne parlent pas l’anglais mais le groenlandais et le danois. Une jeune fille m’a demandé d’emblée, de but en blanc : "Est-ce que tu crois aux fantômes ?". J’ai trouvé que sa question était une excellente façon de faire connaissance.
Votre long métrage Torpor reprend-il les thématiques de Nocturnus ?
M.V.C. : Oui. Dans l’immensité glacée, une scientifique découvre un groupe de personnes endormies qui respirent au même rythme, qui semblent partager une même synchronicité, une même connexion au-delà de la conscience. Ils sont unis les uns aux autres sans même le savoir. La scientifique est fascinée par cet étrange sens du collectif. À tel point qu’elle finit par souffrir d’en être exclue.
Avez-vous déjà des idées de la façon dont vous allez réaliser le film ?
M.V.C. : Le long métrage sera visuellement très différent du court métrage. Pour le court métrage, nous avons tourné en 16 mm, en noir et blanc, avec l'idée que ce paysage était déjà en noir et blanc : la neige et la nuit. J'aimerais au contraire que le long métrage soit en couleurs : je me suis rendu compte sur place qu'il y a en fait toute une gamme de bleus très subtils. Plus le soleil se rapproche de l'horizon, plus l'atmosphère bleutée se teinte de nuances de vert ou de violet. Dans le court métrage, nous avions des plans statiques, toujours avec l'idée que les paysages glacés sont immobiles. Mais je me suis rendu compte que tout vit et bouge très lentement. Un peu comme mes personnages endormis qui bougent à peine leurs paupières.
Est-ce qu’on retrouve ces thématiques d’une petite communauté autarcique et de l’expérience de l'isolement dans votre autre court métrage, Zonder Meer ?
M.V.C. : Zonder Meer est un peu différent, bien que je dirais que le concept d'isolement psychologique est présent chez la protagoniste, Lucie, une petite fille de cinq ans, isolée de ses parents et des autres vacanciers car elle ne comprend pas de la même manière qu’eux le drame qui s'est produit dans le lac du camping.
À ce stade de l’écriture, que vous apporte la résidence de La Prévôté ?
M.V.C. : La Prévôté m’offre avant tout un espace de travail qui me coupe de mon quotidien, des perturbations ou des distractions liées à mon environnement familial ou amical. Et puis, la bourse d’un mois est aussi un soutien financier non négligeable. C’est rare qu’un artiste soit payé à ce stade de son travail.
Vous êtes une cinéaste belge, flamande originaire d’Anvers. Comment avez-vous eu connaissance de la résidence de La Prévôté ?
M.V.C. : Mon film d’école Elephantfish avait été projeté au festival de Poitiers en 2019. Les réalisateurs dont les films sont sélectionnés peuvent candidater au programme Jump In, s’ils veulent développer un premier long métrage. Ces ateliers proposent également des résidences d’écriture en partenariat avec la Région Nouvelle-Aquitaine et ALCA. Élodie Ferrer m’a incitée à postuler pour la résidence de La Prévôté. C’est une expérience toute nouvelle pour moi : écrire mon premier long métrage.
(Photo : Quitterie de Fommervault)